Ile Maurice: Distractions politiques et risques entrepreneuriaux

14 Février 2024

La nouvelle de la révocation du ministre de l'Agro-industrie a fait bouillonner la marmite politique. Certes, des rumeurs circulaient selon lesquelles Vikram Hurdoyal s'était rapproché de Navin Ramgoolam et qu'il avait déjà un pied dans l'Opposition, mais était-ce un motif valable au limogeage d'un ministre de la République ?

Il semblerait que la révocation de Vikram Hurdoyal était actée avant son départ pour Berlin. Craignant sans doute que le ministre ne soumette sa démission, le Premier ministre a froidement tranché dans le vif en dégainant le premier. Ce faisant, Pravind Jugnauth envoie un message fort : au sein de son Cabinet, il est le seul juge. C'est lui qui décide s'il doit prêter foi ou pas à des allégations ou des non-dits. Contrairement à Ivan Collendavelloo et Yogida Sawmynaden qui ont pu donner leur version des faits avant de démissionner, Vikram Hurdoyal n'a, quant à lui, pas eu le loisir de s'expliquer sur sa prétendue forfaiture.

Dans le cas de Maneesh Gobin cité dans l'affaire du «stag party», le chef du gouvernement s'était montré plus magnanime en lui accordant une confiance aveugle, estimant qu'il n'y a pas encore eu de preuves produites à l'encontre du ministre attestant qu'il serait impliqué dans cette sordide affaire de pot-de-vin. Mieux encore, il a été promu comme ministre des Affaires étrangères. Il faudrait aussi citer l'affaire d'agression alléguée dans laquelle le nom du ministre Anjiv Ramdhany est mentionné ces jours-ci qui entache la réputation du pays.

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Le débarquement subit de Vikram Hurdoyal nous rappelle que le pays est de plain-pied dans une année électorale. Et que la politique va avoir préséance sur les considérations socio-économiques. Du point de vue des investisseurs qui sont intéressés par la perspective de faire des affaires à Maurice, cet événement politique n'a rien d'anodin. Bien au contraire. Il est connu que les investisseurs n'affectionnent pas l'incertitude et qu'ils préfèrent différer leurs projets en attendant le verdict des urnes. Un événement politique comme la mise à pied d'un ministre sans que l'opinion publique n'ait été préparée à une telle éventualité crée un climat délétère qui n'est pas propice pour le business. Car il renforce la perception que le risque politique est devenu plus fort. Par voie de conséquence, le risque entrepreneurial est jugé comme étant plus élevé.

Les problématiques du risque politique et du risque sécuritaire pèsent aujourd'hui sur les décisions d'investissement. Des cabinets internationaux mènent régulièrement des évaluations sur le risque politique qui servent de boussole aux potentiels investisseurs. Une étude réalisée par Willis Towers Watson et Oxford Analytica en 2018 a révélé que 55 % des grandes entreprises internationales, soit celles brassant un chiffre d'affaires d'au moins 1 milliard de dollars, ont vécu au moins un épisode d'une perte liée au risque politique. Cette étude a révélé que les actionnaires devenus plus échaudés exigent de plus en plus une totale transparence sur les raisons conjoncturelles ayant mené aux pertes subies.

Qu'on ne s'y méprend pas : les entreprises internationales souhaitant s'implanter sur notre territoire suivent de près les événements politiques ainsi que les prises de position du pays au niveau de sa politique internationale. Par exemple, les investisseurs émiratis commandent couramment des rapports auprès de firmes spécialisées qui s'informent au jour le jour sur les événements susceptibles d'impacter le niveau du risque politique et du risque sécuritaire associé au fait de faire des affaires à Maurice. Cette veille est constante. Les scandales politiques à répétition et le sentiment qu'il y a une culture d'impunité qui s'est installée et dont jouissent certains politiques qui servent loyalement le régime peuvent rendre frileux certains investisseurs qui, outre l'attrait fiscal et un cadre juridique solide protégeant leurs intérêts, recherchent aussi une juridiction sûre et un environnement sécurisé. In fine, ils s'attendent à opérer dans un pays où l'État n'est pas omniprésent et se cantonne dans son rôle de facilitateur.

Si nous faisons l'objet d'une veille permanente, il est important de souligner qu'à l'échelle de l'Afrique, nous sommes considérés comme un pays stable. Comme l'a révélé l'Economist Intelligence dans son dernier Africa's Operational Risk Outlook, Maurice fait partie d'un groupe de six pays du continent africain comprenant également le Botswana, le Cap Vert, l'Afrique du Sud, la Namibie et le Maroc où le risque entrepreneurial est relativement bas. Certes, nous sommes dans la zone verte, mais les distractions politiques incessantes pourraient nous faire basculer dans la zone orange si les politiques ne se montrent pas vigilants.

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