Ile Maurice: «Le moment est venu pour nous de nous réinventer»

16 Décembre 2023
interview

La Society for Aid to Children Inoperable in Mauritius (SACIM) a organisé, samedi dernier, sa fête de Noël, qui réunira notamment les anciens malades ayant été opérés avec succès en Australie et en Inde grâce à elle.

Cette organisation non gouvernementale (ONG), qui existe depuis 1967 et présidée par Neena Ramdenee, docteure en pharmacie, vit un dilemme : elle dispose de fonds mais attire peu de patients, malgré des changements apportés à ses statuts. L'ONG reconnaît sa part de responsabilité dans cet état des choses.

Cela fait très longtemps qu'on n'entend pas parler de la SACIM. Pourquoi ?

Comme toutes les organisations non gouvernementales, et surtout celles qui datent, nous avons fait un travail de fourmi jusqu'ici et nous pensons, à tort, que tout le monde nous connaît. Je suis convaincue qu'il y a encore beaucoup d'enfants qui ont besoin de nous. Mais nous recevons de moins en moins de malades. Tous ceux qui ont été traités à l'étranger aux bons soins de la SACIM sont de la génération des années 70-80. Je crois que les parents de jeunes enfants malades ignorent l'existence de la SACIM.

Comment est-ce possible?

Je pense qu'il y a eu un manque de communication de notre part et que nous n'avons pas fait suffisamment de sensibilisation. Or, personne ne fait la même chose que nous. Nous sommes très spécifiques et peut-être même un peu trop.

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Voulez-vous dire que vos critères d'acceptation d'un patient sont trop précis ?

Ils le sont, même si nous avons amendé partiellement nos statuts en novembre 2020 pour permettre la prise en charge des opérations localement. Pour qu'un enfant puisse être opéré une première fois par le biais de la SACIM, il doit être âgé de moins de 18 ans et ne doit pas être opérable dans un hôpital public à Maurice. Nous avons modifié certains aspects de nos statuts, notamment le seuil d'éligibilité pour les parents. Autrefois, un couple ne devait pas gagner plus de Rs 50,000 mensuellement pour que son enfant soit éligible à une intervention par le biais de notre organisation. Nous avons haussé ce seuil à Rs 75,000 car nous nous sommes rendus compte que de nombreux parents n'ont pas les moyens en raison d'un endettement élevé, ainsi que des dépenses sur des leçons particulières. Sans compter que depuis la pandémie du Covid19, le coût de la vie a augmenté.

Quels autres changements avez-vous apporté à vos statuts ?

Lorsque la SACIM a démarré ses opérations, elle se concentrait uniquement sur les enfants souffrant de maladies cardiaques et inopérables à Maurice. De nos jours, de nombreuses maladies du coeur sont opérées dans les hôpitaux publics et les enfants souffrant d'une grave maladie cardiaque sont de plus en plus rares. Nous sommes heureux de voir que la République de Maurice fait son devoir et s'occupe des jeunes malades. Nous avons donc décidé d'accepter des enfants souffrant de toutes les maladies, par exemple orthopédiques, des enfants ayant besoin d'implants cochléaires, sauf lorsqu'il s'agit d'un cancer, d'une maladie mentale ou d'un enfant nécessitant une transplantation d'organe. De plus, même si dans nos statuts, on parle d'enfants inopérables à Maurice, si les cliniques locales peuvent pratiquer les opérations, on les y envoie. Par exemple, nous avons signé un protocole d'accord avec l'hôpital Wellkin pour des interventions chirurgicales compliquées. D'ailleurs, durant la pandémie du Covid-19 lorsque les déplacements outre-mer étaient interdits ou compliqués, nous avons référé des enfants à Wellkin pour 27 interventions au coût de Rs 9 millions. C'était des opérations pour malformations physiques, pour des maladies intestinales et des interventions orthopédiques. En 2022, nous avons eu cinq nouveaux cas et en 2023, quatre nouveaux cas traités localement et deux suivis de deuxième opération en Inde. Mais c'est tout.

Malgré les changements que vous avez apportés, vous n'avez pas plus d'enfants malades qui viennent toquer à votre porte ?

Non. En sus de notre manque de communication, là où le bât blesse également c'est que certains au niveau de l'autorité gouvernementale pensent que nous sommes en concurrence avec le ministère de la Santé et les hôpitaux. Dans le passé, un ministre de la Santé l'a d'ailleurs dit publiquement. Or, rien n'est plus faux. Le problème avec le système public c'est que lorsqu'un enfant inopérable se rend à l'hôpital, on lui dit d'attendre qu'un médecin étranger arrive et on lui donne du paracétamol. Or, trois mois ou plus peuvent s'écouler avant que le praticien étranger ne débarque. Et il arrive alors que l'enfant devienne irrémédiablement inopérable ou bien meure entretemps. Il faudrait que le ministère de la Santé fasse davantage de collaborations avec les centres hospitaliers universitaires d'autres pays pour qu'il y ait un plus grand nombre de spécialistes qui puissent venir opérer les enfants inopérables à Maurice et que l'attente soit ainsi réduite. Il y aussi un autre problème avec les hôpitaux publics. Quand un enfant inopérable a été traité d'abord dans un hôpital, lorsqu'il veut se tourner vers nous ou vers une clinique privée, il ne peut obtenir son dossier médical de l'hôpital. De ce fait, quand un enfant se présente chez nous, nous devons refaire tous les examens et tous les bilans. On ne peut même pas savoir quels tests qui lui ont été faits. Il faut donc tout recommencer à zéro. Et nous savons tous qu'un enfant n'a pas besoin d'être autant exposé à des rayons X qui sont nocifs si l'on abuse. Cette collaboration entre les hôpitaux et nous fait défaut.

Préférez-vous envoyer vos patients à l'étranger ?

Nous référons généralement nos malades à Bangalore où les médecins ont une réputation internationale et où il y a l'infrastructure qui fait défaut à Maurice. Nous avons aussi une collaboration en Australie, plus précisément à Perth où nous envoyons aussi nos enfants. Autant en Australie, nous n'avons que le déplacement à assurer car la prise en charge sur place est effectuée par la Children of Mauritius Medical and Surgical Support Association, lorsque nous les envoyons à Bangalore, nous payons tout, le transport, l'hôpital, l'hébergement pour l'enfant et sa maman et le coût de l'intervention. Avant de faire pratiquer une intervention à l'échelle locale, on compare les prix. Si au final, les coûts globaux sont les mêmes, l'intervention chirurgicale stricte est moins chère en Inde. Et puis, si l'on voit qu'à Maurice, on ne peut pas opérer, on envoie en Inde. L'avantage d'opérer localement est appréciable car l'enfant reste à Maurice, est proche de toute sa famille, et nous pensons que moralement, cela fait une grosse différence, surtout quand les soins post-opératoires sont longs. Je dois aussi dire que nous agissons comme facilitateur en donnant des référents et des adresses à ceux qui ont besoin d'interventions en Inde. Nous l'avons déjà fait pour un enfant dont les parents voulaient qu'il soit opéré en Inde et ils avaient une assurance.

Donc, vous ne manquez pas de fonds ?

L'argent est là. La National Social Inclusion Foundation nous donne Rs 3 millions annuellement et nous avons d'autres parrains. Il ne nous manque que des patients. Cette situation est triste. À un moment, c'était l'inverse. Trois pédiatres dont un est plus ou moins à la retraite, collaborent bénévolement avec nous. Il faudrait que les autres pédiatres du privé ou ceux dans les hôpitaux publics nous réfèrent leurs malades graves. Les membres du comité de la SACIM et moi souhaitons faire un appel aux parents, aux familles, aux amis, aux voisins qui connaissent les problèmes et la souffrance de jeunes malades ayant besoin d'opérations: qu'ils nous contactent. Notre objectif est de soigner les enfants inopérables.

Qu'allez-vous faire pour remédier à ce manque de visibilité de votre part ?

Nous avons un riche bilan, soit 972 opérations en 56 ans et plusieurs success stories. Mais le moment est venu pour nous de nous réinventer. Nous allons revamper notre site Web et mener des campagnes de communication, notamment à travers les médias.

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