Soudan: « Nous nous battrons avec acharnement pour guérir de ce traumatisme »

25 Janvier 2024

Lorsque les combats entre armées rivales ont éclaté en avril dernier dans la capitale soudanaise Khartoum, Mohammed Ginish, employé de l'ONU, est passé du statut de fournisseur d'aide humanitaire aux personnes déplacées à l'intérieur du pays, à celui de déplacé à Port-Soudan, aux côtés de beaucoup de ses collègues.

M. Ginish est le Coordinateur national sur le terrain pour le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) au Soudan. Il raconte son évacuation de Khartoum, sa vie à Port-Soudan et comment ses collègues et lui tentent d'aider les millions de personnes piégées par le conflit.

« Avant l'explosion de violence du 15 avril, je menais une vie familiale paisible avec ma femme et mes trois enfants à Bahari, dans l'agglomération de Khartoum.

En ce jour fatidique où la guerre a commencé, j'ai immédiatement réalisé que nous étions confrontés à une situation critique et que ce conflit pouvait rapidement dégénérer en guerre civile dans mon pays bien-aimé.

Lorsque je songe aux guerres, des images de déplacements massifs, de violence sexiste, de destruction d'infrastructures, de pillages et de meurtres me viennent immédiatement à l'esprit. Je n'arrivais pas à croire que cela nous arrivait.

Pour la première fois de ma vie, je me suis senti impuissant. Mes enfants étaient terrifiés et je ne pouvais rien faire pour les aider. J'étais dévasté et j'avais le coeur brisé.

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Malgré mes difficultés personnelles, je savais qu'il était important pour nous, humanitaires, de rester et d'agir, car la vie de tant de personnes vulnérables et d'enfants était en jeu.

Heureux d'être en vie

J'ai travaillé à distance tout en essayant de saisir l'ampleur de ce qui se passait dans notre pays et pour notre peuple. Heureusement, mon beau-frère et moi avons pu réunir un peu d'argent pour acheter du carburant et quelques provisions avant de partir en voiture pour l'État de Gedaref. Le voyage était extrêmement risqué et nous ne savions pas ce qui nous attendait en chemin.

Nous avons cependant été agréablement surpris par le degré d'hospitalité et de générosité des Soudanais que nous avons rencontrés en chemin.

Malgré leurs maigres ressources, ces actes de bonté en temps de détresse ont été étendus à tous ceux qui fuyaient Khartoum à la recherche d'un refuge.

J'ai finalement retrouvé ma famille à Port-Soudan après avoir été séparés pendant seize jours.

Alors que la guerre faisait rage, beaucoup d'entre nous avions perdu tout ce pour quoi nous avions travaillé si dur - notre maison, nos biens. Pourtant, nous étions en vie, ce dont nous sommes vraiment reconnaissants.

Une situation « déchirante » sur le terrain

Aujourd'hui, je suis toujours à Port-Soudan, où j'ai rejoint le bureau auxiliaire d'OCHA.

La bonne nouvelle, c'est que j'ai réussi à évacuer ma femme et mes trois enfants vers l'Arabie saoudite il y a quelques semaines. Il s'agit d'une solution temporaire, mais au moins pour l'instant, ils sont en sécurité.

Alors que tout est à l'arrêt au Soudan, il n'a pas été facile de les emmener dans un endroit où ils peuvent être en sécurité et poursuivre leur éducation - même si ce n'est qu'en ligne.

La situation sur le terrain est déchirante. Tant de personnes ont perdu leur maison, forcées de fuir si soudainement. Être une personne déplacée à l'intérieur de son propre pays est un véritable parcours du combattant, car on se déplace constamment, on est confronté à la surpopulation et aux problèmes sanitaires, alors que tout ce que l'on souhaite, c'est trouver un endroit où s'installer suffisamment longtemps pour reconstruire sa vie.

Nombreux sont ceux qui tentent de rejoindre l'Égypte, l'Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis. Port-Soudan est devenu le principal point de rassemblement. Malheureusement, compte tenu des ressources limitées dont dispose l'OCHA, les services que nous pouvons offrir sont restreints.

Même si la population n'a pas perdu l'espoir d'un cessez-le-feu, la frustration s'accumule. L'inflation élevée, l'instabilité du réseau électrique et les pénuries de produits de première nécessité empêchent les personnes déplacées à l'intérieur du pays de survivre par leurs propres moyens.

En outre, le conflit a été exacerbé par une épidémie de choléra dans les États voisins, et nous craignons qu'elle n'atteigne Port-Soudan.

Dans ce contexte de violence et de souffrance, nos collègues nationaux se distinguent par leur engagement, en particulier ceux qui travaillent dans des régions reculées du pays.

Leur sécurité n'est pas garantie, certains d'entre eux ont tout perdu, et pourtant, ils restent et livrent la marchandise jour après jour, sans faute.

Le fait d'être Coordinateur national sur le terrain m'occupe beaucoup. Le bon côté de ce chaos, c'est que j'ai l'occasion d'apprendre de nouvelles choses et d'assumer davantage de responsabilités tout en couvrant différentes régions du pays.

Je suis sur le point d'être déployé au bureau de l'État du fleuve Nil dans les prochains jours en tant que chef de bureau ad interim, un nouveau défi que je suis fier de relever.

Je veux croire que la situation s'améliorera, que la paix sera rétablie et que je retrouverai ma famille. Et, une fois la paix rétablie, je sais que nous nous battrons avec acharnement pour guérir de ce traumatisme ».

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