Burkina Faso: Insertion professionnelle des personnes handicapées visuelles - Aveugles et malvoyants disent non à la fatalité

13 Novembre 2023

Le handicap physique ou visuel est une fatalité pour bon nombre de victimes. Impuissantes à leur sort, certaines d'entre elles se réfugient à la mendicité pour leur survie. D'autres, en revanche, malgré leur situation, parviennent à se rendre utiles à la société. C'est le cas de certains aveugles ou malvoyants qui se sont frayé un chemin dans le monde du travail dans la ville de Bobo.

Vendredi 13 octobre 2023. Il est 8h 00 mn au service de la solidarité et de l'assistance humanitaire, sis au quartier Ouezzin-ville, secteur 15 de Bobo-Dioulasso. Jouxtant le marché de ce quartier de la cité de Sya, ce service humanitaire vit au rythme de l'ambiance de ce commerce. Le picotement de la volaille, rythmé aux échanges à coeur joie des commerçants et clients, ne laisse pas croire que l'on se trouve dans un service public de l'Etat.

Jaques Ouédraogo, Jeanine Belemgoabga et Odile Zongo sont tous agents dans ce service social. Ils y officient en qualité de travailleurs sociaux. Leur dénominateur commun, leur handicap visuel. Assis sur sa chaise, Jacques Ouédraogo avoue effectuer son travail convenablement comme les personnes jouissant de leur organe oculaire. « Au début, certains collègues étaient sceptiques sur notre capacité de rendement au service. Mais au fil du temps, ils sont étonnés de nos résultats », confie-t-il.

Odile Zongo, le sourire aux lèvres, témoigne de sa franche collaboration avec ses collègues de service. « Je n'ai aucun souci avec mes collègues au service », indique celle qui allie son handicap visuel au travail. Les deux malvoyants estiment cependant le matériel de travail inadapté à leur situation de handicap. « Il y a des maintenanciers pour les ordinateurs du service. Pour les nôtres, du fait de leur spécificité, nous les acquérons et les réparons à nos frais », regrette dame Zongo.

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Le quota salutaire mais insuffisant

Du service social du secteur 15, nous nous rendons à un autre dans le quartier Kôkô (secteur 4). Titulaire d'une licence en anthropologie, Aminata Oulé, malvoyante, y officie comme éducatrice sociale. Elle nous rassure avoir su dominer son handicap depuis son enfance lorsqu'elle a découvert qu'elle ne pouvait pas voir comme tous les enfants de son âge. Si Jacques Ouédraogo, Jeanine Belemgoabga, Odile Zongo et Aminata Oulé, malgré leur situation de handicap visuel, ont pu s'insérer dans le cercle « très fermé » des travailleurs de la fonction publique, ils sont nombreux les handicapés physiques et visuels, diplômes en poche, qui peinent à avoir du travail.

Pour pallier cette éventualité, le gouvernement, par la loi 012-2010/AN du 1er avril 2010 portant protection et promotion des droits des personnes handicapées, octroie un quota de 10% en faveur des personnes vivant avec un handicap pour les concours de la fonction

publique. Votée en 2010, ce n'est qu'en 2017, soit sept ans après qu'elle a été appliquée. Estimant positive cette prise en compte des personnes handicapées dans certains concours de la fonction publique, Odile Zongo pense que cette mesure n'est pas appliquée à la lettre.

« Le quota qui est de 10% en réalité, n'est toujours pas appliquée », fait-elle savoir avec remords. N'eut été plusieurs années de lutte, fulmine-t-elle, cette loi ne serait pas appliquée sept ans après son vote. Pour ce faire, elle invite les dirigeants au respect de ce quota qu'elle juge d'ailleurs insuffisant en faveur des personnes en situation de handicap. Du reste, dame Oulé exhorte les personnes handicapées en général, et celles visuelles en particulier, à travailler pour être autonomes. « Le handicap n'est qu'une déficience. Nos yeux ne voient pas mais nos cerveaux si », lance-t-elle.

Des handicapés visuels, chefs d'entreprise

Outre la fonction publique, le secteur privé accueille les handicapés visuels. Issoufou Sorgho, handicapé visuel, est chef d'une entreprise privée. Il est président de la Société burkinabè d'adaptation des technologies de l'information et de la communication (SOBATIC). L'entreprise, située au secteur 22 de Bobo-Dioulasso, emploie 7 personnes dont le salaire varie entre 40 000 à 110 000 F CFA, avec un chiffre d'affaires annuel pouvant atteindre 11 millions F CFA.

Malheureusement, relève-t-il, la cherté du marché a entrainé une baisse de ce chiffre d'affaires, et a eu raison de 4 de ses emplois créés. M. Sorgho est catégorique. Il n'aime pas travailler sous des ordres d'autrui. La création d'une entreprise était alors primordiale pour lui. « Je préfère que les ordres et recommandations de travail viennent de moi et que les autres m'aident à le faire », avance-t-il, le regard sur son ordinateur. Issoufou Sorgho est titulaire d'une licence en lettres modernes, option grammaire. A la fin de sa formation, sentant une intégration professionnelle difficile, il avait à coeur d'ouvrir sa propre boîte.

« Le handicap ne peut pas t'empêcher d'entreprendre »

Après une formation en ligne de 18 mois en informatique pour non-voyants, il décide d'ouvrir son entreprise spécialisée en informatique pour non-voyants à Bobo-Dioulasso. C'était en août 2020, raconte-t-il. L'objectif de la création de son entreprise, dit-il, est d'aider ses camarades qui sont à la fonction publique à travailler efficacement avec leur handicap, et aussi aider la fonction publique et les entreprises à prendre en charge les personnes handicapées à travers des formations.

Dans ce sens, SOBATIC a déjà formé en décembre 2020, de nombreux jeunes handicapés visuels à l'informatique pour non-voyants. Aïchatou Sanou est aussi une cheffe d'entreprise. « Aïma TRANS », c'est le nom de son entreprise spécialisée dans la transformation de jus. Une gamme variée de jus est commercialisée par l'entreprise de cette jeune fille à déficience visuelle. On y trouve entre autres, des jus de mangue, de gingembre, de bissap, d'ananas, d'orange et de tamarin. 22 ans d'âge, Aïchatou Sanou a perdu toute son acuité visuelle depuis le bas-âge. Son échec scolaire en 2015 la poussera dans l'entrepreneuriat, relate-t-elle.

« Le handicap ne peut pas t'empêcher d'entreprendre ce que tu désires sauf si tu décides volontairement de ne rien faire », se convainc la jeune fille. En 2019, Mlle Sanou suit deux mois de formation en transformation de jus et en entreprenariat. C'est à l'issue de cette formation, en décembre 2022, à l'en croire, qu'elle ouvre son entreprise. Aïchatou Sanou rencontre néanmoins des difficultés dans son jeune parcours de cheffe d'entreprise. Il s'agit principalement de la difficulté d'accès aux prêts auprès des institutions financières pour mener à bien son activité.

Elle exhorte ses frères et soeurs malvoyants et non-voyants à dire « non à la mendicité, et oui au travail ». Des associations militent pour le bien-être des personnes handicapées et défendent leurs droits dans la société, les forment et les aident dans la quête de l'emploi. Sont de ces associations, l'Association burkinabè pour la promotion et la protection des aveugles et malvoyants (ABPAM) espérance, créée en 1989 et reconnue officiellement en 1993, dont le siège est situé au secteur 22 de Bobo-Dioulasso.

Selon le président de l'ABPAM/ Bobo, Lamine Yé, depuis la création de l'ABPAM, ses membres se sont fixé des objectifs afin de les défendre en faveur des personnes handicapées visuelles. L'objectif général étant, dit-il, de promouvoir l'épanouissement et l'émancipation des personnes handicapées visuelles. Quant aux objectifs spécifiques, poursuit-il, ils consistent à une sensibilisation sur l'importance et les droits des handicapés visuels dans la société. « Nous voulons mettre fin à ces perceptions sociales qui pensent que c'est une malédiction d'être handicapé », indique le président de l'ABPAM.

Le ministère en charge de la solidarité nationale, à travers le Fonds national de solidarité et de résilience sociale (FNS-RS), agit également en faveur des personnes en situation de handicap. Selon le Directeur général (DG) du FNS-RS, Sami Nicolas Kambou, le fonds a pour mission de contribuer à la prise en charge et à la résilience des personnes et des groupes sociaux vulnérables ou en détresse ainsi qu'au financement des actions humanitaires.

De nos jours, le fonds a une subvention d'environ 420 millions F CFA, souligne le DG. « C'est cette subvention que nous prenons et nous essayons de voir en fonction des besoins, ce que nous pouvons faire pour les personnes vulnérables qui sollicitent notre aide », explique-t-il. En tournée à Bobo-Dioulasso le mercredi 25 octobre 2023, le DG a dit être satisfait du bilan de l'année 2023. « Cela nous conforte à faire en sorte qu'il y ait une augmentation de ressources pour la prise en charge des personnes vulnérables », rassure Sami Nicolas Kambou.

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