Tunisie: Esquisse | Abdallah et ses chiens

2 Février 2024

Il vous arrivera de croiser quelqu'un penché au-dessus de l'une de ces bennes que les municipalités installent en nombre variable pour recueillir les déchets ménagers du quartier.

Il y farfouille pour recueillir quelque article récupérable, bon pour la consommation ou le recyclage. Ce spectacle a tendance à s'amplifier avec la dégradation constante des conditions de vie d'une frange de plus en plus large d'une population en voie d'appauvrissement accéléré. La personne dont je vais parler aujourd'hui se distingue des autres par son gilet fluorescent et l'attelage de deux mini-bennes qu'elle pousse devant elle dans ses déambulations quotidiennes pour y stocker les rebuts négligemment semés par les passants sur leur chemin. Quoi de plus normal, diriez-vous ? Il s'agit de l'éboueur du quartier, pauvre parmi les pauvres, qui cherche fortune dans un conteneur mieux garni que ses propres réserves. Oui, mais voilà : autour de lui se tient une bonne douzaine de chiens errants, sagement accroupis qui le fixent attentivement et avec bienveillance.

Tableau singulier, tant on s'attendrait plutôt à voir les acteurs de cette scène dressés les uns contre les autres pour se disputer les éventuelles prises. En fait, Abdallah --on le désignera ainsi puisqu'aussi bien nous sommes tous des serviteurs de Dieu, selon la formule consacrée-- «pioche» pour ces pauvres bêtes abandonnées de tous : les propriétaires qui, sans états d'âme, les relâchent dans la rue après en avoir assouvi leur instinct de domestication ou en avoir fini avec leurs services (gardiennage de chantier, par exemple), les municipalités qui, faute de moyens, nous assure-t-on, ont fermé les rares refuges qu'elles entretenaient au profit des bêtes abandonnées, associations protectrices des animaux qui ont fait faillite, etc.

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Abdallah, donc, est un agent qui se lève tôt pour faire un crochet par une déchetterie où il récupère carcasses et autres peaux de bêtes immolées pour la consommation des humains, avant d'effectuer son circuit réglementaire, récupérant en cours de route tout ce qui peut l'être pour nourrir ses protégés. Arrivé sur ce semblant de square aménagé par la mairie de Carthage, il retrouve la compagnie qui l'attend patiemment, jette un coup d'oeil sur le contenu de la benne puis se met à distribuer la victuaille à ces bêtes qu'il interpelle individuellement par des appellations qu'elles semblent reconnaître.

A la fin de la distribution, il se livre à une séance de jeu avec l'assistance, bousculant (gentiment) les uns, faisant semblant de chasser les autres tout en en caressant d'autres. Cela semble durer le temps d'un répit que s'accorde l'agent sur sa longue trajectoire quotidienne. Cet homme d'âge mûr, père de famille, pieux sans ostentation, semble se ressourcer dans cet exercice que lui reprochent ses familiers qui trouvent mauvaises ces fréquentations. Il se dégage pourtant de ce moment de convivialité entre l'homme et les bêtes infiniment de magie, un océan de tendresse et de bonheur. Et ça vous gagne.

Abdallah, merci d'être toi-même.

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