Congo-Kinshasa: 'Nous essayons de bâtir une culture démocratique'

29 Décembre 2023
interview

Dans une interview accordée à la DW, le président de la Céni, Denis Kadima, réagit notamment aux accusations de fraudes lors des élections.

"Simulacre d'élections", "chaos électoral", "braquage"... Ces derniers jours, l'opposition n'a pas lésiné sur les qualifications négatives concernant les élections générales du 20 décembre dernier.

Pour autant, la Commission électorale nationale indépendante (Céni), institution en charge de l'organisation des élections, est restée droite dans ses bottes en gardant le cap fixé par le calendrier électoral. A deux jours de l'annonce des résultats de l'élection présidentielle, le président de la Céni, Denis Kadima, a répondu aux questions de la Deutsche Welle.

DW : Allez-vous tenir la date du 31 décembre pour la publication des résultats ?

Denis Kadima : Nous allons tout faire pour respecter cette date qui est inscrite dans notre calendrier électoral.

DW : Avez-vous une idée du taux de participation ?

Denis Kadima : Nous avons une idée, mais nous n'avons pas de chiffre définitif. Nous vous donnerons ces données lorsque nous aurons fait la compilation complète des votes, et nous nous vous les donnerons. Car si nous le faisions maintenant, ce serait de la pure spéculation.

DW : Mais pourquoi justement avoir fait le choix de diffuser les tendances et non pas la compilation complète des résultats ?

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Denis Kadima : Les résultats sont en train de remonter. Et sur la base de ce que nous recevons, nous communiquons sur les tendances. Mais c'est une fois les derniers bulletins comptés que nous donnerons les chiffres que vous souhaitez connaître.

DW : Avez-vous une idée du nombre de bureaux qui ont ouvert le 20 décembre ?

Denis Kadima : En réalité, beaucoup de bureaux ont ouvert. Les gens ont l'impression que, parce qu'il y a eu prolongation de la date des élections et que les élections ont continué dans certains endroits, les bureaux de vote étaient fermés. Non, seulement un petit nombre de bureaux n'ont pas ouvert pour des raisons diverses. Mais nous vous donnerons plus de détails le jour du résultat.

DW : Quid des Congolais qui ont voté le jour après la date arrêtée ? Que dit la loi à ce propos ?

Denis Kadima : Je trouve assez étrange que les gens me posent souvent cette question. Je me demande ce qui est le moindre mal. Est-ce de permettre aux Congolaises et Congolais d'exercer leur droit constitutionnel de vote ? Ou aurions-nous dû tout arrêter comme le dit la loi ?

D'un part, une disposition de la loi donne des délais stricts. De l'autre côté, nous avons l'exigence constitutionnelle qui demande de donner à tous les Congolais le droit de voter. Lorsque nous avons des difficultés opérationnelles, c'est nous qui avons tort. Nous devons tout faire pour que les personnes lésées puissent participer au vote. Donc ce n'est pas un problème pour moi. L'essentiel est que ces communautés aient pu voter de façon honnête et dans la transparence. Je ne suis pas préoccupé par le fait que nous soyons allé au-delà de la date du vote.

Par ailleurs, il y a une autre réalité. Si nous ne leur permettons pas de voter, notre système électoral exige que au moins 1% des personnes doivent voter, autrement le scrutin tombe. Il faut donc donner le maximum de chances aux Congolais, autrement nous aurions tort. Nous n'avons fait qu'appliquer la justice.

DW : Avez-vous demandé à reporter les élections ? Et si oui, qui vous a demandé de respecter le calendrier ?

Denis Kadima : C'est faux. Lors de mes plus de deux années à la Céni, je n'ai jamais demandé le report. Lorsque je me suis trouvé dans de mauvaises passes, j'ai demandé des avions, des hélicoptères. Mais à aucun moment j'ai demandé un report, que cela soit à la Cour constitutionnelle ou à quelconque autorité. Cela n'a jamais été une option pour moi.

Il faut comprendre que, dans ce pays, nous avons toujours reporté les choses. Les élections ont toujours été reportées, le calendrier électoral n'était jamais respecté. Nous voulons aider à établir une nouvelle culture. Celle du respect des délais constitutionnels. Et quand nous sortons un calendrier, nous le respectons. Les gens doivent comprendre que c'est possible. Il existe des difficultés, logistiques, etc... Mais il ne faut pas se cacher derrière. Nous devons être rigoureux avec nous-même. C'est ce que nous essayons de faire. Cela fait partie de la culture démocratique que nous essayons de bâtir. Bien sûr, nous ne pouvons pas avoir la perfection, mais nous cherchons l'excellence.

DW : Des opposants demandent à ce que vous soyez arrêté à cause des nombreuses irrégularités constatées.

Denis Kadima : Ma réponse est que c'est de la malhonnêteté intellectuelle. Ils savent comment les élections se sont déroulées. Les difficultés que nous avons eu ont été les mêmes dans l'ensemble du pays. Nous n'avons pas favorisé une région contre une autre, un candidat contre un autre. Vous rendez vous compte qu'ils demandent l'annulation des résultats sans montrer leur moyen de défense. Ils doivent produire leur propre résultat pour les confronter aux nôtres et qu'ils se rendent compte par eux-mêmes qu'ils ont échoué et qu'ils sont de mauvais perdant.

DW : Dans une déclaration préliminaire de la mission d'observation des églises catholique et protestante, les religieux ont relevé des irrégularités par certains endroits, quel est votre regard sur cette affirmation ?

Denis Kadima : Ils ont bien dit "en certains endroits". D'ailleurs, nous même avons identifié des problèmes et j'ai une réunion avec la plénière juste après pour statuer sur certains cas. Il y a des cas d'irrégularités. Mais ils n'ont pas été supervisés par la Céni. Il s'agit de notre société... Nous savons que tous les maux de notre société émergent au moment des élections. Quand dans notre quotidien nous refusons de faire la file pour être le premier par exemple... C'est ce qui est en train d'arriver. Des politiciens ont essayé de tricher, manipuler, intimider, de faire le forcing pour gagner. La Céni est victime comme tous les autres Congolais dans cette histoire.

Et là, la sécurisation n'a pas toujours été bien faite. Mais ce ne sont pas des cas généralisés. Ils ont certes scandalisé tout le monde mais nous allons prendre les décisions. Donnez-nous quelques jours. Mais mettre cela sur le dos de la Céni uniquement, c'est injuste. Beaucoup de participants font des raccourcis et blâment la Céni quand la Céni fait tout ce qui est possible. Ce sont donc les politiciens qui ont voulu manipuler, ils ont fait du "gangstérisme électoral", sans la bénédiction de la Céni.

DW : Il y a quelques jours, vous avez dit que les voix de 1% à 2% des bureaux de vote pourraient ne pas être prises en compte.

Denis Kadima : Je n'ai pas dit 1% ou 2%. J'ai dit qu'il existait des cas qui nous avaient été présentés. Et là où il y a eu de la manipulation, nous allons annuler les résultats et, dans le pire des cas, nous allons annuler le scrutin dans certaines circonscriptions.

Si nous annulons, nous reprendrons le vote. Mais là où nous annulons les résultats, les personnes n'auront pas les voix quelles se sont octroyées.

DW : Que va-t-il donc advenir des élections législatives nationale et provinciale ? Certaines sources disent que ces votes sont souvent caducs.

Denis Kadima : Les élections pour les assemblées nationale et provinciale sont localisées. Les gens votent par circonscription contrairement à la présidentielle. Donc dans ces cas, nous pouvons identifier les lieux où il y a eu des problèmes et prendre une décision. Mais cela va bien se passer pour la plupart des circonscriptions.

D'après la rumeur, les députés nationaux avaient été choisis. Mais cette fois-ci, il y aura une différence. Il y a des politiciens qui sont très entreprenants. C'est-à-dire que pendant que leurs concurrents battent campagne, eux réfléchissent à comment ils pourraient contourner la loi et comment tirer avantage de certaines faiblesses de la loi ou de l'organisation. Nous allons donc veiller à ce que des corrections soient apportée pour que la décision qui sera celle du scrutin reflète la volonté du peuple.

DW : Il y a également les cas de Kwamouth, mais certaines sur place affirment que le vote se tiendra dans les semaines à venir, comment cela va-t-il se dérouler ?

Denis Kadima : Le cas de Kwamouth est le même que celui de Masisi et Rutshuru. C'est un problème d'insécurité. La Céni a toujours été prête à se rendre sur place pour les enrôler et leur permettre de voter. Ils seront enrôlés après l'élection et ils auront donc raté l'élection présidentielle. Pour autant, ils ont leur quota dans les assemblées provinciales et nationales. Le moment venu, nous pourrons organiser le vote et ils pourront rejoindre les autres dans la législature.

DW : Pour l'heure, ce vendredi 29 décembre, deux jours donc avant l'annonce des résultats, nous sommes à un peu moins de 30% de taux de participation. N'avez-vous pas peur que cette faible participation remette en cause la légitimité des élections ?

Denis Kadima : Je pense que nous aurons une participation de 40%, ce qui n'est pas vraiment différent des autres années. Nous sommes à notre quatrième cycle électoral et plus nous aurons de cycles électoraux, moins nous connaitrons de l'engouement. A ce que je sais, vous n'avez pas 70% de taux de participation dans vos pays. Donc c'est une tendance normale pour nous, étant donné que des gens ne s'occupent pas de la politique. Mais vous avez vu ceux qui se sentaient concernés, vous les avez vu dans les files. Ils étaient enthousiastes.

Mais le taux de participation ne dépend pas de la Céni. Cela dépend des types de candidats qui se présentent et de leurs messages. Est-ce qu'il y a eu un message qui a été porteur d'espoir ? Est-ce que les partis ont préféré le combat d'idées au combat de personnalités ? La Céni est un facilitateur, nous sensibilisons la population, mais ce n'est pas à nous de mobiliser, la balle est dans le camp des politiciens sur ce sujet.

DW : Que changeriez-vous si cela été à refaire ?

Denis Kadima : Il y a beaucoup de choses à changer. Le cadre juridique d'abord. Parfois, on nous reproche de ne pas avoir affiché les listes provisoires des électeurs. Mais la réalité est que nous sommes un pays immense, avec un vote électronique et une loi archaïque qui nous impose d'afficher les listes dans les antennes de la Céni et parfois même dans les bureaux de vote. En réalité, c'est un exercice fastidieux quand on sait que, dans notre pays, on ne peut même pas envoyer un email dans certaines antennes qui se situent dans la province de l'Equateur par exemple. Les agents ne pourront de toute façon pas imprimer car ils n'ont pas d'électricité, pas d'encre, pas de papier... Il faut donc imprimer les listes ailleurs, les mettre dans un avion les emmener dans certaines régions isolées. Ca ne fait pas de sens.

Tant que nous serons un pays sans d'infrastructure, avec des problèmes de communication, je peux vous parier que mon successeur, dans cinq ans, aura les mêmes problèmes. Ces problèmes liés à la réalité du terrain ne sont pas de la responsabilité de la Céni. De même, lorsque vous recevez les fonds en retard, que faites-vous ? Vous commencez une course contre la montre et donc les élections vous coûtent beaucoup plus chères que prévu.

Il y a donc des choses à changer sur le plan des infrastructures mais aussi sur le plan de la culture politique. Certains politiciens ciblent la Céni. Tout ce qui ne va pas, c'est de la faute de la Céni. Et finalement, ils découragent leurs gens. Si vous répétez à l'envie que la Céni va frauder, qu'il n'y aura pas la vérité des urnes... Les gens se découragent alors qu'il faudrait les motiver positivement. Ils battent campagne contre eux-mêmes en agissant ainsi. La responsabilité est donc partagée.

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