Ile Maurice: Le bras de fer se poursuit entre marchands et autorités

29 Février 2024

Démolir ou pas ? Le mercredi 28 février, les marchands opérant sur la surface bétonnée le long du Ruisseau du Pouce ont été informés, verbalement cette fois, par des officiers de la municipalité et de la police, qu'ils devaient quitter les lieux en vue de la démolition prévue pour le vendredi 1er mars. Mais les marchands sont catégoriques : compte tenu du «stay of execution» et dans l'attente de la décision de la Cour suprême sur leur recours dans cette affaire, ils ne bougeront pas.

Vers midi mercredi, une vive altercation verbale a eu lieu entre les marchands et les officiers de la municipalité qui étaient, eux, accompagnés par des policiers de la Tornado Squad lorsque nous sommes arrivés sur place. Si à la mi-février, une «eviction notice» a été servie aux marchands et que la démolition a été reportée, cette fois-ci, les officiers de la municipalité se sont contentés de les informer verbalement qu'ils devront impérativement quitter les lieux. Chose qui n'a pas convaincu les marchands.

«Les documents légaux stipulent clairement que le 18 juillet 2023, lorsque nous avions fait appel en Cour suprême après le rejet de notre injonction, la juge Gaitree Jugessur-Manna a accordé un sursis à l'exécution dans l'attente d'un jugement concernant l'appel. L'affaire sera entendue le 17 juin 2024 et il est illégal pour la municipalité de nous demander de quitter les lieux jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue par le tribunal. D'ailleurs, la municipalité ne nous remet aucun papier officiel cette fois-ci, mais se contente d'envoyer des agents pour nous ordonner verbalement de partir. Nou pa pou bouzé. S'il le faut, nous resterons ici. Zot ava kraz li lor nou...» réitère Jheelany Seeruttun, représentant des marchands, qui travaille au Ruisseau du Pouce depuis 17 ans.

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D'autres marchands se sont joints à lui pour exprimer leurs inquiétudes face à ce qu'ils considèrent comme un harcèlement continu de la part des autorités. «Nous l'avons dit, nous ne sommes pas contre la démolition du lieu. Mais la loi doit être respectée et appliquée de manière égale. D'un côté, il y a un sursis à exécution dans l'attente du verdict de notre affaire au tribunal, mais les officiers continuent de nous harceler. D'autre part, les recommandations formulées après 2013 stipulent que des bâtiments comme Air Mauritius, KFC et Rogers doivent également être démolis car le problème des inondations s'y concentre principalement. Pourtant, aucune autorité ne leur a demandé de quitter les lieux. En outre, si nous devons être relogés, tout ce que nous demandons, c'est un meilleur lieu de travail que le Victoria Urban Terminal car cet espace n'est pas approprié.»

La colère, le chaos et la confusion étaient également au rendez-vous mercredi car des récits et des différentes interprétations de l'ordre de la cour ont été donnés par des officiers de la municipalité ainsi que les policiers de la Tornado Squad, qui étaient agressifs et moins convaincants dans leurs propositions aux marchands. «Lord lakour-la fini expiré sa. An zanvié la kour inn tir li. Al dir ou avoka rod enn lot», a même lancé un policier aux marchands. Les marchands ont alors tenté d'expliquer que ce n'est pas le cas et que le sursis à exécution est bien valable, mais en vain. Alors que nous prenions des photos tout en faisant notre reportage, nous avons aussi reçu des menaces. «Vous n'avez pas le droit de prendre des photos. Voyez bien ce que vous faites», nous ont dit, avec un ton agressif, un policier et un officier de la municipalité.

Par la suite, mercredi, ils ont été une vingtaine de marchands à opérer au Ruisseau du Pouce pour se rendre à la municipalité dans l'espoir de rencontrer le Lord-Maire de Port Louis, Issop Nujuraully. Mais ce dernier n'était pas dans son bureau pour les recevoir. B.P., l'un des marchands, a dit avoir ras le bol de l'hypocrisie des autorités. «Nous sommes fatigués d'être harcelés alors qu'ils savent pertinemment que nous devons attendre une décision de la Cour suprême. Ils inventent des propositions incohérentes et toutes sortes de tactiques pour nous harceler. S'il s'agit d'intérêt public, pourquoi les autorités ne veulent-elles pas démolir les structures des bâtiments KFC, Rogers et Air Mauritius à cause desquels le problème d'accumulation d'eau le long du Ruisseau du Pouce s'est aggravé ? Pourquoi font-ils toujours de nous la cible ? Akoz nou bann ti dimounn ? De plus, pourquoi ont-ils continué à bétonner et à construire le métro alors qu'ils savaient que la ville est confrontée à des problèmes d'inondations ? L'accumulation d'eau s'est aggravée à cause du métro. L'hypocrisie est flagrante», a-t-il lancé.

Me Nabiil Kaufid, avocat représentant les marchands et qui était présent à la municipalité de Port-Louis, a lui aussi, de son côté tenté, de solliciter une rencontre avec le Lord-Maire. Mais en vain. Lors d'un entretien avec la presse, Me Nabiil Kaufid a expliqué : «Ce que nous demandons depuis le début, c'est que l'ordre de la cour soit respecté. Cela signifie que le stay of execution doit être respecté jusqu'à ce que l'affaire soit entendue dans le fond en Cour suprême.»

Contacté par téléphone, le Lord-Maire Issop Nujuraully a affirmé en réponse à nos questions : «Tout ce qui concerne le sursis à exécution ou l'ordonnance du tribunal est une question juridique sur laquelle je ne peux pas vous répondre. L'avocat représentant les marchands doit en débattre au tribunal. Mais au niveau de la municipalité, dans l'intérêt public, nous avons pris la décision et la responsabilité d'aller de l'avant ; la démolition de la surface est certaine. Nous nous assurerons que les marchands soient relogés dignement au Victoria Urban Terminal.» Donc, la municipalité assume entièrement la responsabilité d'aller de l'avant malgré le sursis d'exécution accordé par le tribunal ? «Il s'agit d'une décision collective prise par l'administration et la municipalité a reçu un ordre du ministère pour démolir le surface bétonnée où opèrent les marchands», a-t-il déclaré.

S'il s'agit d'intérêt public, qu'en est-il de la démolition des bâtiments de KFC, Rogers et Air Mauritius, qui aggravent le problème des inondations ? «Nous n'opérons pas ces bâtiments et nous sommes en négociation avec eux... En ce qui concerne les marchands, les étals sont sous notre contrôle et nous allons dans l'immédiat démolir la surface où ils opèrent jusqu'à ce qu'une décision soit prise par rapport aux autres bâtiments. Le moment venu, nous verrons quelle solution leur sera proposée...» Quant au ministre des Collectivités locales, Anwar Husnoo, il a été injoignable sur ce sujet.

Décision toutefois perçue comme une politique de deux poids deux mesures par les marchands. «C'est toujours nous qui sommes ciblés afin de protéger les grandes entreprises, alors que le problème est pire à cause d'elles... Il nous semble que l'objectif n'est pas de démolir cet endroit dans l'intérêt public, mais de nous envoyer au Victoria Urban Terminal pour remplir les étals vacants... » ont déclaré certains marchands.

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