Congo-Kinshasa: Réélu pour un second mandat, RDC - Quelle est la bonne question que doit se poser Félix Tshisekedi ?

*Qui sera mon Premier Ministre ou quel sera mon Programme ?

Agrégé de l'Université - Président du Think tank Afrique & Partage - Président du CERAD (Centre d'Etudes et de Recherches sur l'Afrique de Demain) - Directeur général de l'Université de l'Atlantique (Abidjan) - Chroniqueur, essayiste, politologue.

Le rapport des forces politiques à l'Assemblée Nationale

Réélu président de la République pour un second mandat, Félix Tshisekedi doit à présent gouverner avec une nouvelle majorité présidentielle. Simple alliance électorale qui a permis sa réélection, l'« Union Sacrée » n'existe plus. Il s'agit donc, pour Félix Tshisekedi, de construire une majorité qui lui permettra de gouverner sereinement. Nombreuses sont les figures politiques qui ont toute légitimité pour entrer au gouvernement et réclamer le poste de Premier ministre. J'entends parler de tractations, de manoeuvres politiques pour constituer une majorité à partir de la mosaïque parlementaire qui résulte des dernières élections législatives. Cette manière de constituer une majorité présidentielle, à partir de tractations en coulisse, appartient au vieux monde. Quelles sont donc les forces politiques présentes à l'assemblée nationale ?

  • Quel est le rapport des forces politiques à l'assemblée nationale ?
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A) Le bloc majoritaire

Le parti de Félix Tshisekedi, l'UDPS compte autour 150 Députés nationaux, Parmi ses alliés, figure une nouvelle plateforme politique, le Pacte pour un Congo Retrouvé (PCR) créé par Vital Kamhere et Tony Kanku Shiku. Le PCR est la deuxième force politique de l'assemblée avec 101 Députés. L'AAB, la plateforme de Sama Lukonde Kyenge Jean-Michel, l'actuel Premier Ministre, disposera de 70 à 80 Députés nationaux. Ces trois forces politiques, l'UDPS, le PCR et l'AAB, comptent plus de trois cents députés sur les 477 sièges sur 500 attribués à ce jour, ce qui constitue une large majorité, même s'il reste des députés à élire dans des circonscriptions, notamment dans les territoires insécurisés par des groupes armés (Kwamouth, Masisi et Rutshuru).

Les figures incontournables

D'autres figures politiques, qui ont contribué à la réélection de Félix Thsisekedi à travers l'Union Sacrée, sont indispensables pour rayonner sur l'ensemble du territoire et s'adresser à tous les Congolais. Les noms sont connus : Bussa Jean-Lucien, Laurent Batumona, Tryphon Kin-kiey, Paluku Julien, etc.

Les adjuvants indispensables

D'autres personnalités politiques ont permis à Félix Thsisekedi d'être élu avec plus de 73 % des voix. Je pense à Modeste Bahati, patron de l'AFDC.

Les noms qui surgissent

A côté des militants zélés qui attendent d'être récompensés, certains avancent le nom de personnalités comme le Docteur Noël Tshiani, pur produit de la technocratie. Sans ancrage électoral et parce qu'il est l'homme de la proposition de loi sur la « congolité », une loi controversée facteur d'instabilité, Noël Tshiani peut-il prétendre être nommé Premier ministre et être une figure de rassemblement ? Ce n'est pas évident, car le Premier ministre et les ministres doivent incarner le gouvernement de tous les Congolais. En même temps, la réponse aux attentes des populations est toujours une réponse politique et les choix dans les grandes orientations des politiques publiques sont des choix politiques avec un principe de non contradiction entre les recettes et les dépenses.

B) Les forces de l'opposition

Très minoritaire et morcelée, l'opposition ne peut pas prétendre empêcher le bloc majoritaire de gouverner. IL est pourtant essentiel que l'opposition, à travers un porte-parole constitutionnellement reconnu, puisse faire entendre sa voix. La question de la sécurité dans provinces de l'Est, provinces qui sont le coffre-fort minier du pays, est essentielle. MoïseKatumbi a sûrement des choses à dire et à proposer sur cette question.

  • Quelle est la mauvaise question que peut se poser Félix Tshisekedi ?

La première question qui peut venir à l'esprit de Félix Tshisekedi est la suivante : quel sera mon Premier ministre ? Il s'agit de la plus mauvaise question que peut se poser le président réélu pour deux raisons : 1). Ce n'est pas le nom du Premier ministre que les Congolais attendent. 2) Le choix de Premier ministre n'est pas une garantie pour la gouvernance de la RDC, s'il n'existe pas une feuille de route que le Premier ministre devra appliquer pour le réarmement économique et civique du pays, un meilleur partage des richesses et une vision prospective.

Tous ceux qui ont contribué à la réélection de Félix Thisekedi ont-ils conscience qu'il faut tout changer pour que tout change (1). Si c'est prendre les mêmes pour ne rien changer ou tout changer pour que rien ne bouge, Félix Tshisekedi aura échoué face aux populations congolaises, face à l'Histoire et face à la mémoire et aux idéaux de son père. Or, depuis décembre 2020, Félix Tshisekedi s'est affirmé comme un homme politique capable de faire évoluer la scène politique congolaise et les modes de gouvernance en mettant fin à l'ère des Kabila (1997-2019). Sous-estimé, parce qu'il avait été élu en 2019 dans des conditions particulières et qu'il était sous la tutelle de Joseph Kabila, Félix Tshisekedi a fait preuve d'un grand sens politique et d'une force de caractère qui lui ont permis de s'émanciper du kabilisme et d'être réélu. Le pouvoir a changé Félix Tshisekedi. Il est aujourd'hui suffisamment armé pour poser la bonne question.

  • Quelle est la bonne question que doit alors se poser Félix Tshisekedi ?

La bonne question que doit alors se poser Félix Tshisekedi est la suivante : « Autour des trois priorités que j'ai définies, - unité, prospérité et sécurité -, quels sont les femmes et les hommes, qui ne sont pas encore toutes et tous parfaitement identifiés, que je dois choisir pour constituer un gouvernement de combat et de résultat ? » Ces femmes et ces hommes sont nécessairement des figures politiques expérimentées, capables de fédérer un électorat, mais aussi des figures nouvelles et des figures disruptives. La nouvelle plateforme politique, le Pacte pour un Congo Retrouvé (PCR) deuxième force politique de l'assemblée avec 101 Députés, réunit une figure expérimentée, Vital Kamerhe, et une figure disruptive, Tony Kanku Shiku. Il est évident que la présence de ces deux hommes s'impose au gouvernement pour deux raisons : 1) ils s'inscrivent dans le droit fil du projet de société tshisekedien 2) Ils fédèrent, chacun, sur des territoires-clefs, un électorat important.

Autre figure essentielle dans le dispositif tshisekedien : l'actuel premier ministre Sama Lukonde Kyenge Jean-Michel, qui, avec la plateforme AAB, disposera de 70 à 80 Députés nationaux. Est-il souhaitable de reconduire Sama Lukonde Kyenge au poste de Premier ministre ? C'est une solution. Cette solution apporte-t-elle l'élan nouveau que les populations attendent. Encore jeune, mais doté d'une solide expérience politique, Sama Lukonde Kyenge a été réélu député national aux dernières élections législatives. Son profil en ferait un très bon président de l'assemblée nationale. Il a la capacité de préserver l'unité de la majorité présidentielle et faire exister l'opposition en lui accordant les prérogatives que lui confère la constitution. Je n'oublie pas que lors de son Discours d'investiture, Félix Tshisekedi s'est adressé en ces termes à l'opposition : « Vous êtes une composante consubstantielle à l'événement de ce jour et vous avez votre place dans la gouvernance de notre pays [...]. J'y veillerai, au même titre que j'exhorterai le Parlement d'assurer l'effectivité du rôle de porte-parole de l'opposition ». L'expérience, l'épaisseur politique et l'idéal de démocratie qu'il porte font que Sama Lukonde Kyenge est respecté et écouté par tous les acteurs de la scène politique congolaise.

Etre élu, ce n'est rien, il faut ensuite gouverner.

Avec qui ? Comment ?

Félix Tshisekedi a été réélu avec près des trois quarts des voix lors du dernier scrutin présidentiel à un tour, loin devant les principales figures d'une opposition divisée, Moïse Katumbi et Martin Fayulu. L'appareil tshisékédien est en ordre de marche et les principaux alliés de l'UDPS se sont rangés derrière la vision prospective d'un Félix Tshisekedi dont le leadership ne peut être contesté. L'urgence pour la majorité présidentielle est de résoudre le paradoxe congolais suivant : d'un côté, l'abondance des ressources naturelles de la RDC et, de l'autre, l'extrême pauvreté des populations. Tout a été dit sur ce paradoxe et les causes du bilan catastrophique des dernières décennies. Quel est ce bilan ? Echec dans le domaine économique et social : selon les chiffres 2022 de la Banque mondiale, avec 1 400 dollars de PIB annuel par habitant, la RDC, malgré ses richesses naturelles qui semblent inépuisables, se situe au 50e rang des pays africains sur 54. Echec dans le domaine sécuritaire : insécurité et désordre intérieur, insécurité dans les villes (à Kinshasa, l'insécurité est hors de contrôle) (2) et certaines régions, insécurité à l'est du pays. Echec dans le domaine de l'unité nationale avec le discours haineux des affrontements ethniques et l'instrumentalisation du concept de « congolité », qui entretiennent, dans tout le pays, une paranoïa permanente. Etre élu, ce n'est rien, il faut ensuite gouverner. Avec qui et comment gouverner, telles sont les deux questions qui se posent désormais au président réélu. ?

● Gouverner avec qui ?

Faut-il prendre les mêmes pour gouverner ? Faut-il faire émerger des figures nouvelles ? Faut-il aller chercher dans l'opposition celles et ceux qui peuvent entrer au gouvernement ? Pour moi, les réponses sont évidentes : un allié comme Vital Kamerhe, installé depuis longtemps dans le paysage politique congolais et qui fédère un électorat important, est incontournable. Sa place est au gouvernement. Une figure nouvelle disruptive comme Tony Kanku Shiku, qui surgit sur la scène nationale, apporte incontestablement un souffle nouveau. Le secrétaire général de l'UDPS, Augustin Kabuya, travaille actuellement sur la constitution du futur gouvernement en tenant compte des contraintes suivantes : respecter les équilibres politiques, trouver les bons dosages régionaux et communautaires, récompenser les fidélités, satisfaire les attentes de certains alliés qui font partie de la mosaïque complexe des petits partis satellites. Je l'ai toujours dit : je ne crois pas aux gouvernements d'union nationale et il n'est pas souhaitable de faire entrer au gouvernement des figures totémiques de l'opposition (3). Je pense bien sûr à Moïse Katumbi et Martin Fayulu. En choisissant de siéger aux Assemblées nationale, provinciales et municipales, Moïse Katumbi, à travers son parti Ensemble pour la République, a un rôle à jouer dans la reconstruction du Congo. Sa nette victoire électorale dans un bloc de cinq provinces contiguës du sud-est du pays, frontalières de la Tanzanie, la Zambie et l'Angola, là où se situent les richesses minières du pays, le rend incontournable. Comment l'associer à la reconstruction du pays ? Cela passe par une réconciliation nationale après les dérives populistes et nationalistes de la campagne présidentielle. Il ne s'agit pas simplement pour Félix Tshisekedi de ressouder la mosaïque de la majorité présidentielle, ce qui est nécessaire pour gouverner, mais de créer les conditions d'un véritable dialogue national inclusif. Il s'agit d'une urgence démocratique, qui permettra de rendre aux institutions leur légitimité et qui constitue un préalable au développement économique et social.

● Comment gouverner ?

Eternelles victimes des crises multiples que la RDC a connues depuis son accession à l'indépendance, que ces crises soient politiques, économiques, sociales et sécuritaires, les populations congolaises n'attendent pas de savoir avec qui Tshisekedi va gouverner, mais comment il va gouverner. Le second mandat de Tshisekedi doit répondre aux attentes des populations. Certes, l'UDPS ne peut pas gouverner seule, mais les composantes de la majorité présidentielle doivent s'inscrire dans un projet de société qui met en oeuvre les trois priorités suivantes, martelées par Félix Tshisekedi sur l'ensemble du territoire, lors de la campagne présidentielle : l'unité, la prospérité et la sécurité. Autre grandes figures du PCR (Pacte pour un Congo Retrouvé), lorsque Jean-Lucien Bussa, Tongba, leader du CDER et de la CODE, parle de la nécessité de casser l'immobilisme, il répond à la question « comment gouverner ? ». Pour incarner un leadership visionnaire, Félix Tshisekedi sortir d'une gouvernance immobile qui caractérise les partis hégémoniques, il doit tout changer, innover tout en s'appuyant sur des alliés qui ont, aujourd'hui, accepté de relever avec lui le défi des prochaines échéances électorales (élections des Sénateurs, des Gouverneurs et de leurs adjoints) et la constitution des groupes parlementaires qui vont participer aux Commissions permanentes des deux chambres du Parlement congolais, l'Assemblée nationale et le Sénat. Ce second mandat du président réélu ne peut réussir qu'à une seule condition : que toutes les composantes de la majorité présidentielle soient unies et en ordre de marche, rangées derrière la vision prospective de Félix Tshisekedi. L'heure est à l'unité et à la mobilisation derrière le chef de l'Etat avec, comme ligne d'horizon, la réponse concrète aux attentes des populations.

Le temps de la conquête électoral et des promesses convenues, jamais tenues, est passé. Les populations congolaises attendent des actes pour la reconstruction du Congo, l'amélioration de leurs conditions de vie, la sécurité et le réarmement civique et moral de la nation. Félix Tshisekedi n'a jamais été aussi fort qu'en ce début de second mandat, sa situation est bien meilleure que celle qu'il a connue du 24 janvier 2019, date de sa première investiture, au mois de décembre 2020, date de son émancipation du kabilisme. Si l'exercice du pouvoir sera moins difficile, il aura à surmonter la surenchère politique de son propre parti ou de ses alliés, les manoeuvres politiques de tous ceux qui ont un agenda caché, les différentes rumeurs qui nourrissent l'instabilité politique et la « guerre des égos ». L'histoire du Congo nous rappelle que l'indépendance acquise le 30 juin 1960 va s'accélérer face au colonisateur belge grâce au front commun que constituent Joseph Kasa-Vubu, de l'Abako, Patrice Lumumba, leader du Mouvement national congolais, tout juste libéré de prison, et le Katangais Moïse Tshombe. Mais, cette alliance salutaire se fissure rapidement. Le piège des alliances éphémères qui vont se succéder va transformer les 60 années d'indépendance en 60 années d'instabilité politique, de crises économiques et d'insécurité aux frontières, dont les victimes seront toujours les populations qui ne voient jamais les richesses du pays descendre jusqu'à elles. La dynamique de la réélection de Félix Tshisekedi doit profiter aux populations, aux territoires et à la nation. En cette période qui se conclura par la formation du gouvernement et la nomination d'un Premier ministre issu de la majorité parlementaire, qui prendra le risque de casser cette dynamique par des ambitions personnelles, retardant ainsi la reconstruction du pays et la restauration de la dignité de la nation ? L'intérêt de chacun est de s'ériger en gardien des acquis (4) du premier mandat de Félix Tshisekedi.

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  • Dans le fameux et unique romande l'écrivain et aristocrate italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa, paru à titre posthume en 1958, figure la fameuse réplique : « « Il faut tout changer pour que rien ne bouge. ». L'aristocratie italienne, face à la montée d'une contestation sociale, préfère jouer les apparences du changement, afin de conserver le pouvoir et ses privilèges. Félix Tshisekedi ne peut pas se limiter aux apparences du changement, son second quinquennat doit être celui d'un profond changement dans tous les domaines.
  • L'insécurité est totale à Kinshasa :pillages répétés des commerces, vols à l'arraché, enlèvements, etc. Le phénomène « Kuluna » est particulièrement inquiétant. Les causes de l'insécurité sont connues : pauvreté, chômage, les drogues, abandon familial, instrumentalisation politique des bandes de jeunes.
  • Le seul candidat de l'opposition qui doit entrer au gouvernement, comme ministre de la Santé, est, selon moi, le docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix en 2018.
  • Parmi ces acquis figure la renégociation du « contrat du siècle », le contrat minier de 2008 signé sous la présidence de Joseph Kabila avec la Chine. Désormais, 55% des bénéfices de l'exploitation des concessions minières confiées reviendront bien à la RDC, alors qu'il existait « un important déséquilibre financier » au détriment des finances congolaises (« 76 milliards de gain pour la partie chinoise, contre 3 milliards d'infrastructures pour la RDC », selon l'Inspection Générale des Finances (IGF) de la RDC.)

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