Afrique: Les classements des universités sont non scientifiques et nuisent à l'éducation, selon des experts

analyse

Nous établissons des classements pour presque tout : les dix meilleurs restaurants à proximité, les meilleures villes à visiter, les meilleurs films à voir. Pour déterminer la validité de ces classements, il faut savoir qui en sont les auteurs et leurs objectifs.

Ce sont exactement les mêmes questions qu'il convient de se poser lorsqu'on examine le classement international des universités.

Le phénomène de classement des universités a commencé il y a une vingtaine d'années. Depuis, ils sont devenus omniprésents, présumant de leur validité et de leur importance particulières. Les établissements, en particulier ceux qui sont bien classés, les prennent au sérieux. Certaines consacrent du temps à la collecte des données demandées par les auteurs de classement. Les donateurs des universités les prennent au sérieux, les journalistes les vulgarisent et certains parents s'en servent pour orienter le choix d'établissement de leurs enfants.

Il existe une multitude de systèmes de classement des universités et d'auteurs de classement. Certains systèmes de classement sont plus renommés que d'autres. Parmi les plus médiatisés et les plus influents, on trouve Quacquarelli Symonds (QS), Times Higher Education (THE), Shanghai Ranking Consultancy et US News & World Report.

Un groupe d'experts s'est récemment réuni pour examiner de façon critique les systèmes de classement (j'en faisais partie). Nous avons été convoqués par l'Institut international pour la santé mondiale de l'Université des Nations unies, qui a publié un communiqué de presse sur le rapport.

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Nous avons conclu, tout d'abord, que les classements posent un problème conceptuel. Il n'est pas raisonnable de mettre toutes les institutions dans le même panier et d'en tirer quelque chose d'utile.

Nous avons également conclu que leurs méthodologies n'étaient pas claires et que certaines d'entre elles semblaient peu fiables. Alors que nous n'accepterions pas de publier des travaux de recherche reposant sur des méthodologies médiocres, les auteurs des classements peuvent s'en tirer avec de telles méthodes peu rigoureuses.

Les experts ont noté que les classements étaient largement surévalués et qu'ils renforçaient les inégalités mondiales, régionales et nationales. Enfin, une trop grande attention portée aux classements empêche de réfléchir sur les systèmes éducatifs dans leur ensemble.

Qui font les classements et comment

Les institutions qui réalisent les classements sont des entreprises privées à but lucratif. Les agences de classement gagnent de l'argent de différentes manières : en récoltant des données auprès des universités qu'elles commercialisent ensuite, en vendant des espaces publicitaires, en vendant des services de conseil (aux universités et aux gouvernements) et en organisant des conférences payantes.

Chaque organisme de classement et chaque système de classement a une approche différente. En fin de compte, ils créent tous un indice ou un score à partir des données qu'ils collectent. Mais la manière dont ils parviennent à leurs résultats n'est pas transparente. Ils ne dévoilent pas totalement ce qu'ils mesurent et l'importance accordée à chaque composante de la mesure.

Par exemple, le Times Higher Education envoie un questionnaire aux universitaires qui sont invités à évaluer leur propre établissement ou d'autres établissements. Cette évaluation sera influencée par le nombre de personnes qui répondront, l'identité de ces personnes et leur connaissance réelle de l'institution qu'elles évaluent.

Il est donc facile d'obtenir un score à partir d'une telle enquête, mais est-il valable ? Reflète-t-il la réalité ? Est-il exempt de biais ? Si je travaille dans une institution particulière, est-il possible, voire probable, que je lui attribue une note élevée ? Ou, si je suis insatisfait dans cette institution, il se peut je lui donne une mauvaise note. Dans les deux cas, ce n'est pas une évaluation fiable de la réalité.

Les institutions de classement utilisent d'autres mesures qui peuvent être considérées comme plus objectives. Par exemple, ils examinent les publications produites par les universités.

Tout d'abord, de nombreuses recherches ont montré que ce qui est publié est biaisé. En outre, si l'on y regarde de plus près, les institutions de classement accordent plus d'attention à certains types de recherche - science, technologie, ingénierie et mathématiques. Elles n'évaluent pas tout et n'évaluent pas tout de la même manière et ne divulguent pas aux institutions classées comment elles ont pondéré les critères retenus.

Pourquoi s'en préoccuper ?

Les universités ont de multiples responsabilités dans la société. En outre, les universités reçoivent beaucoup d'argent public. Nous, le public, devrions nous soucier de la manière dont cet argent est dépensé.

Que se passe-t-il si une université délivre des diplômes à un grand nombre d'étudiants qui remplissent des fonctions importantes dans la société, comme les personnels des écoles, des hôpitaux et de la fonction publique et qui sont compétents dans leur travail ? On dira que c'est une bonne université qui remplit une fonction sociale importante. Tout porte à croire également que l'argent du contribuable a été utilisé à bon escient.

Qu'en est-il si une autre université effectue des recherches qui débouchent sur de bonnes politiques publiques, qui aident les gouvernements à mettre en oeuvre des programmes visant à réduire le chômage chez les jeunes ou la criminalité ? Il s'agit là d'une bonne université.

Les deux établissements peuvent ne pas avoir un classement élevé. Dans ce cas, il est difficile de dire que ce ne sont pas de bonnes universités.

Les systèmes de classement unique ne servent pas la société. S'ils sont pris trop au sérieux, s'ils sont autorisés à influencer le système d'enseignement supérieur, les classements peuvent nuire à ce que le système d'enseignement supérieur devrait faire, c'est-à-dire contribuer à une meilleure société.

Une trop grande importance accordée à ces classements empêche de réfléchir sur les systèmes éducatifs dans leur ensemble. Il y a tellement de questions importantes à poser sur un système d'enseignement supérieur.

Les questions qui devraient être prioritaires sont les suivantes :

  • Est-ce que notre palette d'institutions d'enseignement supérieur est adéquate et cohérente ?
  • Nos institutions de recherche produisent-elles suffisamment de travaux de recherche de haute qualité susceptibles de contribuer à notre développement en tant que nation ou région ?
  • Produisent-elles suffisamment de diplômés de master ou de doctorat pour doter en personnel d'autres établissements d'enseignement supérieur (ainsi que d'autres secteurs de la société) ?

Les classements détournent les universités de ces tâches essentielles. L'obsession du classement crée des incitations perverses à agir pour améliorer un classement plutôt que de s'atteler au travail utile des universités.

Que faire ?

Nous devons tous comprendre que les classements ne sont ni objectifs ni véridiques. Les entreprises motivées par le profit orienteront inévitablement les systèmes de classement vers la réalisation de profits supplémentaires plutôt que vers l'intérêt public et les fonctions sociales des universités.

Les institutions de classement doivent être totalement transparentes afin que nous puissions évaluer l'utilité et la validité de leurs informations, ainsi que la manière dont les classements qu'ils produisent peuvent être utilisés. De plus, elles doivent reconnaître leur conflit d'intérêt inhérent.

Une fois que nous aurons compris la nature des classements, ainsi que leurs limites, nous accorderons moins d'importance à leurs rapports. Cela devrait nous encourager à refuser de nous conformer à leurs règles.

Nous devons comprendre comment la manière dont les universités sont classées renforce une vision (incorrecte ou incomplète) du monde selon laquelle tout ce qui est de grande valeur est occidental et anglophone. Les institutions qui prétendent s'intéresser au projet de décolonisation devraient être incitées à renoncer à être classées.

Il convient de rappeler que les classements n'ont pas toujours existé. Et ils n'ont pas à continuer d'exister. Et ne devraient pas l'être sous la forme qu'ils revêtent aujourd'hui.

Professor, School of Public Health, University of Gothenburg Sweden, University of the Witwatersrand

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