Ile Maurice: Le tourisme entre son redécollage et les enjeux de sa pérennité

À la faveur d'un cocktail réunissant les partenaires du tourisme, lundi, le ministre de tutelle, Steven Obeegadoo, s'est réjoui de la performance de cette industrie, saluant le partenariat privé / public qui a permis son redécollage après la crise du Covid, qui avait entraîné la fermeture des frontières et celle des hôtels pendant 18 mois.

Lundi soir, le Deputy Prime Minister (DPM) est venu égrener certains chiffres, sans doute éloquents pour le gouvernement et le pays. Une manière de rappeler singulièrement que la crise est derrière nous et que l'avenir s'annonce brillant. Pour cela, il cite les 220 000 passagers transitant par l'aéroport uniquement pour le mois de décembre 2023. Mais il y a mieux, selon lui : 1,3 million d'arrivées pour l'ensemble de 2023, des recettes estimées à Rs 85 milliards pour la même période, mieux que les Rs 64 milliards engrangées en 2019. Ce que confirme, dit-il, l'envol d'Air Mauritius (MK) avec la reconstruction de ses réseaux et l'avènement de nouvelles lignes. Ken Arian ne pouvait s'attendre à mieux.

Steven Obeegadoo est dans son rôle avec cette opération de séduction vis-à-vis des opérateurs hôteliers et tant mieux si les chiffres plaident en sa faveur. Car il y a à la clef 120 000 employés qui en dépendent. Il s'agit pour le n°2 du gouvernement de les rassurer, conscient qu'ils contribuent jusqu'à 20 % de la population active du pays et font tourner la cuisine de milliers de familles, majoritairement dans certains villages du pays.

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Il reviendra aux différents partenaires de cette industrie d'apprécier la pertinence des chiffres du ministre et de partager son optimisme. Plus particulièrement quand cette industrie est confrontée à des défis de taille et qu'il importe de la saisir et de l'analyser sous tous les angles pour mieux assurer sa pérennité tout en protégeant les opérateurs.

Il n'a échappé à personne et encore moins aux partenaires de cette industrie que le ministre n'a pas abordé la problématique du Passenger Fee dans son discours officiel. Une démarche sans doute délibérée car toute décision ou prise de position pour rassurer les hôteliers en pareille circonstance aurait été peut-être mal perçue par le locataire du Trésor public. Même si, face aux questions de la presse, il a laissé entendre qu'il compte étudier ce dossier avec les collaborateurs de tous les secteurs concernés «pour voir comment avancer sur cette question tout en faisant perdurer le feel-good factor dans cette industrie avec les partenaires locaux et étrangers».

Il va de soi que c'est une priorité que le ministre compte régler urgemment, alors que certains hôteliers, conscients de la charge financière additionnelle que les touristes sont appelés à subir à partir de ce mois, souhaitent un report de cette hausse ou, carrément, son annulation. Il faudra voir la posture que compte adopter le ministre des Finances face à cette problématique et si, dans la foulée, il est prêt à faire preuve d'une certaine flexibilité sur ce sujet qui visiblement fâche les acteurs de cette industrie.

Cela d'autant plus que les hôteliers se plaignent à l'idée qu'une accumulation de taxes aéroportuaires fasse de Maurice une destination comparativement chère face à ses concurrents les plus redoutables qui sont les Maldives, les Seychelles ou encore le Sri Lanka. Même si une récente étude d'Axys, publiée l'année dernière, semble démontrer que c'est loin d'être le cas, en se basant sur les dépenses moyennes par visiteur au cours des 30 dernières années. Soit 120 euros / Rs 5 822 par jour (taux du jour ) pour Maurice reflétant, selon Axys, la constance du pouvoir d'achat des touristes visitant le pays alors que pour les Maldives et les Seychelles, elles sont respectivement de 320 euros (Rs 15 525) et environ 270 euros pour les Seychelles (Rs 13 100).

Les spécialistes de l'hôtellerie ne souscrivent pas pour autant totalement à cette analyse. Ils rappellent comment, aux Maldives, les transferts par hydravion constituent un budget conséquent pour les voyageurs et que la proportion d'hôtels 5-étoiles aux Maldives et aux Seychelles tourne autour de 80 % du parc hôtelier, contre un peu plus de 40 % à Maurice, où le milieu de gamme 3/4-étoiles et le para-hôtelier se sont beaucoup développés à des tarifs plus bas comme les maisons d'hôtes, les locatifs et les Airbnb, entre autres.

Parc hôtelier : 16 600 chambres

À ce sujet, on relève que l'Economic Development Board (EDB) annonce cette année 2 600 chambres additionnelles, qui s'ajouteront au parc hôtelier existant de 14 000 chambres recensées par le ministère. Si ce nouveau développement traduit la confiance des hôteliers, il implique nécessairement que dans cette chaîne de valeur, les autres maillons puissent suivre, comme le transporteur aérien national.

Or, les récentes pagailles à l'aéroport dans le sillage du cyclone Belal ont montré les faiblesses des services aéroportuaires et accessoirement celles de MK. Pour autant, il faut relativiser et insister sur le fait que ces scènes de bousculade existent dans d'autres aéroports internationaux, relayées abondamment par les chaînes de télévision internationales, même si on peut toutefois concéder qu'il n'y a pas eu malheureusement une meilleure communication entre les passagers et les différents prestataires de services à l'aéroport international SSR.

Plus fondamentalement, les spécialistes de l'aviation trouvent qu'à la base, ce désordre à Air Mauritius ces dernières semaines, avec les vols constamment reprogrammés liés aux pannes régulières de ses avions, est le résultat de sa flotte plus que limitée pour répondre aux nouvelles ambitions de la compagnie de redéployer ses ailes dans les grandes capitales européennes et asiatiques. En cause, l'exercice comptable de cost-cutting au moment de l'administration volontaire de MK dans le sillage de la pandémie, réduisant sa flotte avec la fermeture de l'aéroport, alors que le bon sens aurait dû amener les décideurs du pays à penser que la reprise de l'industrie touristique mondiale était inévitable suivant l'ouverture des frontières, avec notamment le phénomène du revenge travel qui a fait exploser ce marché. Aujourd'hui, les options pour sortir de cette impasse sont connues au Pailleen-Queue Building.

Au-delà de la performance conjoncturelle de l'industrie tou- ristique, il reste cependant que sa pérennité passe aussi par la disponibilité d'une main-d'oeuvre qualifiée, qui se fait malheureusement rare. L'Association des hôteliers et restaurateurs de l'île Maurice (AHRIM) est favorable au recrutement de la main-d'oeuvre étrangère pour pallier le manque de bras dans ce secteur. Toutefois, le risque que cette industrie, qui a bâti sa force sur l'hospitalité mauricienne, sur le sourire et la communication facile de son personnel avec les touristes de différentes nationalités, perde son identité et son authenticité est bien réel, à en croire certains spécialistes.

Pour le moment, les hôteliers écartent ce danger et demandent un quota raisonnable, comme c'est le cas pour les autres industries et une révision de la scarcity list. La main-d'oeuvre étrangère, doit-on comprendre, serait privilégiée dans les métiers de backoffice, soit la cuisine, le housekeeping et la maintenance. Le patron de SunLife, François Eynaud, va plus loin. «Pour maintenir la qualité de nos services et relâcher la pression sur nos employés, il nous faut agir urgemment en ayant recours à la main-d'oeuvre étrangère», a-t-il confié dans une récente interview.

Le ministre Obeegadoo souhaite une diversification du produit touristique mauricien, passant de «tourism destination» à «product tourism». Un repositionnement nécessaire peut-être, vu que le produit touristique mauricien a trop longtemps bâti sa réputation sur la beauté de l'île, ses plages, son sourire, le sens de l'accueil des Mauriciens et l'attrait de sa riche société multiculturelle. Aujourd'hui, le tourisme doit changer de paradigme et répondre à l'évolution des attentes de ceux qui recherchent des expériences authentiques et immersives, de la découverte et une destination durable. Tout un chantier...

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