Ile Maurice: Le salaire de la politique

En relevant indûment le salaire minimum national un an plus tôt, le gouvernement pense qu'il a gagné son salaire en marge des élections générales. Il aurait pu attendre le Budget pour le faire s'il avait prévu de les déclencher vers la fin de cette année. Tout indique que c'est au deuxième trimestre que le pays ira aux urnes, car, dans les mois à venir, les gains salariaux seront érodés par une flambée des prix pendant que les entreprises allègent leur effectif et adoptent une position d'attentisme avant d'investir. Le gouvernement n'est pas aussi stupide d'attendre que la population commence à ressentir le double impact de licenciements et d'une inflation galopante.

Mettons de côté ceux qui parlent tantôt comme un économiste, tantôt comme un politicien, capables de se contredire dans la même foulée en estimant insuffisante la hausse du salaire minimum à Maurice, tout en la trouvant bien plus forte que celle du «National Living Wage» au Royaume-Uni. La science économique n'affirme plus maintenant qu'un salaire minimum plus élevé est toujours mauvais, mais ce n'est pas la même chose que de dire qu'il est toujours bon. Là est la nuance que ne saisit pas l'application d'un salaire minimum uniforme à tous les secteurs économiques.

Les marchés du travail ne sont pas homogènes dans la mesure où certains peuvent être un monopsone, une structure de marché caractérisée par un acheteur dominant et beaucoup de vendeurs. Autant un monopole peut fixer un prix plus haut que sur un marché concurrentiel, autant un monopsone peut établir des prix (des salaires) artificiellement plus bas que sur un marché où l'offre et la demande (de travail) se confrontent librement. Sous un régime de monopsone, une loi visant à accroître les salaires pourrait créer plus d'emplois : quelqu'un qui ne veut pas travailler à Rs 70 l'heure peut revenir sur un marché qui lui propose un taux horaire de Rs 100. Au-delà de ce seuil, cependant, des postes seront détruits, car les firmes trouveront le coût du travail peu abordable, c'est-à-dire supérieur à la productivité marginale du travail.

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Quoi qu'il en soit, un plancher salarial produit des effets qui s'étendent même en dehors des secteurs à bas salaires, favorisant une réaffectation des travailleurs de ceux-ci à des firmes qui versent des salaires supérieurs. Selon le «Survey of Employment and Earnings in Large Establishments» de Statistics Mauritius, les secteurs les moins bien payés et à faible productivité, tels l'agriculture, la manufacture et l'hébergement-restauration, ont perdu des milliers d'emplois que le salaire minimum national voulait pourtant protéger, tandis que les secteurs les mieux rémunérés et à compétences élevées, tels les TIC, les services financiers et les activités professionnelles, ont recruté davantage. Toutefois, le nombre d'emplois a chuté dans les grands établissements ainsi que dans les autres établissements (moins de dix employés), le total d'emplois passant de 573 500 en 2017 à 547 900 en 2022.

On justifie une hausse salariale par l'inflation quand, en fait, les entreprises ne peuvent se défaire d'une augmentation des salaires qu'en l'absence d'inflation. Dans une situation inflationniste, les consommateurs n'acceptent pas de payer plus cher, et il est donc extrêmement difficile aux firmes de leur faire passer le surcoût salarial. En conséquence, elles licencient, comme dans la restauration où le nombre d'employés des grands établissements est passé de 3 351 en mars 2018 à 2 932 en mars 2023, le plus bas des 11 dernières années.

Plus durement pénalisées sont les entreprises orientées vers l'exportation parce qu'elles sont exposées à la compétition internationale. Elles ont subi une contraction de 10,5 % l'année dernière, n'employant que 34 929 personnes, contre 51 099 en 2017. Dans la manufacture, où l'indice des prix à la production a grimpé de 18 % en 2022, les usines en sont encore à transmettre l'accroissement des coûts non salariaux dans toute la chaîne de valeur.

Le talon d'achille de tout régime politique

Il n'y a aucune logique à ce que l'État impose une hausse salariale que les employeurs ne peuvent pas supporter, pour ensuite les aider à la payer avec l'argent des contribuables. En revanche, il est dans l'ordre des choses que l'institut d'émission dévalue la monnaie locale afin que les exportateurs s'assurent de suffisamment de trésorerie pour le paiement des salaires.

Ainsi, le comité de politique monétaire s'est rencontré une semaine avant l'annonce de la forte augmentation du salaire minimum, comme pour éviter de la prendre en compte dans sa décision sur le taux directeur. Puis, une semaine après l'annonce de la compensation salariale, la Banque de Maurice a commencé à acheter des dollars sur le marché de change, sans expliquer pourquoi elle a arrêté la vente de dollars qui visait à soutenir la roupie. Et l'on ose prétendre ensuite que «l'inflation est hors de notre contrôle », en d'autres mots, que Maurice n'a pas de politique monétaire ! À quoi sert ce comité monétaire si l'inflation n'est que le résultat de facteurs exogènes ?

Une banque centrale crédible n'a pas à craindre d'une hausse durable des salaires et d'un taux d'inflation supérieur à son objectif d'inflation. Mais puisque la Banque de Maurice a perdu sa crédibilité, on assistera à un enchaînement incontrôlable de hausses des prix et des salaires. La roupie n'étant pas une monnaie de réserve, le trio Seegolam-Yerukunondu-Gopal croit pouvoir mater le roi dollar sans suivre la politique restrictive de Jerome Powell.

Étrange pays où l'on continue à se plaindre du resserrement peu sensible du taux d'intérêt alors même que la Banque de Maurice est une des rares banques centrales du monde à n'avoir pas relevé son taux directeur pendant l'année 2023. Par contre, la Banque centrale de Turquie a haussé le sien sept fois au cours des sept derniers mois, de 8,5 % à 42,5 %.

L'inflation est le talon d'Achille de tout régime politique. S'il était si facile de remporter des élections en augmentant les salaires et la pension de vieillesse, tous les gouvernements du monde auraient joué au Père Noël avant chaque scrutin. Mais la science politique ne possède pas la régularité qu'on retrouve dans les sciences naturelles. Les motifs qui poussent un électeur à voter sont changeants et ne suivent aucun schéma prédéfini.

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