Ile Maurice: Stephen Brown - «C'est au gouvernement d'assumer son rôle et de protéger tous ses citoyens, y compris les LGBT+»

interview

Le professeur Stephen Brown, enseignant en sciences politiques à l'université d'Ottawa au Canada, mène une recherche intitulée «Litiges stratégiques et dépénalisation de l'homosexualité en Afrique». Il a choisi trois pays pour des études de cas : le Botswana, le Kenya et Maurice. À la veille de quitter l'île, l'express l'a rencontré pour parler de sa recherche.

En quoi les sciences politiques et les droits des personnes LGBT+ se rejoignent-ils ?

Ils se rejoignent car les sciences politiques ont trait aux politiques publiques, aux droits humains et aux mouvements sociaux. Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est le phénomène de militants LGBT+ nationaux qui utilisent la cour, selon leur jurisprudence nationale, pour essayer de renverser leurs lois nationales discriminatrices. Trop souvent, on parle du rôle des bailleurs de fonds, des acteurs internationaux, qui essaient d'influencer, d'imposer etc., mais ce qui est perdu dans cette histoire c'est la voix des militants locaux. On fait comme si que les personnes LGBT+ n'étaient que des victimes qui souffrent et que les acteurs du Nord, de l'Occident, doivent les sauver alors que ce sont des personnes souvent intelligentes et capables de se mobiliser, d'attirer des ressources, de développer leurs propres stratégies. Et dans plusieurs pays, ils ont opté pour le litige stratégique pour obtenir la dépénalisation. C'est l'utilisation de test-case selon le common law pour essayer d'invalider des clauses du Code pénal ou l'équivalent, qui sont utilisées pour criminaliser les relations homosexuelles. J'ai donc choisi trois pays où les militants locaux ont opté pour cette stratégie, à savoir le Botswana, Maurice et le Kenya.

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Pourquoi ces trois pays ?

Parce qu'au moment où j'ai fait ma demande de financement pour cette recherche en 2020, une cour au Kenya avait déjà rejeté une demande de dépénalisation de l'homosexualité. Il y a eu appel mais le résultat final n'est toujours pas connu. Qu'il s'avère négatif ou positif, c'est un cas intéressant. À Maurice, le litige stratégique avait été logé mais je n'en savais pas plus. Il fallait que je vienne faire de la recherche sur place. Je suis ici depuis le 21 janvier. J'ai rencontré bon nombre de personnes et je repars le 2 février.

Qu'avez-vous découvert d'intéressant à Maurice pour votre recherche ?

J'ai réalisé qu'il y a eu un amendement à l'article 250 du Code pénal mais que le libellé de bestialité et de sodomie n'a pas vraiment changé puisque la sodomie, sur le plan technique, est toujours considérée illégale pour un couple hétérosexuel marié, même s'il y a consentement. C'est une interprétation très restreinte qu'a donné la Cour suprême. Parce que les demandeurs étaient des hommes qui ont des relations avec les hommes, le jugement les a concernés uniquement.

Avez-vous déjà été au Botswana et au Kenya?

Au Botswana oui. La réalité y est différente. Des organisations non gouvernementales (ONG) et surtout la Lesbians, Gays and Bisexuels of Botswana (LEGABIBO) avaient un plan à long terme sur une dizaine d'années parce qu'elles étaient conscientes que les juges prennent en considération plusieurs facteurs et que ce ne sont pas des décisions purement basées sur l'interprétation de la loi. Donc, le plan de dix ans de LEGABIBO comprenait beaucoup de communication, de lobbying et de sensibilisation auprès des différents secteurs de la société, sauf que cette ONG pensait que le moment n'était pas encore propice pour présenter une demande de dépénalisation. Or, LEGABIBO s'est fait devancer par un acteur du privé, qui a déposé une demande de dépénalisation. L'ONG a dû accélérer les procédures car si la demande du particulier échouait, cela aurait été plus difficile pour elle d'obtenir un jugement positif. Elle s'est jointe à l'acteur privé et le jugement rendu est excellent, très détaillé. Il fait le tour du jardin en affirmant vraiment les pleins droits à la dignité, la vie privée, l'expression, etc. des personnes LGBT+. Ce qui contraste avec le jugement mauricien.

Le jugement mauricien est-il négatif ?

Le jugement des deux demandeurs à Maurice est très positif mais il est minimaliste. Les demandeurs avaient argué que l'article 250 allait à l'encontre de plusieurs clauses de la Constitution. Or, le jugement s'est basé sur une seule clause de la loi suprême pour dire que le mot 'sexe' englobe aussi l'orientation sexuelle et que l'article 250 est donc anticonstitutionnel. C'est très bien mais minimaliste car cela aurait été bien d'expliquer l'impact et d'utiliser cette reconnaissance de dignité et d'autres justifications plus tard pour faire avancer les droits humains non seulement des personnes LGBT+ mais aussi d'autres groupes qui ont besoin de protection.

Vous voulez dire que le jugement de la Cour suprême n'a pas dépassé le cadre légal ?

Oui. Mais a priori ce n'est pas le rôle de la Cour suprême d'aller au-delà. C'est au gouvernement de prendre des actions. Ce qu'il y a d'étonnant avec Maurice, c'est que aussi loin que 2008, vous avez eu des lois qui interdisaient la discrimination basée sur l'orientation sexuelle mais pas toutefois sur l'identité et l'expression de genre. Relativement tôt,Maurice s'est montré progressiste, se classant dans le peloton de tête après l'Afrique du Sud. Mais après, il n'y a pas eu grand-chose au niveau de votre pays. Certains autres gouvernements ont avancé, décidant de dépénaliser, comme par exemple l'Angola, le Mozambique et les Seychelles.

Dans d'autres pays, il y a eu des litiges stratégiques comme au Botswana mais à Maurice, le gouvernement a continué à se dire plutôt en faveur en mais sans agir concrètement. Donc, il a fallu un litige stratégique pour lui forcer la main. Maintenant cette décision de la Cour suprême met en exergue le besoin d'avoir non seulement une loi passive dans le sens où l'on n'a pas le droit d'arrêter quelqu'un pour actes d'homosexualité et pas le droit de le discriminer. Mais même si l'amendement et les lois antidiscriminatoires antérieures sont progressistes, il n'y a pas vraiment de mesures proactives dans la vie courante pour assurer le respect des droits des personnes LGBT+.

Si l'on reconnaît qu'il y a discrimination, il ne faut pas juste attendre que les gens soient discriminés et demandent réparation en cour mais faire quelque chose de proactif pour éviter la discrimination, à commencer par faire de l'éducation publique dont dans les écoles, de faire passer le message que l'homosexualité c'est une variation naturelle à respecter. Mais d'après ce que j'ai compris, il y a beaucoup d'hésitations du côté du gouvernement. J'ai pris connaissance du rapport de l'organisation française Avocats Sans Frontières et on voit à quel point il y a une base pour les demandes d'asile de Maurice et que si la France ou le Canada accepte des réfugiés mauriciens c'est qu'il y a une bonne raison pour cela.

Le plus étonnant est que cela concerne votre pays, un pays démocratique avec de bonnes lois, contrairement à un pays comme l'Ouganda qui a des lois qui criminalisent jusqu'à la peine de mort dans certains cas. Malgré le jugement et les lois en vigueur, les personnes LGBT+ et les transgenres en particulier ont très peu d'appui, de protection et de compréhension, à commencer auprès des policiers. Souvent, les policiers et pas juste à Maurice mais partout, font partie du problème. Quand on veut dénoncer un délit dont on a été victime, on se tourne vers la police. Mais souvent, les policiers continuent l'abus.

Ils peuvent même arrêter la personne qui cherche à dénoncer un crime. Cela demande des mesures du gouvernement pour former des policiers pour qu'ils comprennent que les personnes LGBT+ sont des citoyens mauriciens comme les autres et ont droit à la même protection que tout autre citoyen. Cela demande de la volonté politique de mettre en place un programme pour sensibiliser les policiers pour qu'ils apprennent aussi ce que dit la loi, comment la faire respecter et qu'ils comprennent que tous les citoyens ont droit au respect, à la dignité et à la protection policière. C'est au gouvernement d'assumer son rôle et de protéger ses citoyens, d'assurer leur bien-être et pas que celui des personnes hétérosexuelles mais de tous.

Et certaines populations ont des besoins spéciaux, comme par exemple les personnes transgenres. Elles ont besoin d'accès aux hormones, aux chirurgies de réassignation, au changement d'identité etc. Le gouvernement pourrait aussi financer des services de refuge car les jeunes LGBT+ sont souvent mis à la porte de leur maison. A part cela, il y a aussi l'adoption de nouvelles lois proactives pour assurer la dignité et l'égalité, par exemple en interdisant les tentatives de conversion forcée à l'hétérosexualité et les discours haineux qui incitent à la violence et aussi pour reconnaître les couples du même sexe. Si le gouvernement ne le fait pas, il y aura probablement d'autres litiges stratégiques.

Vous allez au Kenya quand ?

Ce n'est pas encore décidé. J'attends le jugement final et d'avoir un créneau dans mon emploi du temps comme je l'ai fait pour Maurice.

Cette recherche va déboucher sur quoi ?

Sur des articles scientifiques, un article sur chaque pays et aussi un article comparatif entre eux mais je ferai aussi de la vulgarisation à travers des blogs pour que le public en prenne connaissance. C'est important que cela ne reste pas cloisonné au domaine scientifique. Il faut que ce soit lu et utile tant pour les organismes et les personnes LGBT+ que pour les gouvernements car cela peut les aider à mieux développer une stratégie et à la diffuser. Cela dit, je ne suis pas là pour dire aux Africains ou aux mouvements quoi faire. Je suis là pour apprendre mais aussi pour partager ce que j'ai appris et peut-être influencer les sciences politiques car on ne parle pas assez de droits LGBT+ ni d'Afrique dans ce domaine, c'est encore très occidentalo-centré.

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