Ile Maurice: Véritable casse-tête national

29 Novembre 2023

Faut-il, pour venir en aide aux salariés essoufflés par les effets d'une inflation persistante et galopante - qui ne sait ni ralentir, ni s'arrêter -, légiférer pour que le versement d'un 14e mois de salaire puisse être fait comme une lettre à la poste ?

Entrée par la grande porte de l'Assemblée nationale le 21 novembre sur l'intervention du leader de l'opposition, Xavier-Luc Duval, dans sa Private Notice Question (PNQ), cette procédure parlementaire l'autorisant à présenter sans préavis au ministre concerné, une question d'intérêt national de son choix.

Une question présentée sans préavis obligatoire garde toujours son lot de surprises. Un leader de l'opposition marque rarement des points lors des échanges associés à sa PNQ. Car habitués à de telles opérations, les fonctionnaires font, tous les mardis, montre de leurs capacités à créer les conditions pour qu'un ministre dispose d'arguments solides en l'espace d'une toute petite heure pour ne jamais permettre au leader de l'opposition de donner l'impression d'avoir marqué des points.

La question relative à l'octroi d'un quatorzième mois de salaire a fait exception à cette règle. «Monsieur le président», devait indiquer le ministre du Travail, Sodesh Callichurn, «loin de moi l'idée de donner à comprendre que nous allons ou pas légiférer pour l'octroi d'un 14e mois de salaire. J'insiste pour souligner que le recours à des consultations est indispensable.»

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Depuis que la question d'un 14e mois a tenu la vedette à l'Assemblée, elle a du même coup cessé de n'ètre qu'une affaire des parlementaires. Elle s'est automatiquement octroyé le statut d'enjeu national, et fait figure de symbole comparable à un piqueniqueur tombé accidentellement à l'eau et à qui on envoie désespérément un gilet de sauvetage pour tant soit peu l'empêcher d'être définitivement emporté par des vagues qui déferlent leur force destructive à un rythme effréné. Ce gilet de sauvetage, c'est bien l'octroi de ce 14e mois de salaire. L'essoufflement du piqueniqueur, c'est la perte du pouvoir d'achat.

S'il est vrai que certaines compagnies, vu leur dernier bilan financier, affichent une bonne santé, ce n'est hélas pas le cas pour tous les acteurs économiques à qui l'État impose l'obligation de verser un bonus de fin d'année. Si ces sociétés font le geste dans un élan national pour ne pas aggraver davantage la situation du pouvoir d'achat de leurs employés, que devront faire les autres ? En examinant un des arguments du ministre Callichurn, il n'est pas interdit de croire que l'État va contribuer pour que ce 14e mois devienne une réalité.

Pour l'économiste Eric Ng, il est indispensable de savoir selon quel principe le versement d'un 14e mois de salaire va se faire. La question pertinente, selon lui, c'est de savoir qui va passer à la caisse. Si c'est le gouvernement, cela veut dire que c'est l'argent du contribuable qui servira de source de financement du coût de ce 14e mois. Il estime que, si le paiement d'un 14e mois devient obligatoire à la fin de chaque année civile, cette décision posera problème aux sociétés qui, pour une raison ou une autre, n'auront pas les moyens de s'acquitter d'une telle obligation. Bref, tout dépendra de ce que le gouvernement dira sur la modalité de paiement de ce bonus additionnel. L'économiste se dit prêt à comprendre, surtout le cas des travailleurs au bas de l'échelle salariale qui sont confrontés à une baisse constante de leur pouvoir d'achat. Cependant, il insiste sur le fait que pour pouvoir s'acquitter d'une telle obligation, un employeur doit démontrer qu'il en a les moyens.

Pour la secrétaire de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP), Jane Ragoo, ce qui compte, c'est toute forme d'initiative qui contribue à l'amélioration des conditions de vie de ces travailleurs qui touchent un très bas salaire. Elle souligne qu'un des aspects les plus marquants du combat du CTSP, c'est le relèvement des bas salaires. Elle rappelle comment l'organisation d'une grève de la faim de dix jours en faveur des femmes affectées au service de nettoyage dans le jardin de la Compagnie en octobre 2017 avait abouti à la hausse des salaires de cette catégorie d'employées à Rs 8 000 contre les Rs 4 500 qu'elles touchaient jusque-là. La syndicaliste rappelle aussi comment ce mouvement de grève avait débouché sur la mise en place d'une enquête du National Consultative Wage Council (NWCC) pour se pencher sur la possibilité d'instituer un salaire minimum national. «La demande du CTSP auprès du conseil d'administration du NWCC est que le montant du salaire minimum national devrait se situer autour de Rs 15 000 et la compensation salariale de Rs 1 500.»

Il est fort probable que le gouvernement fasse connaître sa position sur cette question à la suite du prochain conseil des ministres. S'il y a un point sur lequel tout le monde est d'accord, tout en le manifestant chacun à sa manière, c'est que l'érosion du pouvoir d'achat est un véritable drame pas seulement pour les Mauriciens, mais aussi dans le monde entier. L'inflation est devenue un phénomène planétaire, aidé en cela par deux phénomènes - la pandémie de Covid-19, suivie du déclenchement des hostilités par la Russie à l'encontre de son voisin l'Ukraine. Ce qui saute aux yeux, c'est l'indéniable effet de surprise de l'impact de ces phénomènes. Une situation qui est venue mettre à nu l'inexistence d'un état de préparation et d'anticipation pour aider le pays à y faire face. Les réponses conventionnelles semblent avoir du mal à s'imposer. On tourne en rond.

Qu'est-ce qui se cache derrière l'idée d'octroyer un 14e mois de salaire, si ce n'est la recherche d'une posture pour tant soit peu atténuer les effets de tels phénomènes sur le budget familial surtout ? Le gouvernement est coincé car s'il refuse de se pencher sur la possibilité de ce bonus additionnel, il risque d'avoir le petit peuple contre lui et l'opposition marquera des points. Où va-t-il donc trouver cet argent ? S'il frappe à la porte de la Mauritius Revenue Authority, ce sont les contribuables qui vont froncer les sourcils. Quelque part, quelqu'un devra payer.

Pour éviter de se trouver de nouveau dans de telles situations, le temps n'est-il pas venu pour que le gouvernement se dote d'un service de recherche et développement pour trouver la porte de sortie financière devant ces phénomènes qui n'ont pas dit leur dernier mot ? Pourquoi ne pas envisager le recours à une police d'assurance grandeur nature pour se prémunir des effets de tels phénomènes ? Si c'était le cas aujourd'hui, ce serait été le prestataire d'un tel service qui serait en train de mettre la main à la poche. Et si le contrat avec cette compagnie d'assurance était libellé en dollars américains ? Avec un dollar qui valait Rs 44,59 hier, le pays se serait trouvé avec des milliards de roupies en termes de compensation pour les préjudices subis par la manifestation de ces phénomènes planétaires.

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