Tunisie: Kaissar Sassi, médecin anesthésiste-réanimateur tunisien au CHU de Toulouse et membre fondateur de l'AMTM, à La Presse - «L'IA complète le travail des professionnels de santé, mais ne le remplace pas»

16 Mars 2024

L'intégration croissante de l'intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la santé révolutionne les pratiques médicales à l'échelle mondiale. L'utilisation de l'IA dans la gestion des données médicales, le diagnostic et même la surveillance des épidémies a déjà démontré son potentiel transformateur. En parallèle, l'IA joue également un rôle capital dans le domaine du tourisme médical, offrant de nouvelles opportunités pour les patients internationaux à la recherche de soins de santé de qualité à l'étranger. Toutefois, ce virage vers l'IA n'est pas sans défis, notamment dans le contexte tunisien. Kaisser Sassi nous en dit plus dans cet entretien.

Comment l'intelligence artificielle est-elle actuellement utilisée dans le système de santé et quels sont les domaines où elle a montré le plus d'impact jusqu'à présent ?

L'introduction de l'intelligence artificielle dans le système de santé mondial a apporté des changements significatifs dans plusieurs domaines. Actuellement, l'IA est largement utilisée pour la gestion et l'analyse des données médicales, permettant ainsi d'améliorer les diagnostics et les traitements. Les applications de l'IA dans l'imagerie médicale ont également montré un impact majeur, en permettant une détection plus précise des anomalies et des maladies, ce qui conduit à des résultats plus efficaces pour les patients.

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Par ailleurs, l'IA a également été déployée avec succès dans la prédiction des épidémies et la surveillance de la santé publique, offrant ainsi aux autorités sanitaires la possibilité de prendre des mesures préventives rapides et ciblées. La meilleure illustration est une start-up d'IA canadienne qui avait prévu la transformation de l'épidémie de Covid en pandémie avant même qu'elle ne soit déclarée par l'OMS en 2020. De plus, les chatbots et les systèmes d'assistance virtuels basés sur l'IA sont utilisés pour fournir des informations médicales en temps réel aux patients et aux médecins, améliorant ainsi l'accessibilité aux soins de santé.

Quels sont les défis spécifiques rencontrés lors de l'intégration de l'IA dans les structures de santé en Tunisie ? Et en quoi l'adoption de l'IA pourrait-elle améliorer l'accessibilité et la qualité des soins de santé en Tunisie?

L'intégration de l'IA dans les structures de santé en Tunisie est confrontée à plusieurs défis spécifiques. Tout d'abord, il y a un besoin crucial de développer l'infrastructure technologique et d'investir dans des systèmes robustes de gestion des données médicales pour garantir une utilisation efficace de l'IA. En outre, la formation et le développement des compétences en IA pour les professionnels de la santé sont essentiels pour assurer une intégration réussie de ces technologies dans les pratiques cliniques.

Cependant, malgré ces défis, l'adoption de l'IA pourrait offrir un immense potentiel pour améliorer l'accessibilité et la qualité des soins de santé en Tunisie. L'IA peut contribuer à la création de systèmes de santé plus efficients en aidant à prédire la demande de services médicaux, en optimisant la gestion des ressources hospitalières et en facilitant la télémédecine pour atteindre les populations dans les zones rurales et éloignées.

De plus, en utilisant l'IA pour analyser les vastes quantités de données médicales disponibles, il sera possible d'identifier plus précisément les besoins de santé de chaque individu, ouvrant ainsi la voie à des soins plus personnalisés et ciblés. Cela peut conduire à une amélioration significative des résultats cliniques et de la qualité des soins pour l'ensemble de la population tunisienne.

Quelles sont les préoccupations éthiques et de confidentialité liées à l'utilisation de l'IA dans le secteur de la santé en Tunisie ? Comment sont-elles abordées ?

L'utilisation de l'intelligence artificielle dans le secteur de la santé en Tunisie soulève des préoccupations éthiques et de confidentialité importantes. En ce qui concerne l'éthique, il est essentiel d'assurer que les décisions prises par les systèmes d'IA sont justes et transparentes, évitant ainsi tout biais ou discrimination. De plus, la confidentialité des données médicales des patients est une priorité majeure, nécessitant des mesures rigoureuses pour garantir la protection et la sécurité de ces informations sensibles. Pour aborder ces préoccupations, des directives éthiques et des réglementations strictes doivent être mises en place pour encadrer l'utilisation de l'IA dans le secteur de la santé. Ces directives devraient inclure des mesures visant à garantir la transparence des algorithmes d'IA, la protection de la confidentialité des données personnelles et médicales, ainsi que la responsabilité des acteurs impliqués dans le développement et l'utilisation de ces technologies.

En outre, des mécanismes de gouvernance et de contrôle doivent être mis en place pour superviser l'utilisation de l'IA dans le secteur de la santé, garantissant ainsi le respect des normes éthiques et de confidentialité. Cela pourrait impliquer la création d'organismes de supervision indépendants chargés d'évaluer et d'approuver les applications d'IA dans le domaine de la santé, ainsi que des audits réguliers pour vérifier la conformité aux exigences éthiques et de confidentialité.

Enfin, il est crucial d'impliquer diverses parties prenantes, notamment des experts en éthique, des professionnels de la santé, des représentants des patients et des organes de réglementation, dans le processus d'élaboration et de mise en oeuvre de ces mesures. La collaboration et la sensibilisation de l'ensemble de la communauté de la santé seront essentielles pour garantir une utilisation responsable et éthique de l'IA, tout en préservant la confidentialité des données médicales des patients en Tunisie.

Existe-t-il des efforts spécifiques de régulation ou de gouvernance pour encadrer l'utilisation de l'intelligence artificielle dans notre secteur sanitaire ?

A ce niveau-là, il faut souligner que des efforts spécifiques sont très probablement en cours pour encadrer ces technologies émergentes. La Tunisie a déjà pris des mesures réglementaires pionnières en Afrique, notamment en régulant la pratique de la télémédecine. Par conséquent, il est tout à fait naturel que cette réglementation soit étendue pour inclure l'intelligence artificielle. Cette démarche facilitera la tâche du législateur, en offrant un cadre juridique clair et cohérent pour l'utilisation de l'IA dans le domaine de la santé. Tout d'abord, les autorités tunisiennes ont reconnu l'importance cruciale de mettre en place des cadres réglementaires adaptés pour superviser l'adoption de la santé numérique dans les pratiques de santé.

De plus, des organes de gouvernance sont envisagés pour surveiller et réglementer l'application de la santé numérique dans les hôpitaux, notamment sous l'égide du conseil national de l'ordre des médecins. Ces organes seront probablement responsables de l'évaluation des applications d'IA, de l'approbation de leur utilisation dans un contexte clinique et de la supervision continue pour assurer le respect des normes éthiques et de confidentialité.

En outre, des partenariats entre le gouvernement, les institutions de santé et les membres de la communauté de la santé numérique, telle la Société tunisienne de télémédecine, pourraient être établis, afin de développer des lignes directrices pratiques pour l'intégration sécurisée et éthique de l'IA dans le secteur de la santé en Tunisie. Ces initiatives reflèteront l'engagement des autorités à garantir que l'adoption de l'IA dans ce secteur se fasse de manière responsable, transparente et conforme aux normes éthiques et de confidentialité, tout en optimisant ses avantages pour améliorer l'accessibilité et la qualité des soins de santé dans tout le pays.

Comment l'intelligence artificielle peut-elle contribuer à résoudre les défis spécifiques auxquels est confronté le système de santé tunisien, tels que le manque de ressources médicales dans certaines régions ?

L'intelligence artificielle peut permettre une meilleure utilisation des ressources existantes, l'amélioration de la prévention et du diagnostic des maladies et une optimisation des processus de soins de santé.

Tout d'abord, en utilisant des technologies d'IA telles que l'analyse prédictive, les établissements de santé peuvent anticiper les besoins médicaux futurs en fonction de divers facteurs tels que la démographie, les tendances de santé et les antécédents médicaux des patients. Cela peut aider à allouer de manière judicieuse les ressources médicales là où elles sont le plus nécessaires, maximisant ainsi l'impact des services de santé dans les régions sous-dotées.

De plus, l'IA peut améliorer le processus de diagnostic en fournissant un soutien aux professionnels de la santé dans l'interprétation des données médicales et des résultats d'examens. Les systèmes d'IA peuvent aider à repérer les signes précoces de maladies et à recommander des stratégies de traitement appropriées notamment dans la médecine de première ligne, contribuant ainsi à une détection plus rapide et à une intervention précoce, même dans les zones où l'accès aux spécialistes médicaux est limité.

En outre, les technologies d'IA associées à la télémédecine et les applications de suivi de la santé peuvent étendre l'accès aux soins de santé à des régions éloignées, permettant aux patients de consulter des médecins et de bénéficier d'un suivi médical régulier, sans avoir à se déplacer vers des centres urbains.

Ainsi, en mettant en place des solutions d'IA adaptées au contexte tunisien, il est possible de renforcer l'efficacité des services de santé, de réduire les disparités régionales en la matière et d'optimiser l'utilisation des ressources médicales disponibles, contribuant ainsi à une amélioration globale du dispositif de santé national.

Comment les professionnels de la santé tunisiens perçoivent-ils l'intelligence artificielle et son impact sur leur travail ?

Il s'agit ici d'un avis personnel, car aucune étude nationale n'a encore été réalisée pour répondre à cette question. Je pense que les professionnels de la santé tunisiens perçoivent l'intelligence artificielle comme un outil potentiellement bénéfique pour améliorer leurs pratiques cliniques et l'efficacité des soins de santé. Tout en reconnaissant les avantages potentiels de l'IA dans le domaine médical, certains professionnels expriment également des préoccupations concernant l'impact de ces technologies sur la nature de leur travail et la relation médecin-patient.

De nombreuses voix dans la communauté médicale tunisienne reconnaissent que l'IA peut aider à améliorer la précision du diagnostic, à optimiser la planification des traitements et à faciliter la gestion des dossiers médicaux. Toutefois, certains professionnels de la santé expriment des inquiétudes quant au remplacement de certaines tâches cliniques par des machines, ce qui suscite des interrogations sur le maintien de l'aspect humain et de l'empathie dans la pratique médicale. Il est également important de noter que certains professionnels de la santé cherchent à être impliqués dans le processus de développement et d'intégration de l'IA dans le domaine médical afin de garantir que ces technologies sont adaptées aux besoins spécifiques du système de santé tunisien et qu'elles ne compromettent pas la qualité des soins ou la confidentialité des données médicales.

En somme, la perception des professionnels de la santé vis-à-vis de l'intelligence artificielle est nuancée, mêlant optimisme quant aux avantages potentiels et préoccupations quant à l'impact sur la pratique médicale traditionnelle. Il est essentiel d'impliquer activement les professionnels de la santé dans les discussions et les décisions concernant l'intégration de l'IA pour garantir une adoption réussie et éthique de ces technologies dans le système de santé tunisien.

Quels sont les investissements actuels dans la recherche et le développement de l'intelligence artificielle appliquée à la santé en Tunisie ?

Les initiatives prometteuses telles que le développement de formations en intelligence artificielle dans les facultés de médecine, comme c'est le cas à la faculté de médecine de Sousse sous la supervision du Pr Mohamed Bousarsar, ainsi que l'émergence de start-up telles que DeepBrain, fondée par de jeunes médecins tunisiens et dont j'ai l'honneur d'être cofondateur avec le Dr Riadh Chaker, constituent un premier pas crucial vers le développement de l'IA dans le domaine médical en Tunisie. Ces projets pionniers démontrent un début d'intérêt et d'engagement visant à combler le fossé entre la médecine traditionnelle et les avancées technologiques.

Cette orientation vers la formation et l'entrepreneuriat dans le domaine de l'IA médicale représente non seulement une reconnaissance de l'importance de l'innovation dans le secteur de la santé, mais également une réponse proactive aux défis rencontrés par le système de santé tunisien. En investissant dans la formation de professionnels de la santé capables de comprendre et d'appliquer les principes de l'IA, ainsi qu'en encourageant l'émergence de jeunes entreprises axées sur l'innovation médicale, la Tunisie se positionne pour tirer parti des avantages de l'IA dans la pratique médicale et pour favoriser le développement d'un écosystème technologique dynamique et compétitif.

Comment l'IA peut-elle être utilisée pour personnaliser les services de santé pour les touristes en Tunisie, en fonction de leurs besoins spécifiques et de leurs antécédents médicaux ?

A mon avis, l'utilisation de l'intelligence artificielle pour personnaliser les services de santé pour les touristes en Tunisie représente une opportunité significative d'améliorer l'expérience des visiteurs tout en assurant des soins de santé adaptés à leurs besoins spécifiques et à leurs antécédents médicaux.

Tout d'abord, en intégrant des systèmes d'IA dans les services de santé destinés aux touristes, il serait possible de mettre en place des outils de gestion des dossiers médicaux électroniques interconnectés. Cela permettrait aux professionnels de la santé en Tunisie d'accéder aux antécédents médicaux des touristes de manière sécurisée et efficace, facilitant ainsi une approche de soins personnalisés basée sur des informations médicales complètes et actualisées.

De plus, l'IA pourrait être utilisée pour analyser les données médicales des touristes, telles que les résultats de tests et les diagnostics préalables, afin de fournir des recommandations de traitement adaptées à chaque cas particulier. Cette approche personnalisée garantirait que les touristes reçoivent des soins de santé de haute qualité et pertinents, en fonction de leurs besoins individuels.

Par ailleurs, des applications d'IA pourraient également être développées pour fournir des conseils médicaux personnalisés aux touristes, en fonction de leur profil de santé, de leurs préoccupations spécifiques et des spécificités de leur voyage en Tunisie. Ces applications pourraient offrir des informations sur les services de santé disponibles, les conseils de prévention des maladies liées au voyage et les recommandations en matière de santé publique, contribuant ainsi à une expérience touristique plus sûre et mieux adaptée.

Enfin, l'IA pourrait être employée pour optimiser la coordination des soins pour les touristes, en facilitant la communication entre les différents prestataires de services de santé et en assurant un suivi intégré des traitements et des recommandations médicales tout au long de leur séjour en Tunisie. En intégrant l'IA dans la personnalisation des services de santé pour les touristes, la Tunisie pourrait non seulement améliorer la satisfaction des visiteurs, mais aussi renforcer sa réputation en tant que destination touristique offrant des soins de santé de qualité, adaptés aux besoins individuels de chaque touriste.

Faut-il s'inquiéter de l'impact à long terme de l'intelligence artificielle sur l'emploi dans le domaine de la santé en Tunisie ? Autrement dit, y a-t-il des craintes quant à la possibilité que l'IA remplace les professionnels de la santé en Tunisie ? Comment ces craintes sont-elles gérées ?

L'impact à long terme de l'intelligence artificielle sur l'emploi dans le domaine de la santé en Tunisie suscite légitimement des préoccupations quant à la possibilité que l'IA remplace les professionnels de la santé. Cependant, ces craintes sont gérées de manière proactive à travers plusieurs approches.

Tout d'abord, il est important de reconnaître que l'IA est conçue pour compléter le travail des professionnels de la santé plutôt que de le remplacer. En employant l'IA pour automatiser des tâches routinières telles que la gestion des dossiers médicaux ou l'analyse de données, les professionnels de la santé pourraient se concentrer davantage sur des tâches complexes et axées sur les patients, renforçant ainsi la qualité des soins.

De plus, des programmes de formation continue et de reconversion professionnelle sont mis en place pour permettre aux professionnels de la santé de développer les compétences nécessaires pour travailler de manière synergique avec les technologies d'IA. Ces programmes visent à assurer une adaptation constante aux avancées technologiques et à favoriser une collaboration efficace entre l'homme et la machine dans le domaine de la santé.

Par ailleurs, les autorités sanitaires collaborent avec des experts en éthique et en législation pour établir des cadres réglementaires appropriés qui encadrent l'utilisation de l'IA dans la pratique médicale. Ces réglementations visent à garantir la transparence, l'équité et la responsabilité dans l'adoption de l'IA, tout en protégeant les droits des professionnels de la santé et des patients.

Enfin, des initiatives sont mises en place pour promouvoir une culture de confiance et d'acceptation de l'IA au sein de la communauté médicale. Des campagnes de sensibilisation sont menées pour informer les professionnels de la santé sur les avantages de l'IA, tout en encourageant un dialogue ouvert sur les enjeux éthiques et sociétaux liés à son utilisation dans le domaine de la santé.

Ainsi, ces mesures actives visent à atténuer les craintes liées à l'impact de l'IA sur l'emploi dans le secteur de la santé, en favorisant une transition équilibrée vers un écosystème médical soutenu par l'IA.

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