Ile Maurice: Le temps des largesses

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Il ne faut surtout pas qu'on soit choqué. On dirait même qu'on s'y était préparé. Car dans les jours à venir, on assistera, l'air hébété, à l'annonce d'une cascade de mesures sur le front économique et social, couplées à des promesses électorales sans limite pour amadouer le plus grand nombre d'électeurs à voter pour un camp politique comme pour l'autre.

Qu'on ne se voile pas la face. La campagne est déjà enclenchée pour les prochaines élections et si on se pose encore des questions sur le timing de ce rendez-vous démocratique, on dira, comme nos politiciens de l'opposition aiment le marteler dans des réunions et autres conférences de presse, qu'il est «derrière la porte».

Évidemment, c'est l'alliance gouvernementale qui a ouvert le bal avec la mesure phare d'accorder à tous les seniors de 60 ans et plus une pension de Rs 13 500. L'annonce du 12 mars, après celle du 18 février à Pailles, aura permis à Pravind Jugnauth de rectifier le tir en vue d'élargir la base de personnes âgées susceptibles de bénéficier d'une telle prestation sociale.

Mais ce faisant, le chef de l'alliance gouvernementale estime qu'il a mis le grappin sur un électorat qui lui a été fidèle lors des élections de novembre 2019, après une promesse semblable le 1er octobre de la même année. Ce qui avait été considéré à l'époque par le PTr, plus particulièrement par son député battu au n°8, Suren Dayal, comme étant un «bribe» électoral, allant jusqu'à contester l'élection de Pravind Jugnauth devant les Law Lords du Privy Council... avec le résultat que l'on sait.

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Pravind Jugnauth connaît le poids électoral des seniors. Ils représentent presque 27 % de l'électorat, soit un peu plus d'un électeur sur quatre, dont le plus grand nombre, soit 123 135, proviennent de la tranche d'âge de 65 à 75 ans.

Pour autant, le Premier ministre serait mal inspiré s'il pense pouvoir rééditer l'exploit électoral de 2019 en ciblant majoritairement les électeurs âgés. Pour cause, les nouveaux bénéficiaires de la pension de Rs 13 500, âgés de 60 à 64 ans, au nombre de 82 692, sont professionnellement actifs dans leur grande majorité et ne dépendent pas forcément de cette augmentation pour joindre les deux bouts. Cela, contrairement aux 70 ans ou plus, qui sont financièrement vulnérables, certains dépendant de cette pension comme leur principale source de revenus pour vivre ou survivre. Comme la propagande de la MBC tente de le démontrer grossièrement depuis une semaine.

Encore que certains économistes et autres spécialistes, doublés par les membres de l'entente de l'opposition, arguent ces derniers jours qu'en réalité, la pension de Rs 13 500 vaut aujourd'hui Rs 10 500 avec une roupie en dégringolade, s'étant dépréciée jusqu'à 27 % vis-à-vis du dollar américain de 2019 à ce jour, alors que depuis 2014, sa valeur a baissé de presque 49 %. Certes, les leaders de l'entente de l'opposition ne pouvaient s'opposer à une telle mesure en précampagne électorale, même si elle représente une bombe à retardement pour les finances publiques. Du coup, s'ils maintiennent que tous les seniors méritent une telle augmentation, ils soulignent dans la foulée qu'il y a aussi urgence à redonner plus de pouvoir d'achat (baisse de 28 % depuis 2019) aux autres segments de la population. Une manière de contrer les apparatchiks du MSM qui tentent depuis un certain temps de faire croire que l'opposition reviendrait sur ces prestations sociales si elle accéderait au pouvoir.

Annoncer une mesure électoraliste d'une telle envergure pour créer un feel-good factor dans le pays pendant une campagne électorale est une chose, mais savoir trouver des sources de financement nécessaires pour l'appliquer sans qu'elle n'influe négativement sur les importantes variables macro-économiques, dont la dette publique, en est une autre.

Financement de Rs 10 milliards

Pour le moment, les autorités n'ont pas cru bon de détailler les mécanismes de financement et même la ministre de la Sécurité sociale, dépêchée pour expliciter cette nouvelle mesure à la presse, ne s'est pas livrée à un tel exercice. Ce qu'on sait en revanche, c'est qu'il faudra compter au moins Rs 10 milliards pour financer cette majoration de la pension en 2024, incluant le 13e mois. Alors que le budget alloué pour la pension du troisième âge passera à Rs 50 milliards pour l'année fiscale 2023-24. Aujourd'hui, trois ministères à caractère social, nommément la Secu, l'Éducation et la Santé, puisent un tiers des revenus fiscaux engrangés par l'État pour leur financement.

Dans les jours et semaines à venir, il faudra surveiller les faits et gestes du Premier ministre pour comprendre son calendrier politique, qu'il ne contrôle qu'à 50 % depuis la démission de Vikram Hurdoyal comme député orange le 13 février, suivant sa révocation comme ministre de l'Agro-industrie 24 heures avant.

En même temps, d'autres annonces populistes, voire électoralistes, sont à prévoir pour cibler, cette fois-ci, d'autres catégories professionnelles susceptibles de constituer une importante réserve de votes pour le gouvernement sortant comme celui «in waiting». On annonce un exercice de réajustement salarial des employés du secteur privé après l'augmentation du salaire à Rs 15 000, le paiement en avance des recommandations salariales du rapport du Pay Research Bureau (PRB) qui, théoriquement, doit être déposé en 2026, une vague de recrutements dans les ministères et les corps paraétatiques, des promotions tous azimuts dans les différents services gouvernementaux, outre la promotion de 1 785 policiers, entre autres. À côté, avec l'imminence des élections générales, ce sera de part et d'autre une véritable surenchère de promesses électorales, les unes souvent plus surréalistes que les autres, comme la population s'y est souvent habituée ces dernières années.

Aura-t-on un cinquième Budget de Renganaden Padayachy qui donnera à l'alliance gouvernementale peut-être une plus grande marge de manoeuvre pour satisfaire une large section de la population à travers des mesures fiscales ? Si certains analystes et observateurs politiques estiment que Pravind Jugnauth peut très bien mettre une croix sur cet exercice budgétaire pour engager le pays directement dans des élections générales, en sachant bien que la plus grosse mesure a été annoncée, d'autres soutiennent qu'il a d'autres missions à accomplir.

Au Trésor public, l'animation des préparatifs du prochain Budget, le dernier de la présente législature, règne. D'ailleurs, de retour au pays cette semaine, le ministre compte poursuivre ses consultations pré-budgétaires avec les autres stakeholders. L'idée est de montrer que c'est du business as usual pour le gouvernement, alors que certaines sources indiquent une accélération du calendrier électoral avec la dissolution du Parlement avant la rentrée du 26 mars et la publication du writ des élections. Toutes les hypothèses sont manifestement permises.

En revanche, ce qui est sûr, c'est que les dirigeants, tant de la majorité gouvernementale que ceux de l'opposition, auront les yeux rivés prochainement sur les élections générales indiennes, où 970 millions d'électeurs seront appelés aux urnes à partir du 19 avril. Les résultats de ces élections, qui visent à choisir les députés de la chambre basse du Parlement indien, seront connus le 4 juin.

Alors que le leadership de Modi à l'échelle mondiale et régionale, ses réalisations et ses projets sont mis en évidence par le gouvernement du jour et répercutés abondamment par la télévision nationale, une victoire de son parti, à en croire certains observateurs politiques, pourrait exporter ce feel good factor à Maurice. Narendra Modi, âgé de 73 ans, deviendrait ainsi le deuxième Premier ministre indien, après Jawaharlal Nehru, architecte de l'indépendance et premier chef de gouvernement du pays, à obtenir un troisième mandat consécutif.

Aujourd'hui, nous n'en sommes pas encore là... et la course ne fait que commencer...

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