Soudan: Nouveaux massacres ethniques et pillages au Darfour

Une famille de réfugiés du Darfour, au Soudan, fuit vers la ville frontalière d'Adre, au Tchad.
communiqué de presse

Le Conseil de sécurité de l'ONU devrait agir pour protéger les civils et sanctionner les commandants des Forces de soutien rapide responsables d'abus

  • Les Forces de soutien rapide ont tué des centaines de civils au Darfour occidental début novembre 2023.
  • Le dernier épisode de meurtres ethniquement ciblés perpétré par les Forces de soutien rapide au Darfour occidental présente les caractéristiques d'une campagne organisée d'atrocités contre les civils massalits.
  • Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait renforcer d'urgence la présence de l'ONU au Soudan pour prévenir de nouvelles atrocités et mieux protéger les civils au Darfour.

(Nairobi) - Au début de novembre 2023, les Forces de soutien rapide et des milices alliées ont tué des centaines de civils au Darfour occidental, au Soudan, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Ces forces ont également commis des actes de pillage à Ardamata, une banlieue d'El Geneina au Darfour occidental qui est habitée principalement par des membres de l'ethnie Massalit, et ont agressé et détenu illégalement de nombreux membres de cette communauté.

Compte tenu de la fermeture de la mission des Nations Unies au Soudan et de son remplacement par un envoyé spécial, le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait envisager d'urgence des moyens de renforcer la présence de l'ONU dans ce pays, ce qui pourrait dissuader de nouvelles atrocités et mieux protéger les civils au Darfour. Le Conseil de sécurité devrait soutenir la surveillance des violations de droits humains au Soudan et étendre l'embargo existant sur les armes de façon à couvrir l'ensemble du pays et toutes les parties au conflit armé en cours. Les membres africains du Conseil de sécurité, les Émirats arabes unis et les autres gouvernements membres du Conseil devraient soutenir ces mesures, ainsi que d'autres, pour garantir que l'organe le plus puissant de l'ONU soit en mesure de s'acquitter de sa responsabilité de protéger les civils au Darfour occidental et ailleurs au Soudan.

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« Le dernier épisode de meurtres ciblés selon des critères ethniques par les Forces de soutien rapide au Darfour occidental présente les caractéristiques d'une campagne organisée d'atrocités contre les civils massalits », a déclaré Mohamed Osman, chercheur sur le Soudan à Human Rights Watch. « Le Conseil de sécurité de l'ONU devrait cesser d'ignorer le besoin criant de protéger les civils du Darfour. »

Selon l'agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), environ 800 personnes ont été tuées lors des attaques de début novembre à Ardamata. Des observateurs locaux des droits humains ont interrogé des survivants arrivés au Tchad et ont estimé que le nombre de morts, principalement des civils, était compris entre 1 300 et 2 000, dont des dizaines de personnes tuées sur la route vers le Tchad. Au moins 8 000 personnes ont fui vers le Tchad, rejoignant environ 450 000 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, déplacées par les attaques au Darfour occidental notamment entre avril et juin.

Human Rights Watch a transmis une lettre aux Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF), partageant ses conclusions et ses questions, mais n'avait reçu aucune réponse avant la date de publication

Des images satellite enregistrées durant la première semaine de novembre montrent l'impact des bombardements sur les infrastructures civiles et militaires, ainsi que les pillages et les incendies criminels au sein et autour du camp de personnes déplacées d'Ardamata. Les images satellite montrent également d'éventuelles nouvelles tombes et corps dans la rue.

Un conflit a éclaté le 15 avril au Soudan entre les deux forces militaires du pays, les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide. Entre avril et juin, les Forces de soutien rapide et les milices alliées ont mené des vagues d'attaques contre les quartiers à majorité Massalit d'El Geneina, ainsi que d'autres villes et villages de la région, ciblant à grande échelle les civils.

Les recherches en cours de Human Rights Watch et les rapports des médias indiquent qu'ils ont tué des milliers de civils, incendié des quartiers entiers et des sites où des personnes déplacées avaient trouvé refuge à El Geneina, pillé à grande échelle et violé des femmes et des filles. Ces attaques ont entraîné le déplacement forcé de centaines de milliers de civils, dont des milliers ont cherché refuge à Ardamata. Une base des Forces armées soudanaises et un camp de personnes déplacées sont situés dans cette ville.

Des survivants et des observateurs locaux ont déclaré que le 1er novembre, les combats ont repris entre les Forces de soutien rapide et les Forces armées soudanaises. Au cours des deux jours de violents combats qui ont suivi, les deux parties ont bombardé la banlieue, touchant parfois des civils. Les habitants ont déclaré que certains combattants massalits ont rejoint le combat aux côtés des Forces armées soudanaises. À partir du 4 novembre, une fois que les Forces de soutien rapide et les milices ont pris le contrôle de la base des Forces armées soudanaises, elles se sont déchaînées dans le camp de personnes déplacées et dans d'autres zones résidentielles, toutes en grande partie habitées par des membres de la communauté Massalit et d'autres groupes non arabes.

Les survivants ont déclaré que les Forces de soutien rapide et les forces alliées ont tiré sur des civils alors qu'ils s'enfuyaient et exécuté des personnes dans leurs maisons, dans leurs abris et dans les rues. Les survivants ont expliqué que les assaillants avaient insulté les Massalits et, dans certains cas, ont déclaré qu'ils voulaient « tuer des Massalits ». Les assaillants ont principalement tué des hommes massalits, mais deux personnes interrogées ont déclaré que des personnes appartenant à des groupes non arabes, notamment des membres des ethnies Tama et Eringa, avaient également été tuées et blessées.

Le 7 novembre, un agriculteur massalit âgé de 45 ans a déclaré que des miliciens arabes accompagnés de véhicules des Forces de soutien rapide sont entrés dans la maison où il s'abritait dans le camp d'Ardamata. Les assaillants ont amené sept hommes devant la maison.

« Ils [les assaillants] m'ont ordonné de sortir de la maison », a déclaré l'homme. « Au moment où je suis sorti, un ou deux Arabes ont tiré à bout portant sur les sept hommes. Ils les ont immédiatement exécutés. Ils gisaient tous là, par terre. L'un des [assaillants] m'a crié : 'Tu vois combien nous en avons tué ?' Ils m'ont alors ordonné de quitter la ville. »

Comme lors des vagues de violence à El Geneina il y a cinq mois à peine, les Forces de soutien rapide et leurs alliés ont pris pour cible des membres éminents de la communauté Massalit. Parmi eux se trouvait Mohamed Arbab, 85 ans, un chef de tribu de la ville de Misterei qui aurait été tué aux côtés de son fils et de ses sept petits-enfants le 4 novembre.

Des vidéos et des images publiées sur les réseaux sociaux début novembre, vérifiées et analysées par Human Rights Watch, montrent des membres des Forces de soutien rapide et des miliciens arabes arrêtant plus de 200 hommes et garçons dans 3 sites d'Ardamata.

Une série de cinq vidéos mises en ligne sur Telegram et Facebook entre les 4 et 5 novembre montrent également un groupe d'au moins 125 hommes et garçons contraints de courir vers l'aéroport d'El Geneina, à l'est d'Ardamata. Plusieurs hommes sont visiblement blessés, dont certains boitent, tandis qu'une personne est portée par quatre autres hommes. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de déterminer ce qui est arrivé à ces hommes.

Les assaillants ont pillé des maisons et dévalisé des personnes alors qu'elles s'enfuyaient, les battant et les maltraitant. Des signes de pillages et d'incendies criminels sont visibles sur les images satellite prises du camp d'Ardamata entre le 5 et le 7 novembre, avec des incendies visibles autour du cimetière du camp.

Des vidéos diffusées le 4 novembre sur le compte officiel X (anciennement Twitter) des Forces de soutien rapide, et géolocalisées par Human Rights Watch, montrent Abdel Raheem Hamdan Dagalo, commandant adjoint des Forces de soutien rapide et frère du chef des Forces de soutien rapide Mohamed Hamdan Dagalo « Hemedti », à Ardamata célébrant avec ses forces la prise de la base des Forces armées soudanaises, aux côtés du général Abdel Rahman Joma'a, commandant des Forces de soutien rapide au Darfour occidental. À la suite de la prise de contrôle de la base, Abdel Raheem a annoncé que Joma'a avait été nommé commandant de la 15ème division militaire.

En vertu du droit international, les attaques délibérées contre la population civile, notamment les exécutions extrajudiciaires, les mauvais traitements infligés aux civils et à toutes les personnes qui ne participent pas aux combats, comme les détenus et les blessés, ainsi que les déplacements forcés, violent les lois de la guerre et peuvent être poursuivis en justice comme crimes de guerre. Les actes de meurtre, de viol, de torture, d'expulsion, de persécution et autres infractions, commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre une population civile sur la base d'une politique gouvernementale ou organisationnelle, constituent des crimes contre l'humanité.

Le 16 novembre, le Soudan a demandé à l'ONU de mettre fin au mandat de la mission politique de son pays. Le lendemain, le secrétaire général de l'ONU a nommé un envoyé personnel au Soudan, réduisant ainsi considérablement la surveillance de la situation par l'ONU. Le Conseil de sécurité de l'ONU et d'autres parties prenantes essentielles devraient envisager toutes les options pour prévenir de nouvelles atrocités et protéger les populations civiles. Dans un premier temps, les membres du Conseil de sécurité de l'ONU devraient organiser une visite du Conseil dans l'est du Tchad pour rencontrer les survivants des atrocités actuelles au Darfour, selon Human Rights Watch.

En outre, les membres du Conseil de sécurité de l'ONU et les autres gouvernements concernés devraient sanctionner quiconque viole l'embargo sur les armes imposé par le Conseil de sécurité au Darfour depuis 2004. Le Conseil de sécurité devrait étendre l'embargo à l'ensemble du pays, a déclaré Human Rights Watch. Ils devraient également soutenir l'enquête en cours de la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes commis au Darfour et le Mécanisme international indépendant d'établissement des faits de l'ONU sur le Soudan, notamment en contactant ces organismes pour connaître l'assistance qu'ils pourraient apporter.

Le Royaume-Uni, l'Union européenne, l'Union africaine, l'Autorité intergouvernementale pour le développement et les autres gouvernements concernés devraient immédiatement imposer des sanctions ciblées contre Abdel Raheem et Abdel Rahman, les plus hauts commandants des Forces de soutien rapide apparemment présents lors des attaques d'Ardamata. Ils devraient, ainsi que les États-Unis, sanctionner également Hemedti, le chef des Forces de soutien rapide, pour les graves abus commis par les forces sous son commandement.

« Les acteurs régionaux et internationaux ont ignoré les inquiétudes que les survivants ont soulevées pendant des mois sur les risques de nouvelles atrocités dans le Darfour occidental », a conclu Mohamed Osman. « Le Conseil de sécurité devrait prendre des mesures concrètes face à la gravité de la situation, imposer des sanctions contre les principaux commandants, demander la libération des personnes illégalement détenues et soutenir les efforts de reddition des comptes dans la région. »

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