Togo: 'Agbeyome Kodjo, une si belle fin', - L'hommage d'Atisso à son ex-partenaire de lutte

La nouvelle du décès de Agbeyomé KODJO, annoncée par les médias le lundi 04 mars, a surpris tout le monde. Elle a d'autant plus surpris qu'elle est intervenue à un moment où les coeurs meurtris par la douleur de la disparition de Mgr Philippe Fanoko KPODZRO, quelques semaines auparavant, ne sont pas encore guéris. En dépit de la sensibilité particulière que revêt la période, je me suis permis, comme d'autres, de prendre la plume pour dire ce que je pense du défunt, puisque j'ai partagé sa proximité pendant quelques temps, en tant que Coordinateur de la Dynamique Mgr KPODZRO (DMK) et Directeur de sa campagne électorale.

J'ai trouvé chez Agbeyomé KODJO des qualités particulières que je ne puis m'empêcher de révéler au moment où on parle de lui. L'homme avait une force de conviction et un potentiel de résistance extraordinaires. Quand il croit dans quelque chose, il s'y accroche jusqu'au bout. Les avis contraires, aussi pertinents qu'ils puissent paraître, ne le découragent ni ne le dissuadent. Cette croyance ferme dans la cause qu'il pense être juste et cette conviction inébranlable sont le caractère du personnage. C'est la marque des grands hommes politiques.

L'histoire ne manque pas d'exemples d'hommes qui ont assumé jusqu'au bout leur croyance politique. Le cas du général de Gaulle. En 1958, de Gaulle revient au pouvoir en France après avoir abdiqué en 1946, un an après la libération. Il croyait fermement en ce retour et y a travaillé pendant tout le temps de son retranchement à Colombey-les-Deux-Églises, son village natal. Sa femme (tante Yvonne) le raillait dès qu'il se mettait à table pour travailler : mon général, tu veux provoquer un autre 18 juin ? C'est impossible, déchire ces paperasses et occupe-toi de tes enfants.

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Au final, la croyance de de Gaulle s'est réalisée ; il est revenu au pouvoir et y est resté jusqu'en 1969. Un autre exemple : Jacques Chirac. Chef de file de la droite française en 1992 pendant la deuxième cohabitation, il a cru en son élection à la présidence de la République en 1995, malgré que tous les ténors de la droite (Charles Pasqua, Philippe Séguin, Nicolas Sarkozy...) l'ont abandonné pour soutenir Édouard Balladur, celui qu'il avait choisi pour être le Premier ministre de la cohabitation. Sa croyance s'est matérialisée, il a gagné contre tous les sondages qui lui étaient pourtant défavorables

Agbeyomé KODJO, bien qu'il avait ses défauts, me semble être de la trempe de ces grands leaders qui croient là où tous les espoirs sont en berne et travaillent pour faire aboutir leur cause là où tout le monde est convaincu qu'ils font le travail de Sisyphe.

Le 24 février 2020, au lendemain de la proclamation des résultats de l'élection présidentielle du 22 février 2020, donnant vainqueur le candidat du parti UNIR, le chef de l'Etat, on s'est retrouvé à deux dans son bureau. Je lui ai posé la question : Président, qu'est-ce que nous faisons maintenant ? Il m'a répondu : on va prendre le pouvoir, c'est nous qui avons gagné. Je lui ai demandé, comment faisons-nous pour prendre le pouvoir ? Là, il n'a pas pu me répondre, il ne savait pas.

Agbeyomé KODJO est un sphinx. Son personnage politique cache une énigme qu'on ne peut déchiffrer que si on veut le connaître. On ne peut pas le comprendre si on est détenteur d'une conception rationnaliste de la politique. Il avait un slogan après le 22 février 2020 : " On prend ! " Ce qui veut dire, la DMK va prendre le pouvoir. Moi qui ai lu Carl Schmitt (La notion de politique), livre dans lequel on définit la politique comme une guerre, je ne comprends pas comment la Dynamique Mgr KPODZRO (DMK), un mouvement pacifique, peut prendre le pouvoir d'Etat quand les institutions n'ont pas proclamé son candidat vainqueur de l'élection présidentielle. A cette étape, la DMK est devenue un instrument au service de la récupération de la victoire, donc de la prise du pouvoir. Il faut alors croire que la prise du pouvoir par la DMK, contre la volonté de l'Etat, est possible pour s'engager aux côtés de Agbeyomé KODJO.

A force de réfléchir, j'ai fini par cerner le personnage, non pas dans une démarche rationnelle, mais plutôt en me mettant dans sa pensée. Quand Agbeyomé KODJO disait qu'il va prendre le pouvoir, il n'est pas dans une conception logique de la politique ; il pense que les forces de la nature vont tout régler pour que le pouvoir tombe entre ses mains. L'homme a toujours pensé qu'il a un destin de Président de la République. Il a cru en ce destin jusqu'au dernier jour. Sa croyance était confortée par le fait qu'il avait occupé, tout jeune, les plus hautes fonctions politiques de l'Etat. Partout ailleurs, quand on a fini d'être Premier ministre il ne reste plus qu'à devenir Président de la République.

Dans la compréhension de Agbeyomé KODJO, le 22 février 2020 a créé les conditions matérielles de ce destin, il reste que Dieu mette en place les éléments du puzzle, crée le mystère qui le portera à la présidence. C'est peine perdue que de chercher à le convaincre que les rapports de force politiques ne lui sont pas favorables. Il est convaincu que le temps et l'espace (l'exil) ne sont rien et que son destin finira par se réaliser.

Sa conception politique, transcendant le rationnel et le naturel, ont nourri sa croyance et sa conviction qui ont créé chez lui une intrépidité et un potentiel de résistance hors de commun. Il a fait montre d'un grand courage en refusant de répondre à deux convocations du juge. Il arguait que c'était lui qui a gagné le scrutin présidentiel et il était hors de question qu'il réponde aux convocations des autorités sortantes. Il eut fallu que l'on cassât le portail de sa maison pour l'extraire de force et le ramener au Service Central de Recherches et d'investigations Criminelles (SCRIC).

Sans faire l'apologie du deni de l'autorité ou du refus de respecter la loi, j'avoue n'avoir jamais vu ce courage. Un autre acte de bravoure : quand nous avons été présentés au juge d'instruction, après notre garde à vue au SCRIC, ce dernier nous a interdit de parler derechef de victoire de la DMK à l'élection présidentielle. A la première conférence de presse au lendemain de notre libération, Agbeyomé KODJO a revendiqué sa victoire au scrutin présidentiel du 22 février 2020. L'homme est un exemple de croyance, de conviction et d'intrépidité.

Malheureusement, Agbeyomé KODJO n'a pas vu son destin se réaliser. Cependant, il est mort dans la résistance, les armes à la main. Quelle belle fin ! Dans la vie d'un homme, c'est la fin qui compte. Je pense que c'est son mentor (Dieu) qui l'a rappelé pour discuter avec lui de la suite à donner à l'élection présidentielle du 22 février 2020. Peut-être que Mgr KPODZRO sera aussi là pour assister à ces discussions. Ceci dit, le combat de Agbeyomé KODJO n'est pas terminé, il s'est déplacé simplement sur une autre dimension.

Je présente mes sincères condoléances à la famille biologique du défunt, à Mme KODJO, à ses enfants, à sa famille politique (la DMK) et à tous ceux qui l'ont connu et aimé.

 Ancien Coordinateur et Directeur de campagne de la DMK

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