Afrique: Le choléra, reflet du monde qui nous entoure

Une femme patauge dans les eaux de crue dans l'État d'Hirshabelle, en Somalie
tribune

Dans les années 1840, l’une des principales théories médicales – la théorie des miasmes – laissait entendre que les gens contractaient des maladies comme le choléra et la peste noire à cause des mauvaises odeurs et du mauvais air, surtout la nuit.

À la fin de la décennie, en 1849, après plus de 50 000 décès enregistrés en Angleterre et au Pays de Galles, un jeune médecin du nom de John Snow – considéré comme l’un des fondateurs de l’épidémiologie moderne – a remis en question la théorie dominante en affirmant que l’eau contaminée pourrait être le principal mode de transmission.

Après avoir établi une carte géographique répertoriant les décès survenus lors d’une épidémie de choléra à Londres, John Snow a déterminé qu’une pompe à eau était à l’origine de cette épidémie. Une fois la pompe retirée, l’épidémie s’est arrêtée, et une législation a finalement été mise en place à Londres et ailleurs pour construire des réseaux d’approvisionnement en eau et d’assainissement, ce qui a permis de prévenir de futures épidémies. Puis les premiers vaccins contre le choléra ont été mis au point à la fin du XIXe siècle. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, malheureusement.

Aujourd’hui, le choléra continue de sévir et de faire des victimes. Après des années de progrès, cette maladie mortelle revient en force, à tel point que 23 pays ont signalé des flambées depuis 2024. Les conflits, la pauvreté, la crise climatique et les inégalités socio-économiques mondiales sont autant de facteurs sous-jacents qui expliquent pourquoi les épidémies ont désormais tendance à être à la fois de plus grande ampleur et plus meurtrières.

Les stocks de vaccins, qui, parallèlement à l’amélioration de l’assainissement et de l’hygiène, sont essentiels pour prévenir et limiter les épidémies de choléra, sont épuisés. En octobre 2022, le Groupe international de coordination, qui gère les stocks d’urgence de vaccins, a remplacé le schéma vaccinal classique à deux doses par un schéma à dose unique afin de faire durer les stocks le plus longtemps possible. Malgré cette mesure drastique, les stocks étaient épuisés en début d’année 2024.

Il ne reste donc plus aucune dose, alors que 23 pays font état de flambées actives. Et même si plus d’un milliard de vies sont menacées par le choléra, les sociétés pharmaceutiques se désintéressent de ce marché, qui s’avère peu rentable puisque le choléra touche les plus pauvres d’entre les pauvres.

Si les facteurs à l’origine des épidémies de choléra sont bien connus, par exemple la pauvreté et les conflits, la crise climatique représente aujourd’hui une menace grandissante. Les événements climatiques extrêmes tels que les inondations, les cyclones et les sécheresses réduisent encore l’accès à l’eau potable et créent des environnements qui favorisent le développement de la maladie.

Même s’il y a eu des progrès dans certains pays touchés par des épidémies, nous sommes très préoccupés par les situations épidémiques actuelles, en particulier en Éthiopie, au Mozambique, en République démocratique du Congo, en Somalie, au Soudan, en Zambie et au Zimbabwe.

Au-delà de la pénurie mondiale de vaccins anticholériques oraux, d’autres moyens essentiels s’amenuisent. Les agents de santé restent débordés, tandis que les systèmes de santé sont proches du point de rupture face au nombre croissant d’urgences sanitaires et humanitaires.

L’OMS et la Zambie tiennent à mettre en avant le Groupe spécial mondial de lutte contre le choléra , qui joue un rôle déterminant en collaborant avec les autorités nationales pour enrayer les flambées épidémiques, en garantissant l’accès aux fournitures essentielles, en améliorant la détection, la prévention et la prise en charge du choléra, en informant les populations des moyens de se protéger et en fixant des priorités pour lutter durablement contre le choléra.

Ce sont là de solides fondations, mais il reste des obstacles de taille à surmonter et encore beaucoup à faire pour venir à bout du choléra.

Premièrement, les principes de base en matière de santé publique sont essentiels. Comme John Snow le soulignait déjà à son époque, il est important d’assurer l’accès à l’eau sans risque sanitaire, à l’assainissement et à l’hygiène. Cela signifie qu’il faut investir dans de grands projets d’infrastructure tout en travaillant directement avec les communautés touchées pour élaborer avec elles des solutions qui répondent à leurs besoins.

Deuxièmement, étant donné que le choléra se propage très vite, il est important de mettre au point un système de surveillance capable de détecter rapidement les épidémies pour pouvoir ensuite les maîtriser. En premier lieu, il faut commencer par équiper les laboratoires et garantir l’accès à des tests de diagnostic afin d’assurer une prise en charge efficace et de déployer les vaccins là où ils sont nécessaires.

Troisièmement, le manque de moyens de production de vaccins entrave notre capacité à faire face aux épidémies et à mener des campagnes de prévention. À moyen et long terme, il reste crucial d’accroître la capacité de production de vaccins à l’échelle mondiale. La Zambie attend actuellement des vaccins pour protéger au moins 2,4 millions de personnes qui risquent de contracter le choléra. Mais les stocks mondiaux sont épuisés depuis le mois de janvier. Toute nouvelle épidémie fera peser une pression supplémentaire sur cet écosystème productif fragile. Alors que la tendance au développement d’épidémies plus nombreuses et de plus grande ampleur se poursuit, il est essentiel d’investir dans la fabrication de vaccins contre le choléra qui soient produits localement. La communauté internationale doit apporter son appui à cet égard en consacrant des investissements aux moyens de production et en garantissant les commandes.

Ces deux dernières années, l’OMS a débloqué 16 millions de dollars du Fonds de réserve pour les situations d’urgence afin de soutenir 16 pays, dont le Malawi, le Pakistan, la Syrie, la Zambie et le Zimbabwe. Grâce à ces fonds, les communautés touchées ont eu accès à des médicaments et à des soins de santé. Les autorités nationales et leurs partenaires ont reçu des kits de prise en charge du choléra et des fournitures de laboratoire et ont mis en œuvre des solutions d’assainissement et des activités de mobilisation communautaire. Face à la détérioration de la situation du choléra dans le monde, l’OMS a lancé un appel pour recueillir 50 millions de dollars, qui seront destinés à appuyer les opérations en cours visant à empêcher que des enfants ne meurent de cette maladie évitable et à réduire au minimum ses conséquences socio-économiques.

La pauvreté, les conflits et les catastrophes climatiques témoignent globalement d’une mauvaise gestion des ressources, d’une gouvernance insuffisante et d’un leadership défaillant. Le choléra est un miroir des maux que l’humanité a créés, et qu’elle semble chercher à amplifier.

Comme le soulignait John Snow, il est primordial que tout le monde ait accès à une eau sans risque sanitaire et à des services d’assainissement – un droit humain reconnu à l’échelle internationale – afin d’endiguer les épidémies et de sauver des vies. Nous savons mettre un terme aux épidémies de choléra depuis plus d’un siècle. Mourir du choléra ne doit donc plus être une fatalité, en particulier pour les enfants.

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