Tunisie: Des travailleuses agricoles victimes de nombreux accidents de la route, souvent mortels

En Tunisie, malgré une loi pour réguler le transport des femmes agricoles depuis 2019, les accidents mortels continuent. La majorité de ces femmes, qui représentent près de 80 % de la main d'oeuvre du secteur, se rendent sur leur lieu de travail, entassées de 20 à 30 dans des pickups. Un moyen de transport très dangereux : entre 2015 et 2023, 55 de ces femmes ont trouvé la mort et 796 ont été blessées dans ces accidents. Des chiffres qui témoignent de l'échec à les protéger, selon le Forum des droits économiques et sociaux, auteur d'une étude sur la question, présentée à Tunis en octobre dernier.

À la Cité de la culture à Tunis, les visages souriants d'une dizaine de femmes rurales sont placardés sur les murs. Mais en regardant leur biographie, les histoires se répètent : des conditions de travail très dures et une souffrance face au manque de changement.

« Quand je sors de chez moi, je ne sais pas si je rentrerai vivante le soir »

Naziha Kamel, 45 ans, est ouvrière de Souk Jedid à Sidi Bouzid au centre de la Tunisie. Elle raconte : « C'est vraiment dur, que ce soit au niveau du travail, du salaire qui est misérable ou bien du transport. Franchement, on en a marre. Dès que je sors de la maison jusqu'à ce que je rentre, je ne rencontre que des difficultés dans ce travail et encore plus avec le transport. Je sors de chez moi, je ne sais pas si je rentrerai vivante le soir. »

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En 2019, à Sidi Bouzid, une douzaine de femmes agricoles avaient trouvé la mort après le renversement de leur pick-up, suite à une collision. « Moi, je ne vois aucun changement depuis cet accident, déplore Naziha Kamel. À Sidi Bouzid, rien qu'en une semaine au mois d'octobre cette année, nous avons eu deux accidents. Les causes sont nombreuses : les routes sont en piteux état, les pickups sont surchargés et quand ils voient la police de loin, ils changent d'itinéraire. Donc, vous ne pouvez pas appliquer la loi ».

Fatiha Chouihi, originaire de Médenine dans le Sud tunisien, évoque aussi des conditions de travail précaires. « Regarde mes mains comme elles sont abîmées, lance-t-elle. Je travaille sans gants. Lorsque nous cueillons les olives toute la journée, que l'on remplisse un ou quatre cageots, on est payé au même prix, à la journée, et c'est pas grand-chose ».

Elles sont payées entre 6 à 9 euros par jour, selon les régions. Moins que les hommes qui, de toute façon, refusent de faire ce labeur pour la plupart. Et 92 % d'entre elles sont sans couverture sociale.

« Nous appelons à revoir tout le système de travail des ouvrières agricoles »

Malgré la constitution de syndicats pour les femmes ouvrières agricoles, la rédaction de nombreuses études sur leurs conditions de travail et le soutien de plusieurs ONG, les choses peinent en effet à changer. Hayet Attar, chargée du dossier femmes ouvrières agricoles au sein du Forum des droits économiques et sociaux à Kairouan, au centre de la Tunisie, et auteur de l'étude, donne des recommandations après avoir interviewé 500 femmes agricoles dans 12 gouvernorats pour son rapport.

« Les femmes qui travaillent dans le secteur agricole sont de plus en plus conscientes de leurs droits, c'est l'acquis de ces dernières années, explique-t-elle. Elles refusent cette violence et cette injustice qu'elles subissent au quotidien et elles ne peuvent pas lutter seules. La société civile et l'État doivent les soutenir à travers la révision du système législatif qui gère les travailleurs agricoles. La mise en place d'une loi sur le transport ne suffit pas ».

Hayet Attar conclut : « Nous, en tant que Forum des droits économiques et sociaux, nous appelons à revoir tout le système de travail des ouvrières agricoles et nous appelons à trouver une solution radicale pour la question du transport de ces femmes. Nous avons réclamé à plusieurs reprises, un conseil ministériel sur le sujet car tous les ministères doivent coopérer pour que l'on puisse avoir un changement en profondeur sur cette problématique, qui ne fait qu'empirer. »

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