Ile Maurice: Le «mauvais rôle» de la Mauritius Film Development Corporation dénoncé

La Mauritius Film Development Corporation (MFDC) semble avoir d'autres priorités depuis quelque temps. Des employés, exaspérés par l'ingérence du directeur Vikram Jootun, dénoncent. Preuves à l'appui, ils parlent de montages vidéo impliquant plusieurs personnalités ou encore d'employés en freelance et d'équipements de l'organisme utilisés à des fins purement politiques...

La MFDC, sous la direction de Sachin Jootun, Vikram pour les intimes donc, aura connu des changements drastiques durant ces dernières années. Ce sont des employés eux-mêmes qui le disent. L'organisme, expliquent plusieurs sources, est utilisé à outrance à des fins politiques. Ainsi, depuis quelque temps déjà, les locaux de la MFDC seraient le lieu où des «travay sal» sont exécutés par des «proches» de Vikram Jootun. «Zot pé amenn mové rol», allèguent sans détour nos interlocuteurs.

L'opposition l'a d'ailleurs dit et redit, qu'avec la campagne électorale, tous les moyens seront déployés pour ternir l'image et la réputation des adversaires de ceux qui sont au pouvoir. Et pour le faire, soutienton, le Mouvement socialiste militant (MSM) bénéficie de l'aide précieux d'un de leurs, Vikram Jootun, celui qui était derrière le clip «Viré mam» à la veille des élections en 2014.

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Jootun, un proche de Lakwizinn, selon des collaborateurs les plus proches eux-mêmes - il dirait à qui veut l'entendre qu'il a une ligne de communication directe avec le 'boss' en personne - utiliserait le personnel, des free-lances et même les équipements de l'organisme pour accomplir de «basses besognes» pour le pouvoir. Le mode opératoire est simple et le résultat est visible sur les réseaux sociaux. Il s'agit d'effectuer des montages vidéo sur les adversaires politiques ou autres personnalités qui sont contre le régime en place pour les discréditer, leur donner une mauvaise image ou tout simplement les calomnier en étayant de fausses théories sur plusieurs sujets ou aspects de leur vie personnelle, notamment.

(Un employé effectuant un montage contre des adversaires politiques.)

Ainsi, sur des photos que des employés nous ont fait parvenir, on peut notamment voir un ex-employé, S.B, en plein montage de deux vidéos. On distingue bien sur l'écran le nom de l'ex-chef juge Eddy Balancy et celui de l'activiste-politicien Bruneau Laurette. Des vidéos 'traficotées' qui se sont par la suite retrouvées sur plusieurs pages Facebook et qui ont été partagées massivement.

Comment savoir qu'il s'agit bien de montages faits dans les locaux de la MFDC, a-t-on demandé aux sources. «Il y a les logos de la MFDC et un autre organisme d'état sur des disques durs sur la table. On travaille à cet endroit. On reconnaît les ordinateurs, le mur. On note même le visage de S.B sur une des photos que l'on vous a données...» Même si, explique-t-on, il y a quelque temps, ces locaux ont connu une mini-rénovation.

Ces mêmes sources vont encore plus loin en expliquant avoir vu de leurs propres yeux des vidéos avec des montages sur le Directeur des poursuites publiques, par exemple, à un moment donné. «À la veille des élections générales, il est certain que ceux qui sont à la solde de Vikram Jootun ont eu des directives sur les prochaines 'commandes' de vidéos à manipuler. Parmi les cibles, il y a des politiciens comme Navin Ramgoolam ou encore Xavier-Luc Duval», poursuit-on.

Les free-lances privilégiés

Des employés sont confrontés à une crise interne majeure, alimentée par des conditions de travail stressantes et une culture d'entreprise problématique. Certains dénoncent l'attitude autocratique du directeur, qui semble agir sans limite, créant un climat de frustration généralisée. L'un des principaux points de friction concerne les ressources humaines, gérées par une employée free-lance, dont les décisions semblent arbitraires. Les heures supplémentaires ne seraient pas correctement rémunérées et l'accès aux documents confidentiels est accordé sans discernement.

De plus, le processus de recrutement serait aussi entaché de conflits d'intérêts, avec des cas où des proches du directeur auraient été favorisés, malgré des qualifications douteuses, voire inexistantes. Cette pratique nuit à la morale et à la productivité de la MFDC. «Le manque de transparence et de discipline crée un environnement où les abus de pouvoir prolifèrent», disent-ils. Des cas de harcèlement ont été signalés, mettant en lumière un problème structurel plus large. Par exemple, un employé aurait été renvoyé en raison de ses affiliations politiques, illustrant un manque flagrant de respect des droits des travailleurs. Des employés disent en outre être victimes d'attaques personnelles.

La question de compétence est également soulevée, avec des recrutements basés sur des critères flous et des promotions sans justification claire. Des travailleurs sans qualifications adéquates occuperaient des postes clés, au détriment de l'efficacité et de la crédibilité de l'organisme. De plus, l'attribution de privilèges excessifs à certains free-lances crée des déséquilibres internes et alimente les tensions. Lors de la visite du Premier ministre à Agaléga, seuls des freelances auraient été envoyés par la MFDC pour couvrir l'événement, et non des employés de l'organisation. Cette situation s'est également reproduite lors de fonctions officielles, où les free-lances sont devenus les représentants de l'organisme.

La situation est d'autant plus préoccupante que ces problèmes persistent depuis plusieurs années, sans réelle action corrective du ministère de tutelle. Les employés expriment un sentiment d'impuissance face à des pratiques qui contreviennent aux normes éthiques et professionnelles fondamentales. Ils insistent sur le fait qu'un examen approfondi des pratiques de recrutement, de promotion et de gestion des ressources humaines est nécessaire pour l'intégrité de la MFDC.

L'utilisation politique des ressources de la MFDC

Il est qui plus est préoccupant de constater que la MFDC est aussi utilisée pour des événements politiques, la détournant ainsi de ses fonctions premières. En effet, des informations révèlent que la MFDC fournit ses logistiques et équipements pour des fonctions politiques du MSM. Et au lieu de se concentrer sur sa mission de développement cinématographique à Maurice, elle se retrouve à coordonner des activités politiques grandioses. Cette situation soulève plusieurs problèmes. Tout d'abord, cela remet en question l'objectif même de la MFDC en tant qu'entité de développement cinématographique. Au lieu de promouvoir et de soutenir l'industrie cinématographique locale et internationale, elle est détournée vers des activités politiques qui ne relèvent pas de ses compétences.

De plus, l'utilisation des ressources de la MFDC pour des événements politiques peut poser des problèmes d'équité et de transparence. Les free-lances recrutés par la MFDC, notamment ceux qui sont proches du directeur, se retrouvent à travailler lors de ces événements sans que cela ne fasse partie de leurs fonctions initiales. Cela soulève des questions sur l'utilisation appropriée des ressources humaines. Les employés soulignent que cela pourrait également avoir un impact sur l'image et la crédibilité de la MFDC. «Être perçu comme une entité qui se prête à des activités politiques au détriment de sa mission première pourrait compromettre sa légitimité et sa capacité à attirer des partenaires et des investisseurs dans l'industrie cinématographique. Déjà, plusieurs compagnies dans l'événementiel trouvent que la MFDC leur a volé leur travail», déplorent-ils.

(Un véhicule de la MFDC dans la cour d'un employé, alors qu'un rapport de l'Audit a noté des disparités dans des montants réclamés pour le carburant.)

Des équipements achetés sans appels d'offres

Le rapport de l'Audit a en sus souligné que la gestion des exercices d'appels d'offres à la MFDC avait été sujette à plusieurs irrégularités, soulevant des préoccupations majeures quant à la transparence et l'intégrité des processus d'acquisition. Plusieurs équipements ont été achetés par la MFDC sans que les procédures standards d'appels d'offres ne soient suivies. Cela inclut le contournement complet des procédures soulevant des questions sur la manière dont ces transactions ont été initiées et traitées ainsi que la justification des choix de fournisseurs.

De plus, l'absence totale d'un Annual Procurement Plan avait été notée. Ce document est essentiel pour assurer une planification adéquate des acquisitions, garantir la conformité aux règles et réglementations en vigueur, et établir une base solide pour l'évaluation des performances en matière d'appel d'offres. Un autre aspect critique découvert lors de l'audit concerne le retour sur les activités des offres transmis à l'Internal Control Team. Ce retour était non seulement incomplet, mais également inexact, soulevant des inquiétudes sur la fiabilité des données utilisées pour évaluer l'efficacité et l'efficience des processus d'appel d'offres à la MFDC.

Par ailleurs, il a été observé que des fournisseurs qui ne figuraient pas sur la liste approuvée étaient sollicités pour des devis et se voyaient même attribuer des contrats. Cela indique un sérieux manquement dans la gestion des fournisseurs et des relations contractuelles, ce qui peut compromettre la qualité et le coût des biens et services acquis. Un autre problème majeur identifié est l'absence de dossiers de devis dans l'organisation. Les dossiers de devis étaient essentiels pour documenter et justifier les décisions prises pour l'attribution des contrats, assurer la traçabilité des processus et garantir la conformité aux exigences légales et réglementaires. Cependant, malgré toutes ces observations et recommandations du bureau de l'Audit, la situation perdure et aurait même empiré.

Le directeur de la MFDC aurait tenté à plusieurs reprises d'utiliser son pouvoir pour contourner les procédures d'appel d'offres et favoriser des entreprises avec lesquelles il entretient des liens personnels. Cette pratique, soulignent les employés, soulève des questions éthiques et de gouvernance, et met en lumière les risques de favoritisme et de collusion au sein de l'organisation. Il arrive fréquemment que le département concerné reçoive trois prix différents pour un même équipement du même revendeur. Cette disparité flagrante de prix soulève des suspicions quant à d'éventuelles pratiques de manipulation des prix et de contournement des procédures d'appel d'offres à la MFDC.

(Des équipements de l'organisme seraient utilisés à des fins politiques selon des employés.)

Un rapport qui en dit long...

Hormis les grosses anomalies notées dans les appels d'offres, le dernier rapport de l'Audit sur la MFDC, qui tombe sous la tutelle du ministère des Arts et du Patrimoine culturel, date de 2022. Et l'Audit note parmi toute une panoplie de failles - allant des heures de travail des employés aux permissions passant par les congés de ces derniers - qu'une liste de matériel loué à des tarifs de location a été fournie. Cependant, il n'y avait aucune approbation du conseil pour les tarifs fixés pour la location de matériel.

Pour ce qui est des free-lances, l'équipe de l'Audit a trouvé qu'il n'existe pas de liste établie des services qui doivent être effectués par des employés indépendants et que des tarifs différents ont été payés à ces derniers sans aucune approbation du conseil. Il a aussi été noté que plusieurs biens/services ont été achetés par la MFDC sans suivre les procédures d'approvisionnement. Des soucis sur le paiement du carburant pour les véhicules de la MFDC ont aussi été évoqués. Par exemple, «it was observed that on the 24th of May 2021, refuelling was done in the vehicle number 5443 Jul 18, on the invoice from the company the amount stated was Rs 1,000 while on the logbook the amount stated by driver is Rs 1,900».

Qui est Vikram Jootun ?

Il est surtout connu pour être celui derrière le fameux clip «Viré mam» devenu viral à l'approche des élections de 2014. Mais en à croire le CV de Vikram Jootun, cet habitant de New Grove âgé de 45 ans possèderait un BA en Hindi - on ne sait toutefois pas auprès de quelle institution - et une licence en Editing and Direction de l'Arena MultiMedia de Mumbai. Son expérience ? Plus d'une vingtaine d'années dans la cinématographie et la photographie, selon ses dires. Or selon ces détracteurs, l'Arena n'octroie pas de licence mais offrirait simplement des cours. «Il suffit de faire une recherche sur le web...»

Vikram Jootun a aussi fait, sur son CV, un résumé de ses exploits comme sa participation dans les films Pinjra, Mastanaa et Panchi. Il aurait aussi travaillé avec des stars bollywoodiennes de renom comme Govinda, Jackie Shroff, Nana Patekar, Manoj Bajpai, Mahima Chowdry, Esha Deol, Sharad Kapoor, Rajpal Yadav, Shakti Kapoor ou encore Amar Upadhay. Il se présente aussi comme le directeur de Maurice Ile Durable : short film on Composting (2013) et le directeur de Multi Vision Production Company (2013- 2015). Avant de prendre le poste de directeur de la MFDC en 2015 toujours, il évoque aussi ses passages à la MBC, entre autres. Nous avions appris lors d'une question parlementaire sur les voyages effectués par Vikram Jootun de 2015 à avril 2018, entre autres, que le gouvernement MSM avait décaissé Rs 3 714 882,15 pour 17 missions des membres de la MFDC et Vikram Jootun avait entrepris 14 voyages sur les 17.

Vikram Jootun : «La vérité éclatera»

Vikram Jootun rejette catégoriquement tous les dires des employés-dénonciateurs. «Ce sont purement des allégations et rien n'est prouvé. On m'a rapporté auprès de plusieurs instances et actuellement je suis en train de soumettre mes documents avec des preuves au ministère du Travail. J'ai tous les éléments pour prouver ce que je dis. Quand le ministère du Travail rendra ses conclusions, la vérité éclatera.» Le directeur de la MFDC confie avoir déjà fait une déposition au Central Criminal Investigation Department sur l'affaire de montage des vidéos et que Bruneau Laurette avait dû enlever son poste sur Facebook à ce propos. «L'enquête est toujours en cours et je ne peux en dire plus. Ces personnes qui sont en train de faire des allégations à mon encontre sont elles-mêmes derrière ces montages. Qu'elles viennent de l'avant avec leurs preuves pour que la vérité éclate. C'est une tentative pour nuire à ma réputation.»

Vikram Jootun estime que la MFDC a aujourd'hui très largement progressé et maintient que s'il a recruté des free-lances, c'est parce qu'il avait besoin de personnel additionnel. «Si j'ai un manque de staff, qu'est-ce que je dois faire, la MFDC arrête-t-elle de travailler ? Je pense qu'il y a aussi beaucoup de personnes qui ne sont pas contentes de voir que la MFDC flies high», lance-t-il. Vikram Jootun déplore que des employés ne viennent pas de l'avant pour faire part de leurs problèmes et qu'ils formulent au contraire des allégations en contactant des journalistes...

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