Libye: Evacuer les groupes armés de Tripoli, un défi réalisable?

Le ministre de l'Intérieur du gouvernement d'« Union Nationale » libyen s'y engage : les différents groupes armés déployés dans la capitale pour y assurer la sécurité vont évacuer les lieux d'ici au 10 avril 2024, date de la fin du Ramadan. L'annonce a été faite le 21 février, lors d'une conférence de presse à Tripoli. Ces milices et groupes armés devraient céder la place, selon le ministre, à la police urbaine, la police sécuritaire et des éléments chargés des enquêtes criminelles. L'annonce sera-t-elle réellement appliquée ? Éléments d'analyse.

En Libye, Imed Trabelsi, le ministre de l'Intérieur du gouvernement d'« Union nationale » est catégorique : tous les groupes armés se retireront hors de la capitale et n'auront plus la possibilité de dresser des barrages dans les rues, ou à se charger de la sécurité. « Leur place sera dorénavant dans leur QG », a indiqué Trabelsi, expliquant que « les chefs de ces groupes ont tous fait preuve de compréhension ».

Parmi les groupes dont l'évacuation a déjà commencé, selon le ministre, la force de la Sécurité Générale, la force de dissuasion Al-radaa, qui contrôle l'est de la capitale, la brigade 444, qui contrôle le sud de Tripoli, et la brigade 111, rattachée à l'état-major de l'armée de l'ouest. Cette décision concerne également l'Autorité de soutien à la stabilité (SSA) basée dans le quartier populaire d'Abou Slim, ainsi que d'autres groupes moins importants.

%

Ce projet ancien fait écho à une forte attente des habitants, qui sont victimes depuis des années de combats récurrents entre milices opposées, y compris dans les quartiers résidentiels de la capitale. Les Tripolitains sont également victimes au quotidien des exactions de ces milices déployées dans tous les secteurs de la capitale et qui agissent sans contrôle au nom du maintien de la sécurité. Cette manière d'agir envenime le quotidien des populations, qui espèrent que les paroles du pouvoir se joindront aux actes.

Pouvoir et rivalités entre milices

Ces groupes influents sont lourdement armés et équipés. Ils sont, en théorie, sous l'autorité directe des ministères de l'Intérieur ou de la Défense. Financés par des fonds publics, ils opèrent d'une manière indépendante. Leur rôle s'est intensifié en l'absence d'institutions étatiques stables. Ils ont pris encore plus d'importance quand, en 2019, ils se sont opposés ensemble au maréchal Khalifa Haftar qui avait mené une offensive pour contrôler Tripoli - offensive qui s'est terminée par un échec. Depuis 2021, les milices de Tripoli jouissent d'un statut exceptionnel.

Ces groupes armés sont en concurrence permanente entre eux pour plus de pouvoir et d'influence. Leurs rivalités virent souvent aux affrontements. La semaine dernière, 17 membres d'une puissante milice ont été ainsi liquidés de sang-froid et à bout portant par les membres d'une milice opposée. L'ONU a appelé à ouvrir une enquête. Ce « violent incident » confirme les « préoccupations » soulevées à plusieurs reprises par le représentant spécial de l'ONU en Libye, sur les « risques sérieux posés par les rivalités entre groupes sécuritaires » et qui continuent de menacer la fragile sécurité de Tripoli, a indiqué la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul).

Cette rivalité s'est aussi installée au plus haut niveau de l'État : des milices sont fidèles au ministre de l'Intérieur, d'autres le sont au ministère de la Défense. Or, c'est le Premier ministre lui-même qui occupe le poste de ministre de la Défense depuis sa prise du pouvoir en mars 2021.

Évacuation de Tripoli, mais contre quelle récompense ?

Cette annonce de l'évacuation prochaine des milices de Tripoli intervient à la suite de deux développements majeurs : la rencontre pour la première fois d'un envoyé spécial de l'ONU en Libye avec des chefs de milices. Fin janvier dernier, Abdoulaye Bathily s'est en effet entretenu avec une vingtaine de chefs de ces groupes armés qui contrôlent la capitale. Une rencontre qui a beaucoup irrité le camp de l'est libyen dirigé par le maréchal Khalifa Haftar qui évoque désormais l'existence d'un « plan international visant à légitimer ces milices ». Dans son communiqué, la mission onusienne en Libye se défend en expliquant que le but de ces rencontres était de « faire participer aux efforts de réconciliation toutes les parties effectives libyennes ».

Autre développement, les déclarations récentes à la presse, du Premier ministre Dbeibah qui a évoqué sans complexe, le « rôle positif » des milices affirmant qu'il les soutenait : « Leur présence est une garantie pour la sécurité et la stabilité en Libye ». Il a ajouté : « Ce sont nos enfants, ils ont défendu notre honneur, ils ont défendu nos rues contre l'envahisseur et contre tout ceux qui veulent détruire la Libye. »

La question de la dissolution de toutes les milices, affichée dans tous les accords politiques libyens, semble ne plus être à l'ordre du jour. Du moins pour le gouvernement dirigé par Abdelhamid Dbeibah. Celui-ci refuse toujours de quitter le pouvoir alors que l'ONU est désormais convaincue de la nécessité de nommer une autre personnalité à la tête d'un gouvernement unifié au lieu des deux en place actuellement afin de pouvoir organiser les élections.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.