Ile Maurice: Ramesh Caussy - «Maurice se doit de devenir 'Net Zéro Déchet'»

interview

Ramesh Caussy, docteur-ès-sciences de l'École Polytechnique, formé à l'université d'Oxford en technologies Blockchain, s'intéresse actuellement à l'intelligence artificielle (IA) qui entre de plus en plus dans le quotidien de l'homme. Il fait partie des membres de la diaspora mauricienne qui souhaitent aider son pays. Après le choc des effets associés au passage du cyclone Belal, il donne son avis sur plusieurs sujets par rapport au pays et notamment sur l'importance pour Maurice d'avoir un plan de transition énergétique, domaine qu'il connaît bien car Engie, un leader des énergies renouvelables dans le monde, lui a confié une mission sur les nouvelles énergies et les technologies innovantes de décarbonation avec le concours de l'IA.

Vous venez d'être nommé Senior vice-president pour l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique auprès de Stratence Partners, de même que membre de leur conseil d'administration. À quelle innovation devrait-on s'attendre avec ce nouveau développement dans votre parcours professionnel ?

Cela fait longtemps maintenant que je travaille dans l'industrie de la haute technologie, dont plus de 15 ans sur le sujet ayant trait à l'IA et à différents usages qui peuvent être adoptés par nos sociétés. Je suis aujourd'hui enchanté de contribuer à l'intégration de l'IA chez Stratence Partners, avec une approche data centrée sur la création de valeur par l'optimisation des modèles de Pricing. Ces uses cases peu explorés sont pourtant des opportunités majeures de création de pourcentages additionnels de profits mesurables pour les entreprises. Cela veut dire augmenter sa profitabilité grâce à l'IA et aux processus de données. Les approches IA et data, parfois complexes à appliquer, peinent souvent à démontrer leur rentabilité. Ici, nous ne sommes pas dans la recherche ou l'innovation : nous mettons en oeuvre concrètement des systèmes et des stratégies éprouvées. Ma satisfaction est que ces usages IA et data que nous déployons en Europe, vont maintenant être accessibles aux grands groupes mauriciens, même ceux en difficulté, quel que soit leur secteur, afin de renforcer leur profitabilité et sécuriser les emplois.

%

Le Mauricien qui a émigré et qui a obtenu sa naturalisation dans son pays d'accueil referme souvent la porte derrière lui pour de bon. Vous faites partie de la minorité qui rêve de revenir à Maurice. Quelle est votre motivation pour nourrir un tel projet ?

Ma famille est arrivée à Maurice en 1860. Comme beaucoup d'autres familles aspirant à un avenir meilleur pour leurs proches et leur pays, la nôtre a toujours travaillé dur. D'abord avec la terre et la canne à sucre. Puis mon père, encouragé par mon grand-père, s'est consacré aux études. Il a pu accéder à un poste dans l'administration, puis à une bourse d'études pour apprendre en France. Il rêvait de revenir à Maurice. Cependant, l'état de santé de ma mère et l'état de notre économie familiale, dans un environnement précaire, l'interdisaient. Mon père est décédé il y a quelques mois, mais pas l'envie qu'il avait de voir son île natale se développer, grandir et prospérer. Il savait que l'éducation était une clé essentielle pour chaque famille. Il m'a toujours demandé d'étudier, de me muscler, de me confronter au monde et aux idées dans différents domaines, pour pouvoir devenir utile. Je l'ai fait, car un fils écoute son père.

Quels sont les facteurs qui pourraient justifier le recours à vos compétences, surtout dans le domaine de la technologie ?

Revenir à Maurice pour porter un projet utile est dans mon «ADN cérébral». Il y a trop à faire pour aider l'économie et les gens. C'est normal pour une jeune nation comme Maurice et c'est à nous d'orienter nos ressources sur les enjeux essentiels. Les connaissances scientifiques et le leadership forgés en grande partie en France et à l'international et dans des domaines tels que les nouvelles technologies, l'énergie, les infrastructures opérationnelles, l'immobilier ou l'enseignement, sur des projets complexes, avec l'activation d'un écosystème global, devraient profiter à Maurice et à une équipe désireuse de porter un projet à impact.

Quelles sont vos propositions pour que les compétences acquises par des Mauriciens vivant à l'étranger puissent profiter aussi au pays ?

Il y a actuellement une concurrence féroce pour l'attractivité des talents dans différents secteurs, et notamment dans les métiers techniques et les nouveaux métiers. Internet maintient bien des illusions mais celle de l'hyper mobilité va progressivement se dissiper dans le temps, à mesure de la croissance des événements climatiques, des coûts de l'énergie et des réseaux de communication. Dans ce contexte, il paraît judicieux que Maurice incite ses ressortissants à revenir afin que le pays profite de leur savoir-faire, des réseaux et des expériences des expatriés.

Oui, Maurice est une île magnifique, mais le package environnemental doit être appuyé par un accompagnement financier, fiscal, foncier, et de mobilité pour que les personnes et leurs familles gardent un niveau de vie attractif. Revenir au pays ne doit pas signifier «attrition économique». On parle ici d'un dispositif de retour volontaire sélectif de Mauriciens ayant un niveau de compétences validé par une expérience significative en entreprise ou des diplômes reconnus, qui seraient affectés à des projets spécifiques. Ces efforts mutuellement consentis pourraient s'appuyer sur une durée contractuelle minimale afin de garantir une bonne diffusion des savoirs et surtout de laisser le temps d'adaptation au nouveau contexte de vie.

Ne faut-il pas faire une distinction entre les jeunes et les plus âgés qui seraient tentés par l'idée de revenir ?

Ce cadre pourrait prévoir un volet générique pour les jeunes expérimentés et un cadre de discussion plus ouvert pour les profils plus seniors sur la base d'éléments financiers factuels. Il paraît nécessaire que ce type d'initiative soit accompagné d'une communication afin de valoriser les compétences et les profils visés, pour ne pas «livrer en pâture ses Mauriciens d'ailleurs» à la vindicte des compatriotes oeuvrant dans le pays. Expliquer la démarche paraît très approprié. Personne n'a de leçons de vie à donner ou à recevoir mais nous avons besoin de certaines couches d'expériences et de connaissances pour grandir, dans un monde où tout va parfois trop vite, surtout l'émergence des nouveaux métiers.

Y a-t-il des secteurs de l'économie mauricienne qui auraient besoin de ce savoir-faire acquis par des compatriotes qui ont émigré ?

Dans les secteurs du tourisme, du textile, de la pêche, de la finance, du sucre, les Mauriciens sont fonctionnels. C'est une évidence que des secteurs ont besoin d'être suivis. Maurice est déjà tributaire dans les domaines techniques tels que les systèmes d'information, les maintenances industrielles de niveau 2 et 3. Avec des métiers tels que ceux de l'IA, de la data, de l'efficacité énergétique, des nouvelles productions énergétiques, de l'impact de décarbonation, des systèmes de stockage, la situation nécessite de l'anticipation afin de créer les possibilités d'une économie décarbonée. Il en va de même pour le secteur de l'éducation où ces nouveaux métiers devront se préparer.

Quels sont les risques économiques qui menacent sérieusement le pays si les mesures appropriées ne sont pas prises à temps pour assurer les transitions technologiques indispensables ?

Maurice est une île qui ne peut se permettre de rater les prochains grands virages technologiques, sous peine de voir le pays déclassé ou se vider de ses talents. Il sera tentant pour les Grands argentiers de tout importer, y compris de nouvelles mains-d'oeuvre. Mais si nous voulons garder nos talents et en former d'autres pour donner un corps à l'idée d'une jeune nation, il est nécessaire d'inviter nos jeunes à prendre part dans ces changements en proposant des axes de formation vers ces nouveaux métiers et d'investir pour stimuler l'émergence de nouveaux relais économiques. Maurice doit devenir plus qu'une île de tourisme de luxe ou une place de trading financier. Maurice peut avoir un leadership sur des segments choisis dans sa zone.

Vous avez certainement vu les images montrant la capitale sous les eaux pluviales, salées et les vents associés au passage du cyclone Belal ?

J'ai malheureusement vu ces images, il est difficile de ne pas être touché.

Qu'avez-vous retenu des effets de ce cyclone qui vient de mettre plus particulièrement Port-Louis à genoux ?

Un grand principe de l'action est la mesure de son effectivité. Quels sont les progrès significatifs depuis 2013 ? La nature ne fait pas de politique ! Elle nous a montré la nécessité d'agir et de mettre en place des stratégies de réponses. La douleur est trop présente pour se livrer à un exercice de chasse aux sorcières. Les gens, les villes, le pays a souffert et souffre encore. Le compte à rebours imposé par le réchauffement climatique ne laissera pas de répit.

L'annonce de l'arrivée imminente de grosses pluies constitue désormais un véritable cauchemar pour les habitants et ceux dont la vie professionnelle et économique se passe à Port-Louis. Que faudra-t-il entreprendre pour que ce ne soit plus le cas ?

Cela passe clairement par une redéfinition de la planification du système des infrastructures techniques, notamment de Port-Louis, mais aussi par une approche systémique globale des problématiques climatiques. Il y a urgence à prendre ce projet critique en main et à apporter des solutions techniques. Il s'agit d'un défi auquel les personnes compétentes de Maurice doivent répondre. Il me paraît nécessaire de mettre en place un pilote et une équipe qui apportent de l'espoir au pays, mais plus globalement de la lumière devant les défis multiples que le changement climatique va générer. Les effets du cyclone ne sont pas que physiques ou psychologiques. Ils vont devenir «mystiques» si nous tardons à nous adapter face à l'imprévisibilité des prochaines déferlantes.

Il est rare que le rapport entre l'homme et la nature ne débouche pas sur une réaction lorsque l'homme transgresse volontairement ou inconsciemment les lois. Que retenir de la dernière colère de Dame nature contre l'île ?

Il semble que nous ayons du mal à retenir ce que la nature nous souffle à l'oreille. D'ailleurs, pourquoi l'écouter, pensent certaines personnes. D'autres pourraient se dire : pourquoi s'offusquer d'une inondation à chaque décennie ? Oui, il y a un impact émotionnel, mais les gens et les touristes auront bientôt oublié. Cependant, il y a des images et des traumatismes qu'on oublie difficilement. Il y a tant de signaux indiquant qu'il faut s'activer afin d'éviter le pire. Il n'y a plus de doute à avoir sur la mise en place d'un projet stratégique sur le sujet qui vise l'élaboration de scénarios de résilience effectifs. Nous devons monter en puissance sur l'usage des données pour mieux appréhender les actions possibles et leurs conséquences. Ces modèles devraient être nos socles de réflexions en matière de prise de décision technique, économique et sociale. Il est temps de dépoussiérer, à supposer qu'on ait eu le temps de les sortir correctement, des mots comme «stratégie d'atténuation» pour penser «adaptation», mais surtout «résilience systémique». La situation d'urgence requiert des réponses et un leadership approprié. Les scientifiques et ingénieurs du pays ont un rôle déterminant à jouer. Il y a la nécessité de construire un modèle propre à Maurice, qui embrasse ses besoins et ses ressources disponibles, pas d'importation de mesurettes à bas coût. Dame nature nous a clairement montré toute sa rudesse !

Toutes ces images montrent aussi le peu d'intérêt de bon nombre de Mauriciens pour la propreté et le respect pour l'environnement. Que faut-il faire pour changer ce type de comportement ?

Avec le cyclone, la mer a régurgité des tonnes de saletés, mais malheureusement, elle n'est pas la seule déchèterie à ciel ouvert à Maurice. Il nous faut reconnaître un manque d'éducation à la propreté des Mauriciens pour qui la nature et la ville sont aussi des poubelles à grande échelle. Comme chacun le constate trop souvent, nos comportements ne sont pas exemplaires hors de nos maisons et devant celles des autres.

Même si nous ne parlons pas de déchets radioactifs ou chimiques, en fonction de leurs compositions, les déchets et ordures véhiculent des risques physiques, biologiques et des pollutions visuelles et sonores. Ces facteurs de risques ont une traduction économique vibrante : blessures, contaminations, expositions aux microorganismes, inhalations, dégradations, etc. pour nos citoyens, nos agents de propreté, notre société. Il est nécessaire de prendre des initiatives dans le domaine de la propreté, du recyclage de nos déchets, dans un projet d'économie circulaire et durable. Maurice se doit de devenir «Net Zéro Déchet». Un projet dont le but serait de prendre des initiatives locales et militantes, avec un abondement de l'État et de quelques entreprises sensibilisées, serait formidable. Les micro-idées pour améliorer le quotidien ne manqueraient pas !

Régénération de la démocratie va de pair avec le recours à des changements fondamentaux. Quels sont donc les changements fondamentaux qui, selon vous, sont indispensables pour aider le pays à progresser, sans que cela ne constitue un risque pour son économie ?

La régénération de la démocratie est un vrai sujet à Maurice. Depuis son accession à l'indépendance, il y a un peu plus de 50 ans, le pouvoir a finalement peu changé de nom. Une forme d'alternance a balisé la vie démocratique. Cela a eu des effets bénéfiques pour le pays, qui a réalisé de belles étapes économiques et sociales et construit une réputation que des pays d'Afrique qui nous envient.

Toutefois, la démocratie est un bien précieux qui doit évoluer afin que de nouveaux axes de progrès puissent se diffuser, au risque d'être dissous par des intérêts conservateurs. Pour cela, des transitions doivent s'opérer, et de nouvelles idées et alliances se former pour le bien du pays. Tout n'a pas à être nouveau mais des adaptations doivent être incarnées par de nouveaux souffles. Il me semble fondamental d'anticiper le monde que la décarbonation, la transition énergétique, les nouvelles technologies cognitives et les biotechnologies nous réservent afin d'en faire des leviers économiques. Le monde s'accélère. Il va être fondamental que Maurice s'appuie sur les siens car la complexité rend obsolète beaucoup de ce que nous avons connu, y compris des gens.

L'énergie renouvelable est un domaine que vous connaissez bien. La mission que vous venez de réaliser pour Engie sur les nouvelles énergies et les technologies de décarbonation en fait foi. Quelle posture Maurice devrait adopter par rapport à la nécessité de se doter de son plan de transition énergétique ?

La transition énergétique est un point majeur probablement pas assez mis en avant. C'est un sujet que je connais et sur lequel Maurice doit avancer ! Et oui, tout comme l'alimentation, l'énergie va coûter de plus en plus. Il s'agit d'un sujet stratégique sur lequel Maurice doit réussir, en réfléchissant notamment sur les sujets des nouveaux métiers de l'énergie.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.