Madagascar: Asinome Harimino Elisé - « Pour un peuple opprimé, la patience a ses limites »

77 ans après l'événement, le docteur en Histoire contemporaine et chercheur à l'Institut Ralaimongo d'Histoire et d'Etudes politiques, Harimino Elisé Asinome nous livre dans une interview son analyse sur la représentation contemporaine de l'insurrection de 1947.

Midi Madagasikara (M.M.) : La date du 29 mars 1947, qu'est-ce qu'elle représente vraiment ?

Asinome Harimino Elisé (A.H.E.) : Cette date représente certes un des événements les plus importants de l'histoire de la Grande Ile. Le 29 mars 1947, ce n'est qu'une date choisie par quelques groupes de patriotes pour mener des actes de rébellion contre la répression des colons. Elle sert à nos jours de repère chronologique et constitue effectivement depuis l'Indépendance un impératif moral absolu en matière de commémoration de la lutte patriotique. Mais ce qui est intéressant c'est de connaître les motivations des personnes concernées par ce soulèvement et de saisir les impacts de cet événement sur le rapport entre l'administration coloniale et le peuple colonisé. Ce qui implique l'intérêt pour les historiens de trouver les racines dans le lointain passé national.

Devenu un jalon historique, les régimes successifs depuis l'Indépendance ont vu en cette date un moment de prise de conscience nationale. La célébration annuelle vise à chercher l'adhésion populaire dans la construction et le maintien de l'unité nationale. Elle permet aussi depuis l'Indépendance de drainer le sentiment nationaliste, qui semble de plus en plus en crise à nos jours.

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Cependant, pour d'autres groupes de personnes, cette date constitue une référence historique en matière de mouvement de contestation, duquel ils tirent profit pour justifier et véhiculer certaines idéologies. Ils se servent de cette date qui fait l'objet d'une récupération politique au profit d'un quelconque projet de déstabilisation du régime en place.

M.M. : L'insurrection de mars 1947 reste gravée dans la Mémoire collective comme un moment exceptionnel de sentiment patriotique mais les historiens ont leurs propres lectures de cet événement moins partagé par certains compatriotes. Que pensez-vous ?

A.H.E. : Ce qui retient notre attention sur ce sujet c'est le décalage entre l'histoire qui est censée relever de l'objectivité du chercheur et la mémoire (individuelle et collective) qui est empreinte de subjectivité. Pour certaines personnes, la date du 29 mars renferme de mystère que les historiens ont essayé d'occulter par manque de sentiment patriotique. Une pression énorme pèse sur les historiens à se conformer à l'attente de certains groupes de personnes par rapport à la représentation de la mémoire et l'écriture de l'histoire.

Cependant, nous partageons le propos de Gérard Noiriel, s'inscrivant dans la lignée de Pierre Nora, que « la mémoire est du côté de l'affect, ce sont des souvenirs qui sont denses alors que l'histoire nécessite une analyse critique et un recul que n'ont pas les mémoires. » D'ailleurs, d'après le même auteur « les mémoires sont souvent partielles et partiales, ce que ne doit pas être l'histoire ». Et l'historien est là pour rectifier les oublis et les distorsions de la mémoire en mettant dans ses contextes un tel événement historique. Dans ce sens, le collectif d'historiens, conduit par Lucile Rabearimanana, Jean Fremigacci et Célestin Razafimbelo a réalisé, au début de l'an 2000, un projet de recherche sur l'insurrection de 1947.

M.M. : Loin d'être un mouvement patriotique d'envergure nationale, comment expliquer que l'insurrection de mars 1947 éclate plutôt en brousse et apparaît comme une révolte paysanne assez isolée et repérée dans quelques localités de la partie littorale du pays ?

A.H.E. : En fait, l'événement de 1947 éclate suite à un long processus de mobilisation patriotique à travers différents réseaux de personnes, commerçants, paroissiens, syndicats..., appartenant à des sociétés secrètes comme la JINA ou des structures politiques nationalistes comme le parti MDRM. L'idée soulèvement populaire a mûri au fil du temps grâce aux canaux d'information de l'époque comme la presse et le marché hebdomadaire. Ce dernier est certes un lieu de rassemblement commercial périodique pour l'achat et la vente de différents produits, il offre aussi une occasion de rencontrer quelqu'un, d'échanger des informations et faire passer des messages.

Une fois que le bruit court dans différents cercles d'engagement patriotique au sujet de l'éventuel prise de tête face à l'autorité coloniale, des initiatives personnelles se multiplient indépendamment des consignes du bureau central de quelconque structure de lutte nationaliste dont les historiens ont peiné à identifier les donneurs d'ordre. Cependant, ils ont constaté un mouvement de lutte nationaliste à deux vitesses : l'attaque frontale contre les colons en milieu rural et la promotion de l'idéologie nationaliste à travers la presse en milieu urbain.

Les paysans se montrent plus courageux et déterminés. Pour un peuple opprimé, la patience a ses limites. Il trouve assez ambiguë la démarche politico-bureaucratique de la ville pour mener une lutte de l'émancipation anticoloniale. En effet, à la moindre rumeur de soulèvement, il se mobilise pour attaquer les colons : c'est ce qui s'est passé le 29 mars 1947.

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