Tunisie: Nexus Eau, Énergie et Alimentation - Et si c'était la solution ?

2 Décembre 2023

Il ne faut pas se prendre la tête. Le concept peut paraître complexe. Toutefois, il met, tout simplement, cette liaison indissociable entre les trois éléments fondamentaux que sont l'eau, l'énergie et l'alimentation au coeur de toute politique et réflexion stratégique. L'étude, réalisée par le think tank Solidar Tunisie, propose en effet une adaptation de ce nexus au contexte tunisien, en l'élargissant pour inclure deux facteurs pesant sur l'avenir de la Tunisie, en l'occurrence le sol et le changement climatique, et en cherchant à l'appliquer à une échelle locale. Les auteurs de l'étude ont conclu que la mise en place d'un nexus EEA efficace nécessite une approche ascendante qui part du niveau local vers le central.

Le nexus eau, énergie et alimentation, est un concept qui a vu le jour après la crise financière de 2008 pour répondre aux défis socioéconomiques pressants auxquels font face les pays en voie de développement.

L'étude récemment publiée par Solidar Tunisie propose une version adaptée de l'approche. Dans une première étape, elle a intégré le changement climatique et le sol, deux éléments menaçant la sécurité alimentaire du pays, en tant qu'éléments essentiels à prendre en compte dans toute future réflexion.

"Ce nexus favorise les synergies entre les différents départements chargés de la gestion des diverses ressources utilisées. Il limite, également, les contraintes. Il développe une nouvelle vision, une nouvelle approche qui ne peut être basée que sur l'approche systémique", explique Amel Jrad, experte et auteure de l'étude, dans une déclaration à La Presse.

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Et d'enchaîner : "On a ajouté à ce nexus le sol qui est indispensable pour l'alimentation et le changement climatique qui génère des contraintes pesant sur le développement humain en Tunisie, sur la vie même des citoyens. Il faut un véritable changement de paradigme. Et c'est ce à quoi nous appelons aujourd'hui".

Les politiques sectorielles et systématiques ne suffisent plus

En effet, l'étude part du constat que les politiques sectorielles et systématiques ne suffisent plus et que les problèmes de cohérence observés au niveau de ces politiques freinent ou empêchent l'atteinte des objectifs escomptés des stratégies conçues au niveau central.

"C'est là que les deux auteurs de l'étude ont introduit la logique de la pensée systémique comme étant une façon de regarder l'ensemble des composantes comme étant un système unique avec des éléments qui sont strictement interdépendants", a expliqué de son côté Iheb Ben Salem, expert à Solidar Tunisie.

Les auteurs de l'étude ont conclu que la mise en place d'un nexus EEA efficace nécessite une approche ascendante qui part du niveau local vers le central. Pourquoi ? Tout simplement parce que les spécificités des régions sont différentes.

"L'échelle locale a sa pertinence parce que tout simplement les problématiques de l'eau, de l'énergie, de l'alimentation au niveau local varient d'une région à l'autre. Ce n'est pas la même problématique que vous voyez à Jendouba, à Tataouine ou à Sfax", a indiqué Ben Salem.

L'intérêt pour l'approche locale découle également de la possibilité de collecter des données fiables et scientifiques. "Nous avons besoin d'expérimenter le nexus, pour sortir de la data scientifique et technique, à partir de laquelle nous pouvons, d'une part, améliorer l'expérience jusqu'à atteindre l'optimisation. Et, d'autre part, également la déployer d'une façon générale pour rester dans un cadre harmonieux, même avec les disparités et les différences régionales", a ajouté l'expert.

Les GDA comme institutions de gouvernance locale

C'est dans ce cadre que des ateliers régionaux ont été organisés par le think tank dans trois régions pilotes, en l'occurrence Jendouba, Gabès et Kebili, et ont permis de voir à quel point les pratiques ancestrales qui intègrent spontanément le nexus EEA sont ancrées chez les habitants locaux. "Il y avait une logique dans ces choix-là. Jendouba, c'est la ville où il y a le plus d'eau, mais où les gens ont le plus de difficultés à accéder à l'eau. Kébili, c'est la région la plus pauvre en eau et Gabès c'est la région paradoxe, parce que c'est une région pauvre en eau, mais dans laquelle se trouve un grand consommateur industriel, à savoir le groupe chimique.

Même si actuellement le groupe a changé de stratégie et il a commencé à préparer son plan d'investissement pour une station de dessalement, pendant des décennies le Groupe chimique a carrément épuisé les nappes aquifères de la région de Gabès. Il fallait donc voir comment les gens survivent avec ça. Et ce qu'on a découvert était fascinant. Tout simplement les gens ont déjà, dans les pratiques ancestrales, la logique et la philosophie du nexus Eau Energie Alimentation, sans pour autant qu'ils en sachent quoi que ce soit par rapport au nexus, en tant qu'approche académique", a ajouté Ben Salem.

Grâce aux données collectées au niveau de ces régions, les experts sont parvenus à une évidence : il faut décentraliser la gouvernance de l'eau, l'énergie, l'alimentation, mais aussi des sols et de l'environnement à une échelle locale communautaire. Cette gouvernance locale peut être encadrée par des acteurs institutionnels en termes de réglementation et d'orientation stratégique. Une des pistes de solutions identifiées à ce niveau-là figure les GDA, qui ont fait leur preuve en termes de gestion d'eau. Mais pour ce faire, il va falloir opérer des changements réglementaires, mais aussi trouver des financements, une entreprise qui n'est pas aussi difficile, estiment les experts.

"Il faut, d'abord, réviser la réglementation elle-même pour étendre l'activité de la GDA au-delà de l'eau et intégrer l'énergie, la production agricole, l'environnement et le sol. Deuxièmement, il faut changer le modèle économique des GDA parce qu'aujourd'hui le problème central auquel ils sont confrontés est un problème économique. Ils ne sont pas rentables, parce que le coût de la production augmente alors que le prix de vente au profit des agriculteurs ou des citoyens est toujours le même. [..] Et puis il y a l'aspect "renforcement capacitaire", car la plupart de leurs membres n'ont pas les compétences nécessaires", a précisé Ben Salem.

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