Afrique: Éducation sans délai s'entretient avec le Professeur Mohammed Belhocine, Commissaire à l'Éducation, à la Science, à la Technologie et à l'Innovation au sein de l'Union Africaine

Le Professeur Mohammed Belhocine est de nationalité algérienne. Ancien Chef du Département de Médecine Interne, il a occupé différents postes en Algérie, à la Faculté de Médecine et au Ministère de la Santé, avant de rejoindre la fonction publique internationale en 1997.

Ancien Directeur de la Division des Maladies Non-Transmissibles au Bureau Régional de l'OMS pour l'Afrique (à Harare, puis à Brazzaville), il a également été Représentant de l'OMS au Nigeria et en Tanzanie. Il a terminé sa carrière en tant que Coordinateur du Système des Nations Unies et Représentant Résident du PNUD en Tunisie de 2009 à 2013.

De juin 2015 à février 2016, à la demande du Directeur Régional de l'OMS, il a repris du service en tant que Représentant de l'OMS en Guinée, jouant un rôle actif dans l'apport d'un soutien technique et d'une expertise à la réponse du pays à l'épidémie d'Ebola. En octobre 2021, soutenu par son pays, il a été élu au poste de Commissaire à l'Éducation, à la Science, à la Technologie et à l'Innovation au sein de l'Union Africaine. Le Professeur Belhocine est père de trois enfants et a six petits-enfants.

ÉSD : 2024 est l'Année Africaine de l'Éducation. Comment les États Membres de l'Union Africaine peuvent-ils collaborer avec les donateurs, les partenaires de la société civile et les organisations multilatérales pour transformer et accélérer l'offre d'éducation pour les filles et les garçons touchés par les conflits armés, les déplacements forcés et les catastrophes d'origine climatique en Afrique ?

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Professeur Mohammed Belhocine : Le Thème de l'UA pour l'Année 2024 est consacré à l'Éducation, et il représente une occasion cruciale pour les États Membres de l'Union Africaine de collaborer avec diverses parties prenantes afin d'améliorer la prestation d'éducation pour les enfants touchés par les conflits, les déplacements et les catastrophes climatiques.

En s'appuyant sur des cadres existants tels que la Stratégie Continentale de l'Éducation pour l'Afrique (CESA 16-25), les pays peuvent s'engager dans l'alignement des politiques, en garantissant l'alignement des politiques nationales d'éducation, en donnant la priorité à une éducation inclusive et de qualité pour tous, en particulier dans les zones touchées par les crises.

En outre, les États membres de l'UA peuvent collaborer avec des partenaires de la société civile, des organisations multilatérales telles que l'UNICEF, l'UNESCO, le PAM, le Partenariat mondial pour l'éducation (GPE) et Éducation Sans Delai, ainsi qu'avec des partenaires financiers multilatéraux ou bilatéraux, afin de mobiliser des ressources pour les programmes d'éducation dans les zones de conflit et les régions touchées par les déplacements et les catastrophes climatiques ; ils peuvent également plaider en faveur d'une attention et d'investissements accrus dans l'éducation en situation de crise lors des forums régionaux et mondiaux, tout en forgeant des partenariats avec les gouvernements, les ONG et les agences internationales afin d'amplifier l'impact et la portée. De nombreux exemples peuvent être tirés de l'ensemble du continent.

Par exemple, en ce qui concerne l'éducation des filles et des garçons touchés par les conflits armés, la République Démocratique du Congo (RDC) a lancé la campagne "Les enfants, Pas des soldats" en collaboration avec les Nations Unies, en plaidant pour la libération et la réinsertion des enfants soldats et en donnant la priorité à leur éducation et à leur réhabilitation.

En Somalie, le GPE s'est associé au gouvernement pour soutenir la reconstruction de son système éducatif, en finançant la formation des enseignants, la construction d'écoles et l'élaboration de programmes scolaires dans les régions touchées par le conflit.

En ce qui concerne les enfants déplacés, les organisations de la société civile jouent un rôle crucial en engageant les communautés, en défendant les droits des enfants et en fournissant des services éducatifs dans les zones difficiles d'accès. Elles peuvent travailler en étroite collaboration avec les communautés pour identifier les besoins, mobiliser les ressources et mettre en oeuvre des programmes éducatifs adaptés aux contextes locaux.

Au Sud-Soudan, par exemple, des organisations comme Save the Children et l'UNICEF ont mis en place des espaces d'apprentissage temporaires et des programmes d'éducation communautaires pour atteindre les enfants touchés par les conflits et les déplacements, assurant ainsi la continuité de l'apprentissage dans des environnements difficiles.

Le fonds Éducation Sans Délai (ÉSD) a aidé des pays comme le Nigéria à fournir une éducation aux enfants déplacés à l'intérieur du pays et affectés par l'insurrection de Boko Haram, en se focalisant sur la construction de systèmes éducatifs inclusifs et résilients. De même, dans le camp de réfugiés du Sahara occidental de Tindouf (Algérie), l'UNICEF, le PAM, le HCR et des ONG soutiennent l'éducation des enfants.

En ce qui concerne les catastrophes induites par le changement climatique, suite à l'impact dévastateur du cyclone Idai en 2019, le Mozambique a travaillé avec des partenaires internationaux pour reconstruire et renforcer son infrastructure éducative. L'intervention comprend la construction d'écoles résistantes aux cyclones et le développement de systèmes d'alerte précoce pour protéger les écoles des futures catastrophes. Le Kenya met en oeuvre un programme d'études sur le changement climatique dans les écoles primaires et secondaires afin d'enseigner les stratégies d'adaptation au changement climatique et d'atténuation de ses effets.

En tirant parti de l'expertise, des ressources et des efforts collectifs des États membres de l'Union Africaine, des organisations donatrices, des partenaires de la société civile et des organisations multilatérales, il est possible de transformer et d'accélérer la fourniture d'éducation aux enfants touchés par les crises en Afrique, en veillant à ce qu'ils aient accès à une éducation de qualité et à des possibilités d'avenir plus prometteuses.

Les États membres de l'UA peuvent encourager l'innovation dans la prestation de services éducatifs, notamment en tirant parti de la technologie pour l'apprentissage à distance et en créant des espaces d'apprentissage temporaires dans les camps de réfugiés et les zones touchées par les catastrophes ; renforcer la capacité des systèmes éducatifs à répondre efficacement aux crises, notamment en formant les enseignants et le personnel éducatif à la pédagogie tenant compte des traumatismes et au soutien psychosocial ; et faire participer les communautés, notamment les parents, les dirigeants locaux et les populations touchées, à la conception et à la mise en oeuvre des programmes éducatifs afin d'en assurer la pertinence et la viabilité.

Par exemple, grâce à un financement japonais, l'Institut International pour le Renforcement des Capacités en Afrique (UNESCO-IIRCA) soutient le Centre International de l'Union Africaine pour l'Éducation des Femmes et des Filles (AU-CIEFFA) dans deux projets principaux. Le premier vise à créer des environnements d'apprentissage sûrs, favorables et résilients pour préserver le droit des enfants à l'éducation en période de conflit et de crise au Sahel, en Afrique centrale et en Afrique de l'Est, avec un budget de 1 155 000 dollars americains. Le second concerne le renforcement des capacités des enseignants afin de promouvoir un accès continu et inclusif à une éducation sûre et de qualité pour les filles en Afrique de l'Ouest, avec un budget de 3 260 000 dollars.

ÉSD : Environ 98 millions d'enfants ne sont pas scolarisés en Afrique subsaharienne. Dans les régions touchées par les conflits armés, les déplacements forcés, le changement climatique et d'autres crises prolongées, les filles risquent tout particulièrement d'abandonner l'école, d'être forcées à se marier et de voir leurs droits fondamentaux bafoués. Pourquoi devons-nous redoubler les investissements dans l'éducation des filles ?

Professeur Mohammed Belhocine : Il est impératif de redoubler les investissements dans l'éducation des filles, en particulier dans les zones touchées par les conflits armés, les déplacements de population et les crises climatiques, compte tenu de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles. On estime que dans ces contextes, les filles sont confrontées à des risques accrus d'abandon scolaire, de mariage d'enfants et de violations des droits de l'homme. Cela s'ajoute au fait que même en temps "normal", les filles sont moins nombreuses à aller à l'école que les garçons.

Dans ce contexte, la Commission de l'Union africaine a créé le Centre International de l'Union Africaine pour les Filles et les Femmes (UA-CIEFFA), afin de coordonner la promotion de l'éducation des filles et des femmes en Afrique, en vue de parvenir à leur autonomisation économique, sociale et culturelle. Le Centre travaille en étroite collaboration avec les États membres et les gouvernements de l'UA, la société civile et les partenaires internationaux pour faire de l'éducation des filles une priorité. Nous savons tous que l'éducation est un moteur pour la paix et pour la stabilité. En veillant à ce que les filles aient accès à une éducation sûre et de qualité, nous pouvons aider à prévenir les conflits, promouvoir la cohésion sociale et contribuer aux efforts de consolidation de la paix à long terme qui, invariablement, favoriseront l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes. Cela protégera les filles des abus sociaux : mariages d'enfants, traite des êtres humains, abus sexuels, travail des enfants, etc. Nous devons redoubler d'investissements dans l'éducation des filles pour mettre en oeuvre la Déclaration sur la Sécurité dans les Écoles, qui a été ratifiée par 35 États membres de l'UA et qui réaffirme l'engagement de protéger l'éducation contre les attaques pendant les conflits armés. Le redoublement des investissements dans l'éducation des filles devrait inclure la mise en oeuvre des mesures décrites dans la déclaration afin de garantir des environnements d'apprentissage sûrs pour tous les enfants, en particulier les filles, dans les zones touchées par les crises. Le COVID-19 a exacerbé ces vulnérabilités.

ÉSD : Le déficit de financement de l'éducation en Afrique est considérable, en particulier pour les filles et les garçons touchés par des situations d'urgence et des crises prolongées. Pourquoi les donateurs, le secteur privé et les particuliers fortunés devraient-ils investir dans l'éducation en Afrique par le biais de fonds dédiés tels que "Éducation Sans Délai" ?

Professeur Mohammed Belhocine : Les donateurs, le secteur privé et les personnes fortunées sont encouragés à investir dans l'éducation en Afrique, par le biais de fonds dédiés efficaces, tels que "Éducation Sans Délai".

L'une des raisons de cet investissement devrait être la stabilité et la paix à long terme. Nous savons tous que l'éducation joue un rôle crucial dans le renforcement de la cohésion sociale, la promotion de la consolidation de la paix et la prévention des conflits. En investissant dans l'éducation en Afrique, les donateurs peuvent soutenir des initiatives qui offrent des environnements d'apprentissage sûrs et inclusifs, qui encouragent la tolérance et la compréhension et qui donnent aux jeunes les moyens de participer activement à la construction de sociétés pacifiques et stables.

D'autre part, l'éducation est un facteur déterminant du développement économique. L'éducation est un puissant catalyseur de la croissance économique et de la réduction de la pauvreté. En investissant dans l'éducation, les donateurs peuvent aider à doter les jeunes Africains des connaissances et des compétences dont ils ont besoin pour participer à la vie active, créer des entreprises et contribuer au développement de leurs communautés. Cela peut à son tour avoir des répercussions positives sur la prospérité économique globale de l'Afrique. Les experts nous enseignent que le retour sur investissement à moyen terme dans l'éducation est l'un des plus élevés.

En outre, l'éducation est étroitement liée aux résultats en matière de santé. En investissant dans l'éducation, les donateurs peuvent soutenir des initiatives qui fournissent aux enfants une éducation sanitaire essentielle, encouragent les comportements positifs en matière de santé et contribuent à de meilleurs résultats sanitaires pour les individus et les communautés. En outre, l'éducation peut également servir de facteur de protection contre des problèmes tels que le mariage des enfants, les grossesses précoces et d'autres pratiques néfastes.

Par conséquent, investir dans l'éducation en Afrique par le biais de fonds dédiés tels que l'initiative Éducation Sans Délai n'est pas seulement un impératif moral, mais aussi une opportunité stratégique de construire un avenir meilleur pour des millions d'enfants et de jeunes, de libérer le potentiel du continent et de contribuer au progrès et à la prospérité du monde.

ÉSD : Comme le montrent les sécheresses au Sahel, les inondations en Libye et en Afrique de l'Est, ainsi que d'autres catastrophes d'origine climatique, le changement climatique constitue une menace majeure pour le développement durable dans toute l'Afrique. Comment pouvons-nous mieux relier l'action climatique et l'action éducative pour construire un avenir plus durable pour l'Afrique ?

Professeur Mohammed Belhocine : Il est préférable de relier les actions relatives au climat et à l'éducation dans les cadres existants de l'Union Africaine, alignés sur l'Agenda 2063, pour un avenir plus durable en Afrique.

L'une des mesures à prendre consiste à mettre en oeuvre des initiatives visant à rendre les écoles plus durables sur le plan environnemental, comme la gestion intelligente de l'eau, l'intégration de sources d'énergie renouvelables, la promotion de la réduction des déchets et du recyclage, ainsi que l'intégration de thèmes environnementaux dans les activités scolaires et le développement de l'infrastructure. Il est également possible d'impliquer les communautés locales dans l'éducation et l'action climatique par le biais de programmes de sensibilisation, de projets communautaires et de partenariats avec des organisations locales, en favorisant un sentiment d'appropriation et de responsabilité collective pour la résilience au changement climatique et la gestion de l'environnement.

Ces actions ne peuvent aller sans la formation et le soutien des éducateurs, des décideurs politiques et des responsables communautaires en matière d'atténuation du changement climatique, d'adaptation et de stratégies de renforcement de la résilience, afin de leur donner les moyens de mener des initiatives efficaces aux niveaux local, régional et national. Cela peut également conduire à investir dans la recherche et l'innovation afin de développer des solutions spécifiques au contexte pour relever les défis liés au climat dans le domaine de l'éducation, en s'appuyant sur les connaissances et les technologies indigènes pour renforcer la résilience et promouvoir le développement durable.

Enfin, il est nécessaire de favoriser la collaboration entre les ministères de l'éducation et de l'environnement, ainsi que d'autres secteurs concernés tels que l'agriculture, l'énergie et les ressources en eau, afin de développer des approches holistiques pour lutter contre le changement climatique par le biais de l'éducation et de l'intégration des politiques. La nécessité de sensibiliser à l'interconnexion du changement climatique et de l'éducation appelle à un financement accru, à un soutien politique et à une coopération internationale pour traiter les deux questions de manière efficace et équitable.

ÉSD : Nous savons tous que "les leaders sont des lecteurs" et que les compétences en lecture sont essentielles à l'éducation de chaque enfant. Quels sont les trois livres qui vous ont le plus influencé sur le plan personnel et/ou professionnel, et pourquoi les recommanderiez-vous à d'autres ?

Professeur Mohammed Belhocine : Plus on lit, plus on apprend. Comme l'a dit un chanteur célèbre : "Je suis un débutant aux cheveux blanchissants".

Il est difficile de choisir seulement trois livres, car tous vous influenceraient d'une manière ou d'une autre. En passant au crible mes lectures récentes et anciennes, et en essayant de relier votre question à notre discussion, je retiendrais trois titres importants : Le premier est l'oeuvre monumentale de Cheikh Anta Diop, « PRECOLONIAL BLACK AFRICA » (L'Afrique Noire Précoloniale) (1960), qui, lors de sa publication, a constitué une rupture épistémologique majeure avec les idées reçues sur la sociologie historique africaine. Il est incontournable pour qui veut mieux comprendre les fondements anthropologiques, sociaux, culturels, scientifiques et économiques des sociétés africaines. Le second concerne le célèbre best-seller « Sapiens: A Brief History of Humankind » (Sapiens : Une Brève Histoire de l'Humanité) (2012) de Yuval Noah Harari. Combinant les sciences naturelles et sociales, l'auteur offre, dans un style simple et agréable, un aperçu de l'histoire de l'humanité depuis l'âge de pierre jusqu'au 21ème siècle. Ce livre a été suivi d'un autre du même auteur, s'interrogeant sur l'avenir de l'humanité : « 21 Lessons for the 21st Century » (21 Leçons pour le XXIe Siècle) à l'ère des technologies en constante évolution.

De nombreux autres titres me viennent à l'esprit. Je pense notamment aux ouvrages de Joseph Ki Zerbo sur l'histoire, la culture et l'éducation africaines, ainsi qu'à de nombreux romans d'auteurs africains et non africains, mais je m'arrêterai là.

Alors que nous entrons dans l'ère numérique, je ne peux qu'encourager nos jeunes à lire des livres, car la lecture d'un livre contribue à consolider nos connaissances, notre mémoire et notre esprit critique et, en fin de compte, à forger notre caractère.

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