Afrique: Marchands à la sauvette - Chassez-les, ils reviennent au galop !

Dans ces étals de bric et de broc qui vous en mettent plein les yeux, le tenancier a un oeil sur sa marchandise et un autre sur l'apparition intempestive de la police municipale

Bien qu'ils perdent du terrain face à la volonté tenace des autorités, les étals anarchiques risquent bien de revenir à la charge, notamment à l'occasion de Ramadan, c'est-à-dire d'ici quelques jours. La contre-offensive est-elle réellement prête ?

Lors de sa dernière réunion avec le ministre de l'Intérieur, qui était accompagné des deux plus hauts responsables de l'appareil sécuritaire du ministère, le Chef de l'Etat a mis l'accent sur « l'impératif de multiplier les efforts pour lutter contre la spéculation, en particulier à l'approche du mois saint au cours duquel les lobbys profitent de l'aubaine, ils veulent développer leurs activités spéculatives et augmenter leurs marges bénéficiaires ». Le commerce parallèle, bête noire de l'économie nationale, risque de rappliquer et envahir les artères des grandes villes. Il est aujourd'hui une triste réalité qu'il serait inutile de cacher ou d'ignorer.

Vieux de plusieurs décennies, durant lesquelles rien de concrètement efficace n'a été entrepris pour freiner son éclosion, ce phénomène continue de nos jours à faire de la résistance, sans fléchir, en dépit des nombreux revers qu'il avait essuyés, notamment au cours des trois dernières années.

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L'une des fers de lance du commerce informel est bien les étals anarchiques qui constituent une de ses principales forces de frappe. C'est le terminus d'un long itinéraire qui commence par les frontières, pour ensuite transiter par les dépôts de stockage clandestins, avant d'atterrir dans les différents points de vente, via des véhicules de transport utilisés par les contrebandiers.

C'est donc une chaîne qui prend naissance des frontières et à travers tout une chaîne grâce à laquelle les étals anarchiques vivent et se reproduisent, d'où la nécessité (autant dire l'obligation) de verrouiller les frontières, en premier lieu, sans quoi, on n'attendra pas de résultats probants.

L'inévitable partie du chat et de la souris

En attendant d'y voir clair, que nous réserve la traditionnelle parade ramadanesque, saison 2024 ?

Les autorités d'un côté, les commerçants ambulants et agiles de l'autre. Dans cet éternel jeu du chat et de la souris, il n'y a pas de vainqueur, juste de petites et brèves victoires à mettre à l'actif d'une partie ou de l'autre. D'ailleurs, le vainqueur n'est jamais connu d'avance.

« J'ai toujours joué de la sorte », confie le propriétaire d'un étal à La Goulette, qui plaide pour moins de répression et de plus de compréhension, puisque c'est leur unique source de revenu. Dans ces étals qui vous en mettent plein les yeux par la variété des produits exposés à la vente, le tenancier a un oeil sur le client et un autre sur les flics. Dès que le moindre uniforme apparaît, la «nasba» ( l'étalage) disparaît en un clin d'oeil. Une fois l'orage passé, le sieur et sa charrette de bric et de broc réapparaît.

Et comme il y a des hauts et des bas, il n'est pas rare de voir le même vendeur à la sauvette -- c'est bien le cas de le dire -- se fait prendre au piège.

La procédure se déclenche comme par magie. Tout le monde est rompu à l'exercice. Bonjour PV, adieu marchandise. Mais, qu'à cela ne tienne, on se rabat sur un « stock de sécurité», bien dissimulé dans le jardin d'une maison aux alentours, dans un véhicule du coin ou encore chez un complice occupant un magasin légal, lui, à l'intérieur du marché. « Ou on fait ça, ou on reste à la maison», résume l'un d'eux, étonnamment décontracté, avant d'ajouter : « Certes, il nous arrive par moments d'avoir des sueurs froides et même d'échapper in extremis à une peine de prison. Certes aussi, nos recettes en pâtissent parfois, mais on ne lâche jamais. Advienne que pourra ». Des propos qui annoncent le défi et la détermination. Et pour cause, « la majorité de ces personnes travaillant au black que rien ne peut effrayer et qui sont, dans leur presque-totalité, des repris de justice », indique une source policière qui affirme que « certains d'entre eux ont été arrêtés au beau milieu de leurs étals, en flagrant délit de détention, de consommation et de trafic de stupéfiants.»

L'exemple de la ville de l'Ariana

Bref, pour les vendeurs ambulants, c'est une question de survie. Tous les moyens sont bons et tous les coups sont permis pour transgresser la loi. « Franchement, ils sont intraitables », avoue un agent de la police municipale de la commune de Raoued (l'Ariana) qui évoque « un mal incurable avec lequel nous sommes appelés à vivre encore longtemps, car j'ai la conviction que tant que séviront les réseaux des trafics transfrontaliers, le fléau des étals anarchiques ne disparaîtra jamais ». Notre interlocuteur met ainsi le doigt sur la gravité de la situation. Champions de la récidive, ces repris de justice s'empressent, dès leur sortie de prison, de se réinstaller dans la jungle du commerce informel,... jusqu'à la prochaine arrestation ! C'est surtout dans la commune de l'Ariana où ces démonstrations sont les plus fréquentes.

D'abord, entre revendeurs qui, concurrence oblige, en viennent parfois aux mains à la première escarmouche échangée. Ensuite vis-à-vis des clients qui sont malmenés. D'ailleurs, les habitants de la ville des Roses n'oublieront peut-être jamais l'incident spectaculaire survenu il y a quelques années devant l'entrée principale de l'Hôtel de Ville où le propriétaire d'un étal anarchique, un repris de justice notoire, a escaladé, torse nu, le haut poteau d'éclairage public pour se mettre à crier, menaçant de se suicider si « monsieur le maire» ne l'autorisait pas à récupérer son étal et sa marchandise saisis par la police municipale. Il a fallu des renforts des agents de l'ordre pour le neutraliser. 24 heures après, revoilà le « bad boy» recasé dans son carré devant le marché.

Ils refusent le changement, même bénéfique !

D'autres scènes similaires de revendications non moins houleuses ont pour théâtre la même ville quand ce ne sont pas des.. tentes carrément dressées par ces commerçants versus trafiquants face au siège du gouvernorat !

Aujourd'hui, pourtant, la mairie de l'Ariana peut désormais s'enorgueillir d'être l'une des très rares municipalités du pays à avoir vaincu le phénomène des étals anarchiques, mettant ainsi fin à des décennies de laxisme et d'impuissance. L'exploit -- c'en est un -- n'a pu être réalisé récemment que grâce à une volonté politique traduite sur le terrain par une fracassante opération coup de poing sécuritaire qui a déboulonné tous les étals et quadrillé toutes les issues menant vers les lieux de leur exposition. Depuis, des véhicules de la police sont stationnés 24 heures sur 24 pour empêcher un possible retour des envahisseurs.

Répression, mais aussi ouverture, quand on sait que ladite municipalité leur a, entre-temps, construit, non loin du centre-ville, un site commercial doté de commodités. Le tout flambant neuf. « Hélas, déplore une source municipale, cet espace ne semble pas enthousiasmer la majorité d'entre eux, bien que ce projet nous ait coûté plus de 200 mille dinars et ne manque de rien ».

De l'autre côté, nos vendeurs de rue se plaignent. Pourquoi ? Réponse : « Depuis qu'on nous a mutés dans cet espace, j'ai perdu la quasi totalité de ma clientèle » regrette l'un d'eux. Cela nous rappelle», le thriller de Moncef-Bey, lorsque la mairie de Tunis avait, il y a quelques années, délocalisé les étals anarchiques vers ledit marché. Il faut savoir que deux sur trois des nouveaux venus ont tôt fait de... plier bagage et de disparaître dans la nature !

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