Ile Maurice: Comment ne pas plomber le réveillon

19 Décembre 2023

La période entre Noël et le Nouvel An est souvent considérée comme le moment entre l'heure du thé et celle de l'apéro. Personne, ou presque, ne pense à grand-chose sauf les préparatifs du prochain événement. Mais il y a toujours cette poignée de personnes qui ne peuvent pas profiter pleinement de chaque instant. Ce lourd secret qu'elles portent et qui les empêche d'être totalement elles-mêmes lorsqu'elles ne sont pas seules. Au milieu de ces cachotteries : l'étape cruciale du coming out. La lumière au bout du tunnel qui leur permettra enfin de s'affranchir de la façade présentée depuis des années, voire des décennies. Est-ce une bonne idée de le faire à ce moment, pendant que tout le monde est joyeux ? Ou cela va-t-il plomber l'ambiance et faire chuter la tension artérielle du cliché de l'oncleaux-blagues-homophobes ?

Karola Zuël est pair éducatrice. Le coming out nécessite tout une préparation. «Il faut bien choisir ses mots, réfléchir aux réactions possibles en amont. Plus le vocabulaire est simple, mieux c'est.» Le moment propice ? «Il n'y en a pas vraiment. Tout dépend de la relation que la personne entretient avec sa famille. Il y a aussi les diverses manières de penser. Par exemple, il y a ceux qui estiment que c'est hors-norme et contraire aux valeurs de la société. Ou bien, il y a ceux qui sont réceptifs. Il y a une multitude de facteurs à prendre en considération.»

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Tout ce que Karola Zuël avance, Yoan Bon-A-Tout l'a vécu. Et le jeune entertainer, aujourd'hui âgé de 28 ans, ne s'en porte pas plus mal. Certes, il n'a pas fait son coming out pendant la période des fêtes, mais c'était quand même lors d'une occasion spéciale. L'anniversaire de sa mère en 2019. Ce jour-là, il n'avait aucune intention d'avoir cette grande conversation. «Mais je parlais à ma mère, nous faisions des plans pour ses 60 ans, qu'elle allait fêter dans quelques années», se souvient-il. «Mo pou ankor la sa?» lui a demandé sa mère. Ce fut un déclic. Il est parti vaquer à ses occupations et un peu plus tard, il a tout dévoilé à sa mère. Les mots, il s'en souvient encore. «Mo'nn dir li li pa pou gagn enn belfi. Li pou gagn zann.» Pas de drame, pas de «met déor». Sa mère l'a accepté sans problème.

Pourquoi avoir choisi ce jour-là ? Justement, ce n'était pas un choix, répond Yoan Bon-A-Tout. Il s'est dit que si un malheur frappe vraiment sa famille, sa mère ne saurait jamais qui il est vraiment. Conseille-t-il de choisir un moment festif ? Sur ce point, il rejoint Karola Zuël. Il n'y a pas de conseil général à donner. Tout dépend de la relation avec la famille, à quel point l'endroit est un *«safe space», comment tous ceux présents vont réagir, si justement il n'y a pas de risque avec l'oncle-aux-blagues-homophobes. Mais il rajoute une mise en garde. «Ce n'est pas quelque chose à prendre à la légère. Il faut attendre au moins d'être majeur et d'avoir une stabilité financière pour pouvoir faire face aux situations adverses si elles se présentent.» Ne plus avoir ce poids à porter est certes une libération, «mé pa met dan latet enn fet sa», réitère-t-il. «Avant de se révéler aux autres, esprit festif ou pas, il faut se connaître soi-même.»

Et le cheminement pour se connaître, Yoan Bon-A-Tout en connaît un rayon. Avant ce fameux anniversaire de sa mère, le parcours a été difficile. À l'adolescence, c'était un stress permanent. La différence n'était pas courante à cette époque et l'accès à l'information était limité. C'était le moment de tiraillement entre se fondre dans la masse et se révéler. Les printemps s'enchaînent et arrive le moment de la rébellion. Pas de coming out qui tienne. Si les hétéros ne le font pas, pourquoi lui doit le faire ? Mais ne pas dire, c'est rester caché. Comment gérer ? La bataille intérieure était constante. À cette période, il commence à se documenter. Il découvre tout le champ lexical associé à l'homosexualité. Coming out, gay-friendly, homophobie. L'information l'aide, mais c'est vraiment la phrase de sa mère qui sera le déclic, après des années de lutte intérieure.

Revenons-en au sujet. Que conseille-t-il à quelqu'un qui souhaite faire son coming out au moment où l'on sabre le champagne ? Rien de plus que ce qu'il a dit. Sauf que si tout cela ne tenait qu'à lui, il abolirait tout simplement ce cérémonial, parfois mythique, autour du coming out. Il le remplacerait par une discussion simple. «Pa enn konfésion sa», lâche Yoan Bon-A-Tout.

D'ailleurs, il se souvient qu'avec son frère, il n'y a pas eu tout ça. Il a juste annoncé sa sexualité et c'était tout. Il faut aussi dire qu'il y avait une réelle complicité entre eux. «Il n'y a pas lieu de réunir toute la famille et de préparer un discours. Une discussion sur la sexualité, sur la tolérance, l'acceptation, ou d'autres mots qui déclenchent le débat devraient suffire.»

D'ailleurs, Yoan a de l'espoir car les choses ont commencé à évoluer. Les jeunes parents sont plus ouverts envers leurs enfants, la communication est plus simple, plus ouverte qu'avec l'ancienne génération. «Il est donc plus simple d'engager la conversation et de la mener sur un terrain où les enfants peuvent sonder l'état d'esprit des parents. Par exemple, poursuit-il, demander à sa mère si elle a déjà embrassé une fille est une conversation acceptable de nos jours. Mais encore une fois, il faut vraiment se sentir à l'aise pour se lancer», ne cesse-t-il de répéter.

Mot de la fin ? «Napa ékout Pierre, Paul, Jacques. Personne ne peut vous forcer à quoi que ce soit. Ce n'est ni une confession, ni un crime, donc cela se fait à votre rythme.»

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