Tunisie: Trois questions à Moez Cherif, président de l'Association Tunisienne de Défense des Droits de l'Enfant (A.T.D.D.E.) - «Pour une école républicaine, accessible, équitable et gratuite [...]»

8 Février 2024

L'éducation est au centre de nombreux débats, en tant que vecteur de la promotion des droits de chaque enfant. En Tunisie, l'enfance traverse une zone de fortes turbulences qui cause notamment la décadence du système éducatif. Néanmoins on remonte la pente à plusieurs égards, puisqu'on se dirige vers l'élaboration d'un Pacte social pour l'éducation, qui nécessite la conjugaison des efforts de nombreuses parties prenantes réunies récemment, au cours d'un colloque national à l'instar des membres de l'Institut arabe des droits de l'homme, d'inspecteurs et délégués de l'enfance ou encore d'une représentante onusienne tunisienne sur la population. La Presse a interrogé Dr Moez Cherif, défenseur des droits de l'enfant, qui milite pour l'application et le respect de leurs droits, lui qui ne manque aucune opportunité pour défendre leurs droits élémentaires, à commencer celui lié à l'éducation et à l'enseignement pour tous, dès le plus jeune âge, et surtout de qualité. Parce qu'il «vaut mieux une tête bien faite, qu'une tête bien pleine» comme affirmait éloquemment Michel de Montaigne, écrivain et philosophe du XVIIe siècle. L'A.T.D.D.E., créée en novembre 2011, a pour objectif la protection et la défense des droits de l'enfant et l'apport de secours directs et indirects à l'enfant malheureux ou en danger.

C'est une pierre de plus dans l'édifice du processus de réforme de l'éducation. C'est une démarche participative pour élaborer un consensus autour de l'éducation. Le projet éducatif est un projet sociétal qui doit répondre à un projet national, impliquer l'engagement de tous, servir l'intérêt supérieur de chaque enfant et répondre aux aspirations de tous. La Tunisie est un pays profondément attaché à son identité et ouvert sur le monde. Nous devons trouver le juste équilibre pour transmettre à nos enfants la fierté d'appartenir à un pays dans lequel se sont succédé toutes les civilisations méditerranéennes. Un pays qui a su absorber plus qu'une culture et en faire sa propre identité à la fois africaine, maghrébine, méditerranéenne et arabo-islamique. Un pays fondamentalement tolérant et non belliqueux dans un monde où la violence n'a pas pu être bannie malgré tous les mécanismes mis en place par la communauté internationale pour une résolution pacifique des problèmes.

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Une école qui retrouve son rayonnement local, régional et national pour donner l'occasion à chaque enfant de se construire, de rêver et de réaliser ses rêves et ambitions en développant ses compétences pour trouver sa place dans son propre pays, une école républicaine, accessible, équitable et gratuite qui reprend son véritable rôle d'échelle sociale et de garant d'un développement durable dans un pays qui ne peut compter que sur ses ressources humaines. Ce pacte social vise à maintenir notre système éducatif loin des tiraillements politiques et idéologiques pour protéger nos enfants de tout embrigadement. Il engage la responsabilité de tous à faire réussir ce projet éducatif pour le bien de chaque enfant, famille et Etat.

La Tunisie a lancé, ces derniers temps, la plateforme "e-istichara" pour consulter la population autour de la réforme du système d'éducation et d'enseignement et améliorer notamment les performances scolaires, la qualité de l'apprentissage et les perspectives d'emploi des diplômés. Quels sont les résultats, les avancées et les premières conclusions de cette consultation nationale qui s'inscrit dans le cadre d'un effort visant à établir une vision globale de la réforme du système éducatif à ses différentes étapes de l'éducation préscolaire, l'éducation de base, l'enseignement secondaire, à la formation professionnelle et à l'enseignement supérieur?

Tout d'abord les résultats de la consultation nationale n'ont pas été encore révélés. Ils vont constituer un élément de plus dans l'édification de ce consensus autour du système éducatif et engager la responsabilité collective dans la réussite du projet. La participation n'a pas été à la hauteur des attentes surtout que chaque famille tunisienne considère l'école comme étant un levier essentiel dans la promotion sociale et continue à investir beaucoup dans l'éducation de ses enfants. Plus de 2,5 millions d'élèves, plus d'un million de familles et plusieurs milliers d'enseignants et de cadres sont concernés par le système éducatif depuis la préparatoire jusqu'au bac. Pourtant, moins de 600.000 personnes ont contribué à cette consultation.

L'avis des participants comptera dans les choix et options qui seront décidées. Les résultats de l'évaluation sectorielle de l'éducation sont aussi un élément essentiel de réflexion. Cette évaluation a été réalisée de façon participative et a réuni toutes les institutions de l'Etat, la société civile, les syndicats et même les partenaires privés avec la participation d'enfants. C'est une évaluation qui a été validée par tous et constitue un repère important dans toute prise de décision pour éviter les décisions hâtives, sectorielles ou corporatives qui risquent de nuire à l'équilibre fragile d'un secteur vital pour les enfants, les familles et le pays. La défaillance a été, pour une grande part, imputée à une mauvaise gouvernance. La décision de créer une instance constitutionnelle qui veille sur le devenir de l'école tunisienne démontre l'attachement qu'on porte pour le savoir comme levier de développement durable et confirme le choix de la Tunisie de parier sur ses ressources humaines pour envisager l'avenir avec sérénité dans un monde qui vit une révolution numérique où la plus-value essentielle est apportée par la contribution humaine.

Depuis deux mois, vous êtes consultant sur une chaîne de radio nationale en langue française, sur la thématique de l'enfance que vous traduisez sous ses divers aspects comme le travail et l'exploitation économique de l'enfant, les cas d'intoxication alimentaire, le harcèlement scolaire et bien plus encore, dans l'émission quotidienne intitulée "focus enfant". Comment décrivez-vous la situation de l'enfance en Tunisie actuellement, qui nourrit la migration irrégulière comme vous le précisez, et les enseignements de vos différentes interventions confrontées aux décisions et actions qu'il faut envisager pour assurer l'exercice de leurs droits élémentaires ?

D'abord je remercie Radio Tunis Chaîne Internationale (Rtci) pour son engagement à côté des enfants. Un partenariat nous lie depuis plus de 10 ans et la cause des enfants est portée par cette chaîne nationale dans la plupart de ses programmes. Une réussite qui démontre que le sujet «Enfant» peut être intégré dans une ligne éditoriale, faire de l'audimat sans recourir au buzz et au sensationnel qui nuisent à la cause des enfants et les jettent en pâture à une presse populiste. Le suivi régulier des indicateurs d'accès des enfants à leur droits permet d'apporter un regard sur les choix politiques et sociétaux qui impactent les enfants et donne à réfléchir à nos auditeurs pour prendre conscience de l'importance de garder un regard bienveillant sur les générations futures.

Nous contribuons à amener un changement de comportement pour considérer l'enfant, ce citoyen silencieux non pas comme un objet, mais un citoyen en devenir capable d'être un vecteur de progrès, une personne responsable et impliquée qui, à travers son propre épanouissement, amènera un meilleur bien-être pour lui, sa famille et son pays. Nous essayons de démontrer que le tiers de la population que sont les enfants méritent d'avoir leur place dans les médias afin qu'ils puissent la retrouver dans la société et envisager leur place et avenir avec nous et parmi nous. L'exclusion des enfants des médias dans un monde où la communication a pris une place prépondérante dans notre quotidien revient à les exclure du débat public.

Le droit à la participation est une composante fondamentale des droits de l'enfant, c'est à travers l'exercice de ce droit que les enfants construisent leur citoyenneté, apprennent le dialogue, l'acceptation des différences et la tolérance. C'est l'initiation à l'engagement, l'appartenance, la responsabilité et l'implication dans le projet de société. L'initiation précoce au dialogue et à la participation contribue à l'adoption des valeurs démocratiques comme un mode de vie et non pas comme une approche théorique qui reste virtuelle si elle ne se traduit pas par une pratique quotidienne. Malheureusement tous les mécanismes de participation des enfants sont en panne aussi bien dans les institutions éducatives que dans les autres institutions républicaines (conseils municipaux, parlement pour enfants).

Malgré un cahier des charges des institutions médiatiques favorable à la participation des enfants élaboré par la Haïca, un guide pour les professionnels des médias pour les aider à une approche respectueuse des droits de l'enfant et l'introduction d'un module facultatif d'enseignement des droits de l'enfant à l'Ipsi, la participation des enfants reste discrète et conjoncturelle dans les divers médias public et privé surtout pour les programmes visant ou impliquant les adolescents et les jeunes.

Donner de l'espoir aux générations futures est une lourde tâche dans un monde en mutation à grande vitesse si on ne les implique pas à forger ensemble un avenir qui leur appartient. L'exclusion amène, d'une part, beaucoup de violence et, d'autre part, un désintérêt qui alimente le rêve d'un ailleurs plus propice à la réalisation de rêves chimériques.

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