Sénégal: Au coeur du business des bijoutiers du marché Tilène - Entre profits et fiels

7 Janvier 2024

Au marché Tilène de la Médina, les difficultés ne manquent pas pour les vendeurs de bijoux en or. En dépit de l'essor de leur activité, ces artisans font face à beaucoup de problèmes parmi lesquels la collecte de la matière première. Ils regrettent de ne pouvoir mettre la main sur l'or produit dans le pays à Sabodala et déplorent l'inexistence d'un comptoir d'achat d'or dans le pays.

Il est dix 17h à peine passées au marché Tilène de la Médina en cet après-midi de ce samedi 25 novembre 2023. Sur l'avenue Blaise Diagne, en face du Centre commercial du marché près de la rue 15, la rue assourdissante hurle. Les cris des vendeurs à la sauvette apostrophant les passants, les klaxons des automobilistes bloqués dans l'embouteillage, le piétinement des passants qui se bousculent avec les vendeurs, les marchandises et les véhicules stationnées en fil donnent une atmosphère bordélique. La lumière du soleil éclaire la rue parfaitement. Chaque objet, mouvement ou personne se distingue assez nettement. À l'entrée menant au coin des bijoutiers du côté opposé au Centre commercial, les vendeurs de fruits et de légumes occupent l'espace. Les eaux usées déversées tout le long du trottoir mélangé avec des matières en décomposition vaporisent dans l'air une odeur peu amène qui tranche avec le parfum doux des légumes et fruits étalés sur de larges surfaces.

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À l'intérieur du marché, les vitrines des bijoutiers se trouvent entre les vendeurs de consommables informatiques, les grossistes et les vendeurs de pharmacopées. De longues ruelles s'entrecroisent et sont obstruées par des passants ou des vendeurs obligés de s'asseoir devant leurs cantines à cause de l'étroitesse de celles-ci. L'endroit est quasi obscur. C'est comme si la nuit tombait en plein après-midi. Par un mouvement rétinien, l'oeil s'élargit pour mieux voir en laissant passer la lumière. Au soleil scintillant du dehors, place nette est faite aux lampes néons qui éclairent de leur lumière vive l'antre des bijoutiers. La fermeture des lieux ajoutée à la lumière non naturelle utilisée en continue pour l'éclairage génèrent une chaleur suffocante. Sur tous les côtés, des ventilos sont accrochés aux murs. Pour autant ni les narines qui sentent, ni la peau qui ressent n'ont voix au chapitre. Tous les sens se taisent pour ne laisser la priorité qu'à la vue car ici l'or brille de mille feux.

Le plein essor de l'or

Des bagues de mariage ou de fiançailles, des bracelets, des montres, colliers, tous en or 18 carats ou 21 carats s'étalent à perte de vue et éblouissent la vue des clientes qui ont investi les lieux. Les bijoutiers sont positionnés en rang sur chaque côté et leurs joyaux exposés dans des vitrines qu'ils gardent comme la prunelle de leurs yeux. Toute une richesse. De l'or ou de l'argent à perte de vue. La lumière des lampes et le décor ajoutent à la splendeur de ces métaux. Ces vendeurs de bijoux en or peuvent faire des chiffres d'affaires entre 300 et 500 000 FCfa par jour, explique Madior Kandji plus connu sous le nom de Mame Goor, délégué de l'Association des marchands de bijoux de Tilène. De son visage peu avenant orné par des lunettes correctrices, l'homme avec sa grande taille et sa large corpulence dégage une forte présence. Pour lui, le chiffre d'affaires dépend du capital de chaque vendeur. « Un vendeur qui dispose d'un capital par exemple de 10 millions de Fcfa minimum peut espérer gagner 500 000 Fcfa par jour », informe-t-il. Habillé en caftan blanc, l'homme s'affaire à compter des liasses de billets avec une cliente qui vient d'effectuer un achat. « Les prix du gramme de l'or fluctuent tous les ans. À l'heure actuelle, ils varient entre 32 000 et 34 000 FCfa pour l'or de 18 carats et entre 38 500 et 39 000 Cfa pour les 21 carats ».

Les vendeurs de bijoux en or semblent rouler pour ainsi dire sur...l'or. Le bijoutier Pape Kassé, assis juste à quelques pas de Mame Goor, ne dévoile pas son chiffre d'affaires mais dit s'en sortir pas mal. « Je ne me plains pas Alhamdoulilah », affirme-t-il avec un petit sourire. Selon lui, au Sénégal, c'est l'or 18 carats et 21 carats qui sont vendus. Exerçant le métier depuis près de 30 ans, l'homme, aujourd'hui la cinquantaine, note que les Sénégalais sont de vrais acheteurs d'or et surtout la gent féminine. Mais il relève la difficulté de se procurer la matière première. Pour fabriquer leurs bijoux, ils doivent se procurer de l'or brute qui n'existe pas sur le marché.

Manque de matières premières

« Nous sommes obligés de nous rabattre sur le marché parallèle notamment à Sandaga pour avoir la quantité d'or qu'on veut. Ou à défaut attendre que des clients viennent nous vendre leurs objets que nous recyclons par la suite », avoue-t-il. Les bijoutiers déplorent le fait que, en tant que pays producteur, l'or brute soit introuvable au Sénégal. Pape Kassé, malgré ses 30 ans dans le métier, confesse n'avoir jamais posé la main « ne serait-ce que pour un gramme » sur l'or de Sabodala. De son visage assombri par la fumée du tabac, l'homme débite de sa voix rauque un son qui s'élève à travers ses dents totalement noircis par la cigarette. « Si quelqu'un venait ici faire une commande par exemple de 10 gramme d'or je n'ai nulle part où l'acheter. Je serai obligé d'attendre des clients qui revendent leurs bijoux pour rassembler la quantité », confie le sieur Kassé. Le même constat est fait par Alpha Amadou Thiam, vice-président de l'Association nationale des bijoutiers du Sénégal (Anbs). Prolixe, avec un français soutenu, il est désigné dans le marché comme le porte-voix des bijoutiers. Il estime inconcevable qu'au Sénégal des bijoutiers peinent à trouver l'or brute alors que le pays a exploité 16,2 tonnes d'or en 2022. À cela s'ajoute le fait qu'il n'existe pas de comptoir d'achat d'or, renchérit M. Thiam. « Le président de la République nous avait promis une partie de l'or de Sabodala et la réalisation du comptoir mais depuis 2013 on attend », rappelle-t-il.

L'absence de raffinerie

« Et pourtant, le comptoir d'or est utile même pour les autres citoyens parce que l'or est une valeur refuge. Pour épargner son argent, au lieu de le déposer à la banque, une personne peut décider d'acheter au comptoir de l'or brute et le garder chez lui en attendant d'en avoir besoin. Mais vu que le comptoir peine à voir le jour, tout cela n'est pas possible », éclaire Alpha Thiam. Pour lui, l'autre problème auquel ils sont confrontés est l'absence de raffinerie. En effet, les marchands de bijoux, après avoir rassemblé la matière première, l'exportent pour la transformation car les matériaux pour faire les bijoux ne sont pas disponibles dans le pays. « Après la collecte de la matière brute, on l'exporte pour commander les bijoux en Italie, à Dubaï ou même parfois aux Etats-Unis », explique M. Thiam.

Ce processus est emprunté par tous les bijoutiers. Selon Pape Kassé, tous ses bijoux sont commandés à l'étranger. L'absence de raffinerie leur pose un problème. Car « les frais de douanes et de contrôle et tutti quanti pèsent sur leurs produits et les rendent peu compétitifs par rapport aux bijoux importés qui sont plus prisés par les clients », analyse Pape Kassé, habitant de la rue 31 X 18 Médina. Tout pour dire que le métier n'est pas un long fleuve tranquille. L'essentiel de leurs soucis découle du manque de matière première.

Risques encourues

Il peut arriver parfois que les vendeurs achètent l'or et se retrouvent dans le pétrin. Pape Kassé raconte que deux mois auparavant, il avait été arrêté car il avait acheté de l'or d'une valeur de 2 millions de FCfa à des femmes. « J'ai acheté la marchandise, deux jours après la police m'a arrêté. J'ai fait deux jours au Commissariat de Dianatoul Mahwa, à Touba. On m'a relaxé grâce à l'intervention du Procureur de Diourbel ». Et il renchérit : « s'il y avait un lieu où les bijoutiers pouvaient se procurer la matière brute de l'or beaucoup de nos difficultés allaient diminuer ». Bien que les bijoutiers tirent leur épingle du jeu, les difficultés ne manquent pas. Alpha Amadou Thiam, Pape Kassé, tout comme Mor Kandji alias Mame Goor souhaitent l'appui de l'État pour organiser leur secteur et réduire les risques de problèmes.

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