Tunisie: Les revenants des zones de conflit - Des repentis ou des bombes à retardement ?

15 Février 2024

La BAT, la brigade antiterrorisme, un corps d'élite des forces spéciales, chargé de défendre la nation

Les jihadistes tunisiens expulsés de Syrie et de Turquie vont-ils réellement enterrer la hache de guerre et réintégrer la vie active, comme si de rien n'était ? Bien qu'il soit difficile de généraliser, plusieurs questions les concernant se posent et s'imposent. Etat des lieux.

Un détour par l'histoire s'impose. Si l'on se réfère aux faits du passé, on constate que, contrairement à ce que pensent certains (la majorité ?), de jeunes Tunisiens ont adhéré à l'idéologie terroriste bien avant la révolution. Ensuite, au début des années 80 dans le sillage de l'invasion soviétique de l'Afghanistan. A l'époque, et dans plusieurs pays d'Afrique, du Moyen-Orient et même d'Asie, a jailli la flamme de « l'authenticité musulmane» qui a débouché sur une vague d'appels au jihad, «au nom de la défense de l'islam et de la préservation de sa pérennité».

Du coup, des centaines de jeunes musulmans avaient mis le cap sur l'Afghanistan pour y combattre ce qu'ils appelaient «l'ennemi communiste», aidés en cela par la complicité à peine voilée de services de renseignements occidentaux, alors en pleine guerre froide avec le bloc de l'Est. Un certain Ben Laden, jusque-là inconnu, s'est installé aux commandes de ces imposants contingents de jihadistes qui ne cessaient de rallier la capitale Kaboul.

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«Le premier empire terroriste au monde est né»

Et tout en menant la vie dure aux soldats de Moscou, par attentats interposés, l'ex-milliardaire saoudien ne se fit pas prier pour mettre en exécution son stratagème diabolique, l'endoctrinement et la radicalisation de ses affidés où l'on comptait d'ailleurs un petit cercle tunisien. Dès la fin de la guerre, Ben Laden annonça triomphalement sa fameuse phrase : «C'est la défaite des athées et la naissance de l'organisation d'Al Qaïda», en Afghanistan où, pour passer de la parole à l'acte, s'ensuivra la construction d'un grand nombre d'écoles coraniques, de camps d'entraînement et de formation au combat, et de dépôts de fabrication d'armes, de munitions et d'explosifs. Le tour semble bien joué : «Le premier empire terroriste au monde est né». Son effet magnétique était d'autant plus puissant que sur les milliers de recrues il y avait, indiquent beaucoup de vieux sécuritaires, une poignée de jeunes Tunisiens qui, après avoir fait le dur apprentissage du maniement de la kalachnikov, ont été envoyés dans d'autres zones de combat au Moyen-Orient, en Afrique et en Bosnie.

Au lendemain de la révolution, le terrorisme s'installa rapidement puis «confortablement» dans nos murs où, le désordre politique et les tensions sociales aidant, des centaines de nouveaux candidats au jihad se présentaient, renforcés par l'apport des revenants d'Afghanistan.

Pistes inidentifiables ?

La suite, on la connaît, avec notamment le bilan macabre des terribles attentats ciblés et attaques aveugles qui ont ensanglanté la Tunisie entre 2012 et 2019. Plus grave, le terrorisme tunisien, telle une marchandise de qualité convoitée, s'exporte bien ! En effet, on compte, selon des sources concordantes, des centaines de nos compatriotes qui ont combattu et combattent encore aujourd'hui, non seulement en Syrie, mais aussi en Irak, en Algérie, en Libye, au Mali et sur le Vieux continent (particulièrement en France, en Italie, en Turquie et dans les pays scandinaves), ainsi que dans les Emirats du Golfe (notamment au Koweït où, pas plus tard qu'à la fin du mois écoulé, un activiste tunisien a été arrêté par la police «pour soupçons d'appartenance à un dangereux réseau terroriste de ressortissants étrangers qui planifiait un attentat terroriste dans ce pays». C'est que les terroristes radicalisés tunisiens ont malheureusement acquis, dans les milieux de l'internationale intégriste, la triste réputation de «téméraires, appliqués et fidèles». D'où d'ailleurs leur enrôlement plus tard par les autres groupuscules de Daech, Aqmi, Ansar Echem le prouve, sans écarter l'hypothèse de leur possible adhésion aux milices pro-iraniennes chiites basées en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen.

Savoir gérer cet épineux dossier

Aujourd'hui, la question lancinante est la suivante : quel est le nombre de revenants rentrés au bercail après s'être assagis ou encore pour continuer leurs méfaits sur les terres tunisiennes ? Silence radio, soit en l'absence de statistiques officielles disponibles, soit pour des raisons sécuritaires. Ce qui est certain, en revanche, c'est que leur expulsion a été essentiellement opérée à partir de la Turquie, de la Syrie et, à un degré moindre, de l'Algérie.

Il n'est pas non plus exclu que certains d'entre eux aient préféré rentrer de leur propre gré, faisant acte de pénitence, après avoir regretté d'avoir été aveuglés par l'idéologie jihadiste et envoyés, à leur corps défendant, dans la gueule du loup.

Autant ceux-ci sont jugés récupérables par la société, autant il est recommandé de ne pas les perdre de vue tout au long du processus de leur réintégration dans la vie active.

Reste le cas de ceux qui sont rentrés avec des handicaps moteurs lourds. Comment les gérer ? Là aussi, pas question de relâchement en matière de suivi, étant donné que les organisations terroristes continuent, de nos jours, de recruter, via leurs sites d'information très actifs sur la Toile dont les plus connus sont Al Bayane, Amaq, Halumu et Nashir, sans compter leurs magazines en ligne qui glorifient «les combats», pullulent de prophéties enflammées, de manuels de fabrication d'explosifs. Les sites web sont conçus pour tirer sur la fibre religieuse, avec des chants guerriers et religieux enflammés. Les sociétés de production audiovisuelles Al Forkane et Al Hayet fonctionnent selon les mêmes paramètres pour influencer les jeunes et ensuite les enrôler. C'est, faut-il le rappeler, grâce à cet impressionnant cocktail de matraquage de cerveau qui perdure que des dizaines de milliers de personnes sur l'ensemble de la planète ont été hypnotisées, pour devenir les otages obéissants du radicalisme.

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