Maroc: Un procédé salvateur qui reste cher, énergivore et pollueur

L'irrigation par le dessalement de l'eau de mer

«Le Maroc ambitionne d'irriguer 104.000 hectares de terres agricoles grâce à la technique du dessalement d'eau de mer», c'est ce qui ressort de l'intervention de Mohammed Sadiki, ministre de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, mardi à la Chambre des conseillers.

Selon lui, il s'agit de plusieurs projets d'irrigation qui concernent diverses régions (Sidi Rahal, Tan Tan, Guelmim, Tiznit, Essaouira, Chichaoua, Walidia et Boujdour) et qui s'inscrivent dans le cadre de l'opérationnalisation de la stratégie Green Génération et du programme national d'approvisionnement en eau potable et irrigation 2020-2027.

Toutefois, si l'idée est louable, notamment en ces temps de stress hydrique, cette technique, aujourd'hui bien établie pour l'approvisionnement en eau des agglomérations et des industries, dans certains pays, reste néanmoins problématique au niveau économique et environnemental.

Un procédé cher, énergivore et pollueur

Dans leur article «Géopolitique du dessalement d'eau de mer», les chercheurs de l'IFRI, Marc-Antoine Eyl-Mazzega et Elise Cassignol, soutiennent que le dessalement d'eau de mer reste un procédé cher, énergivore et qui rejette des quantités importantes de gaz à effet de serre (GES) dans la plupart des pays dotés d'un mix électrique très intensif en CO2.

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« La consommation électrique des usines est élevée, variant selon les techniques à l'oeuvre ; si les procédés de dessalement thermique, de moins en moins utilisés, consomment plus de 5 kilowattheures (kWh) d'énergie par m3 d'eau dessalée, le procédé de dessalement par osmose inverse, le plus répandu désormais, permet de dessaler 1 mètre cube (m3) d'eau avec en moyenne entre 2,5 et 3 kWh ».

Les deux chercheurs citent l'exemple saoudien qui nous révèle que « la consommation d'électricité du secteur du dessalement d'eau a été multipliée par trois en Arabie Saoudite pendant la période 2005-2020, pour atteindre environ 6 % de la consommation totale d'électricité du royaume, soit environ 17 térawattheures (TWh) en 2020, ou l'équivalent de la production annuelle d'une grosse centrale nucléaire ». Pour eux, « un doublement des capacités de dessalement fera donc bondir la demande d'électricité, et les émissions associées si le mix électrique largement dominé par les hydrocarbures reste inchangé. La demande de gaz et de pétrole pour produire cette électricité en serait aussi augmentée ».

Un autre enjeu qui se pose quant au dessalement, expliquent les deux chercheurs, est « la gestion des saumures, c'est-à-dire des particules de sel qui ont été séparées de l'eau de mer et qui sont souvent rejetées dans la mer causant une augmentation des niveaux de salinité de l'eau ».

Enfin, dernier enjeu clé, précisent-ils, est celui de l'amélioration des performances sur l'ensemble de la chaîne, et pas uniquement au niveau de la production. « Les pertes sur les réseaux de transmission et de distribution à la sortie des usines jusqu'aux consommateurs finaux sont extrêmement élevées, atteignant des niveaux de plus de 50% dans la plupart des pays du Golfe. Dès lors, si le recours au dessalement semble inévitable et voué à connaître une expansion très forte, il est urgent de sortir de la dépendance de ces procédés aux énergies fossiles car le doublement des capacités installées au Moyen-Orient d'ici à 2030 devrait provoquer une hausse importante des émissions, à moins que les mix électriques, à l'instar des EAU qui ont notamment déployé du nucléaire, ne se verdissent », concluent-ils.

Des contraintes fortement économiques

Un document de la FAO intitulé :« Dessalement de l'eau à des fins agricoles », indique que si l'utilisation d'eau dessalée pour l'irrigation est techniquement faisable, les seules contraintes demeurent celles économiques. « L'eau peut-elle être dessalée à un coût suffisamment bas pour être commercialement viable? Ou bien, la forte valeur de la production peut elle justifier l'utilisation d'eau dessalée pour l'irrigation? Existe-t-il des contraintes environnementales potentielles susceptibles de limiter son utilisation? », s'interrogent les experts de la FAO.

En effet, et malgré les avancées des technologies de dessalement qui font baisser les coûts unitaires, précise le document de la FAO, « l'irrigation agricole utilisant l'eau dessalée n'est pas très répandue - selon les estimations, moins de 10% de la capacité de dessalement mondial sont utilisés pour l'irrigation.

Ce chiffre englobe probablement l'irrigation d'agrément (espaces verts urbains) et l'irrigation des terrains de sport (golf) en milieu urbain, qui peuvent souvent justifier le coût unitaire élevé de l'eau dessalée ».

Le document en question cite l'exemple de l'Espagne qui est un pays pionnier en matière d'utilisation d'eau dessalée dans l'agriculture. « En 2006, 40% environ (quelque 550.000m3/jour) de la capacité nationale d'eau dessalée auraient été utilisés pour l'agriculture afin de contribuer à atténuer la pression exercée sur les aquifères surexploités et de résoudre les problèmes d'intrusion saline le long de la plaine côtière d'Almeria. Toutefois, bien que l'excellence technique de l'Espagne en matière de dessalement soit reconnue, il n'existe guère d'informations sur cette expérience et rares sont les données disponibles sur les cultures, les surfaces irriguées ou la justification des coûts pour l'utilisation agricole », indique le document. Et d'expliquer:« Le dessalement de l'eau saumâtre souterraine à des fins agricoles est également pratiqué dans un petit nombre d'exploitations agricoles privées au Proche-Orient, par exemple dans les Emirats arabes unis. Les cultures à forte valeur, telles que les salades vertes, les fraises et les fleurs à couper sont pratiquées de cette façon; toutefois, on dispose de peu d'informations sur le coût du dessalement et sa rentabilité économique».

Une étude conduite au Maroc avec l'aide de la FAO a révélé que le dessalement d'eau de mer à des fins agricoles pouvait être viable sur le plan économique, sous réserve de produire des cultures de rente à forte valeur et à condition que l'usine de traitement couvre une surface irriguée de 7.000 à 10.000 ha. Les agriculteurs auraient les moyens de prendre en charge 30 à 40% de l'investissement et la totalité des frais de fonctionnement et d'entretien.

Les experts de la FAO estiment que « la qualité de l'eau utilisée pour l'irrigation et l'agriculture durable n'a pas besoin d'être aussi parfaite que celle de l'eau utilisée pour la consommation domestique. Par conséquent, la qualité de l'eau requise dépendra du climat, des sols, des systèmes de culture et des pratiques de gestion de l'eau. Au demeurant, on peut se demander si l'eau dessalée ne serait pas trop 'pure' pour une utilisation agricole, dans la mesure où elle est susceptible de manquer des éléments minéraux naturels dont les plantes ont besoin pour une bonne croissance. ».

Hassan Bentaleb

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