Afrique: «L'Afrique du Sud n'a pas suffisamment planifié ni mis en oeuvre son plan de transition énergétique»

interview

Très dépendante du charbon, l'Afrique du Sud avait créé la surprise, lors de la COP26 à Glasgow en 2021, en annonçant un partenariat avec l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis pour décarboner son énergie. Ce partenariat pour une transition énergétique était censé aider le pays à réduire sa consommation vis-à-vis de ce combustible. Comment expliquer alors que le pays prend une trajectoire diamétralement opposée ? Eléments de réponse avec Jesse Burton, experte sud-africaine, et associée principale du think tank E3G, spécialisé dans les questions climatiques.

RFI : Jesse Burton, comment expliquer les difficultés sud-africaines à se passer des énergies fossiles ?

Jesse Burton : Il y a plusieurs raisons qui explique les difficultés de l'Afrique du Sud à s'en passer. La principale est due à la crise énergétique : l'Afrique du Sud n'a pas suffisamment planifié ni mis en oeuvre son plan de transition, ce qui fait qu'aujourd'hui, nous nous retrouvons dans cette position bizarre où nous sommes obligés de rallonger la durée de vie des centrales à charbon vieillissantes.

En effet, nous ne disposons pas d'autres alternatives comme l'énergie éolienne, solaire ou les batteries renouvelables, qui permettraient d'éviter des délestages.

Les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui sont le fruit d'un échec de plusieurs décennies. Nous n'avons ni anticipé ni mis en place des alternatives à temps. Et quand bien même le fait que nous ayons construit de nouvelles capacités, cela a pris du retard et a coûté très cher.

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Le partenariat pour une transition énergétique était censé apporter des financements. Cela n'a pas été le cas ?

Lorsque l'accord a été signé, il prévoyait 8,5 milliards de dollars pour financer la transition énergétique sud-africaine. Le travail effectué l'an dernier a montré que l'Afrique du Sud avait besoin d'un montant dix fois supérieur, non seulement pour réduire sa dépendance au charbon mais aussi pour financer des installations d'énergies renouvelables, porter secours au réseau électrique et financer des programmes sociaux et économiques dans des endroits comme Mpumalanga.

Cette province est l'un des plus gros émetteurs au monde de gaz à effet de serre, elle regroupe toutes les mines de charbon et toutes les centrales à charbon. Vous savez, un quart des emplois dans certaines villes provient de l'exploitation du charbon, et c'est très difficile de transformer une économie entière qui dépend des combustibles fossiles en un laps de temps très court.

En ce moment, de nombreuses mines sont en train d'être développées et elles produiront plus de charbon que ce dont nous avons besoin, ce qui va nous éloigner de nos objectifs climatiques.

Comment faire pour réduire cet écart ?

Nous devons travailler davantage sur des programmes qui sont ciblés sur les impacts sociaux et économiques pour les travailleurs et les communautés. Il s'agit d'élaborer de nouveaux projets de transition qui peuvent anticiper l'avenir après la fermeture des mines, car nous savons qu'à moyen ou long terme, le charbon ne sera pas compétitif pour la production d'électricité et pour d'autres usages.

Il y a un risque énorme que les gens se mettent à développer de nouvelles mines de charbon dont nous n'aurons plus besoin, et que le marché de l'exportation du charbon disparaisse également. Pour l'instant, nous exportons une grande partie de notre production vers l'Inde. Mais d'autres pays commencent également à mettre en oeuvre des politiques climatiques et voudront aussi utiliser leurs propres ressources. La situation peut donc se retourner contre nous. Nous aurons non seulement un problème social mais économique. Qui va fermer ces mines lorsque les entreprises auront fait faillite ?

D'ici 2030, les gouvernements envisagent de produire plus de pétrole, de gaz et de charbon, s'inquiète un rapport de l'ONU L'accord de Paris semble plus que jamais menacé. Cet accord historique, ratifié en 2015 par près de 200 pays, prévoyait de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré d'ici la fin du siècle. Objectif compromis par les prévisions mondiales de production des énergies fossiles. C'est la principale conclusion d'un nouveau rapport publié le 7 novembre 2023 par le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) et divers organismes de recherche.

Selon ce rapport, en 2030, les gouvernements envisagent de produire plus de pétrole, de gaz et de charbon, ce qui devrait représenter plus du double de la quantité qui permettrait de rester sous le seuil de 1,5 degré. Pour l'ONU, le message est clair : ces hausses de production prévues compromettent la transition énergétique. Ce nouveau rapport présente les profils de vingt grands pays producteurs, dont deux États africains : le Nigeria et l'Afrique du Sud.

À eux seuls, ces pays représentent 82% de la production mondiale des énergies fossiles.

Alors que 17 d'entre eux ont promis d'atteindre la neutralité carbone pour lutter contre le réchauffement climatique, aucun ne s'est engagé à réduire l'exploitation du charbon, du pétrole et du gaz. Et c'est la raison pour laquelle l'écart entre leurs politiques énergétiques et leurs objectifs d'atteindre le seuil de 1,5 degré est si grand.

Une situation qui nous mène droit dans le mur, estime Ploy Achakulwisut, l'une des autrices et membres de l'Institut de l'environnement de Stockholm : « La fenêtre d'opportunité pour atteindre l'objectif de 1,5 degré se referme de jour en jour. Nous devons donc appeler les gouvernements africains à essayer de diversifier ou de faire évoluer leurs systèmes énergétiques et leurs économies vers les énergies renouvelables sans passer par des combustibles fossiles. Nous espérons qu'ils auront le soutien de la communauté internationale et les financements climatiques. »

À l'échelle africaine, c'est l'Afrique du Sud qui a pris les devants dans la transition énergétique, signant un partenariat mondial en ce sens, lors de la COP26 à Glasgow. Mais, depuis, ses efforts pour décarboner son énergie ont stagné, au grand dam des défenseurs de l'environnement.

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