Afrique: «Goodbye Julia», un Soudan entier en souffrance et en transformation

Avec « Goodbye Julia », Mohamed Kordofani est entré dans l'histoire du Festival de Cannes comme le premier réalisateur soudanais en sélection officielle. Hélas, l'autodidacte de 39 ans n'a pas réussi à conjurer le sort de la terrible séparation entre Soudan et Soudan du Sud. Ce mercredi 8 novembre, le film est sorti en salles en France, révélant les fractures profondes d'un peuple marqué par le racisme et une véritable ségrégation.

Il n'a pas réussi son souhait le plus cher : retrouver la paix pour son pays. En revanche, un autre souhait a été exaucé. Mohamed Kordofani a dédié son film Goodbye Julia à son père : « J'ai deux filles adorables et mon père est décédé après la naissance de ma fille cadette. Tout au long de sa vie, mon père m'a demandé d'avoir un fils pour que son nom de famille puisse continuer à exister. Parce que dans notre partie du monde, les filles ne transmettent pas leur nom. Avant la mort de mon père, je lui ai dit que j'allais faire quelque chose de mieux que d'avoir un garçon, que j'allais faire un film, et que ce film vivrait pour toujours, même plus longtemps qu'un garçon. Il a souri. Il n'y croyait pas, mais il a souri. Pour cela, j'ai dédié le film à mon père. Je pense que son nom vivra pour toujours maintenant. »

Lors de la première mondiale, Mohamed Kordofani avait le coeur brisé. Il a tourné le film dans sa ville natale pour en faire un emblème de la réconciliation et de la paix. Puis tout est passé autrement. Le tournage a démarré juste après le coup d'État militaire en octobre 2021 qui s'est terminé par le début de la guerre en avril 2023. L'équipe du film a finalement dû fuir le Soudan, comme beaucoup de ses amis et sa famille.

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Et au Festival de Cannes, Kordofani a dû regarder impuissant sur les réseaux sociaux sa ville en feu. Jusqu'à aujourd'hui, la guerre entre les paramilitaires d'Hemedti et l'armée soudanaise d'Abdel Fattah al-Burhan a provoqué plus de 9 000 morts et plus de 5,5 millions de déplacés et réfugiés : « J'ai eu l'impression d'avoir pris un portrait de Khartoum avant qu'il ne soit détruit. »

[Vidéo] «Goodbye Julia», le Soudan rêvé de Mohamed Kordofani Goodbye Julia est l'histoire de deux femmes que tout oppose : l'origine, la couleur de peau, la classe sociale, la famille... Les deux caractères sont magnifiquement incarnés par Eiman Yousif (Mona), comédienne de théâtre et chanteuse soudanaise, et Siran Riak (Julia), mannequin originaire du Sud-Soudan, qui n'ont jamais tourné de film auparavant et transcendent leurs personnages situés à un moment clé de l'histoire de leur pays. C'est à la veille de la division du Soudan que Mona, ex-chanteuse du nord du Soudan, prend soin de la jeune veuve Julia et de son fils, chrétiens et originaires du sud du Soudan. Sans que la pauvre Julia soupçonne la terrible vérité qui se cache derrière l'acte noble de la riche Mona, issue de la majorité arabe du Nord.

« Le film parle de transformation, nous explique Mohamed Kordofani. Cela concerne ma transformation personnelle. Je me reconnais dans tous les personnages. J'ai écrit les personnages. Ils ont été inspirés par différentes phases de ma vie. La première chose qui m'a motivé à écrire a été le résultat du référendum. En 2011, lors du référendum sur l'indépendance du Soudan du Sud, près de 99 % des électeurs se sont prononcés en faveur de la sécession. Pour moi, ce fut une révélation. Pour moi, tout s'est arrêté et je me suis rendu compte que quelque chose n'allait pas. Il est impensable qu'une nation entière veuille faire sécession. Après avoir réfléchi, le problème était clair : le racisme entre le Nord et le Sud du pays, mais j'ai senti que ce n'était pas seulement un problème entre le Nord et le Sud, mais un problème concernant le Soudan entier. Le Soudan souffre de tribalisme, de racisme et de préjugés, et de toutes sortes de choses qui éloignent les gens les uns des autres et ne les rapprochent pas. Je me suis dit de me prendre moi-même en exemple. »

Ainsi est né le film. Trop tard pour éviter la guerre, mais peut-être pas trop tard pour pouvoir encore aider à briser le cercle de la violence qui existe depuis l'indépendance du pays en 1956 et à contribuer à entamer une réconciliation à long terme : « La chose la plus importante pour le Soudan, c'est d'arrêter cette série constante de guerres et de combats. »

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