Maroc: Brodé et fastidieux, le chiffre de monsieur le ministre !

La formation d'un étudiant en médecine coûte 1 million de dirhams à l'Etat, dixit, sans sourciller, El Miraoui

«La formation d'un médecin au Maroc, pendant six à sept ans, coûte 1 million de DH (100 millions de centimes)». Cette information n'a rien d'inédit puisqu'elle a fait la Une des journaux et sites d'information il y a plusieurs semaines, à l'occasion d'une conférence de presse organisée par les ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur. Toutefois, nombreux sont les professionnels du secteur qui s'interrogent sur la validité de ce chiffre et sa crédibilité.

Remise en cause

Dr Badreddine Dassouli, urologue et ancien président du Syndicat national des médecins du secteur libéral (SNMSL), prend le chiffre en question avec beaucoup de réserve et préfère nous répondre en donnant l'exemple d'une opération chirurgicale sur la vésicule biliaire. Selon lui, cette opération coûte 45.000 DH dans un hôpital public et 8.000 dans le secteur privé. «La morale de l'histoire, c'est que tant qu'il y a mauvaise gestion, les coûts sont en hausse. Et c'est la même approche concernant la formation des médecins. S'il y a mauvaise gestion, il faut s'attendre à 100 millions de centimes voire plus».

Notre interlocuteur remet en cause ledit chiffre puisqu'il considère qu'un médecin en formation crée de la valeur ajoutée et contribue par son travail en tant que stagiaire. «L'étudiant en médecine intègre l'hôpital à la 3ème année et à partir de là, il devient petit à petit fonctionnel c'est-à-dire plus productif (observation et accompagnement des patients, gardes de nuit...). A noter, cependant, que ces tâches sont non rémunérées. Et avec le temps, l'étudiant devient plus initié et commence à faire des soins non rémunérés. En 6ème année, il devient opérationnel même s'il n'a pas le statut d'un médecin et il suffit de faire un tour dans les hôpitaux pour se rendre compte de la place et du rôle que jouent ces médecins en devenir qui restent peu rémunérés. Donc, ces étudiants ont déjà payé leur dû à l'Etat et ce dernier a déjà récupéré son argent qui n'est autre que l'argent des contribuables», a-t-il observé. Et de rappeler: «A notre temps, on a eu droit à 300 DH par mois comme rémunération alors qu'on a été obligé de travailler chaque matin et maintenir des gardes la soirée».

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Flou

Pour sa part, M.M, un chirurgien établi à Casablanca, estime que le chiffre de 100 millions de centimes reste l'idéal ou ce qui devrait être. Selon lui, le ministère de l'Enseignement demeure flou sur l'origine dudit montant et sur ses détails. «Ce coût concerne-t-il les salaires des professeurs, les infrastructures ou les formations ?», s'est-il demandé. Et d'ajouter : «Et si tel est le cas, qu'en est-il des services rendus par les étudiants qui travaillent en tant qu'aide médecin depuis leur 3ème année ? Ses services sont-ils comptabilisés ?».

Service rendu

Une analyse que partagent d'autres professionnels qui soutiennent que les étudiants en médecine sont formés à la fois à la Faculté et au CHU qui reçoivent, en effet, les étudiants en médecine en stage dès leur 3ème année, en tant qu'externes, puis réalisent leur internat à partir de la 6e année. Les stages des externes et le travail des internes impliquent une rémunération estimée à 630 DH/mois pour les étudiants en 3ème année et 2000 DH/mois par la suite. Concernant les internes, il faut compter 3000 DH/ mois. Des sommes jugées dérisoires par rapport au travail fourni, et au fait que l'accueil des étudiants par l'hôpital ne lui coûte rien. En effet, et grâce aux travaux de recherche, aux gardes, et aux apports de l'internat, les étudiants parviennent à compenser une partie du budget de l'Etat. Autrement dit, le service rendu est finalement mutuel.

Origine inconnue

Mais d'où vient ce chiffres d'un million de DH ? En effet, il n'existe aucun document officiel affirmant cette somme. D'autant que c'est la première fois qu'un ministère de l'Enseignement supérieur avance un tel chiffre. Le seul nombre qui circule, c'est celui datant de 2008 au moment du lancement de «l'opération 3.300 médecins à l'horizon 2020», et qui indique que le coût des études dans les facultés publiques est estimé entre 87.000 et 128.000 DH par an. Il a fallu attendre jusqu'à 2014 pour que le Pr Mohamed El Andaloussi, président de l'université des sciences de la santé à Casablanca, annonce le chiffre de 130.000 DH comme frais de scolarité pour les futurs étudiants en médecine. Une coquette somme qui renvoie, selon lui, à des coûts quasi similaires à ceux du public. Une étude de la Banque mondiale, a indiqué que le coût de formation d'un médecin au Maroc est estimé à environ 250.000 dollars, rapporte Le Monde diplomatique.

Ailleurs

Qu'en est-il du coût d'enseignement de la médecine dans les pays voisins ? En Algérie, la formation d'un étudiant en sciences médicales pourrait facilement atteindre les 400.000 DA, en moyenne, et pourrait bien dépasser ce chiffre dans certains cas». Abdelkrim Djebrani, directeur des finances au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS), a précisé à la presse algérienne qu'il s'agit d'une formation de longue durée, qui reste importante en termes de masse salariale. «Plus le nombre des rangs magistraux et d'encadrement augmente, plus la masse salariale augmente», argumente-t-il. Dans le même sillage, Abdelkrim Djebrani évoque le volet lié à l'investissement. Il faut savoir à ce sujet que le secteur s'attelle à mettre en place un centre de simulation médicale au niveau de chaque faculté de médecine d'Algérie.

En France, la formation d'un étudiant en médecine coûte en moyenne 20.000 euros par an. Ces études durent environ 10 ans, il faut compter près de 200.000 euros par étudiant en médecine avant que celui-ci ne soit diplômé. Ainsi, même pour les études de médecine les plus courtes, le coût d'un étudiant formé reste conséquent. Les études de santé se déroulent à la faculté. Les universités en France sont financées par l'Etat principalement, mais aussi par les collectivités territoriales, les entreprises et les ménages (via les impôts).

Peut-être qu'Olivier Norek, écrivain et scénariste français, a raison lorsqu'il dit: «Les chiffres ne sont qu'une indication. Ils ne veulent rien dire. Demander un chiffre, c'est faire l'évaluation d'un travail. La réponse changera en fonction de la personne à qui vous posez la question. Si vous le demandez à celui qui a effectué le travail, il sera poussé vers le haut. Si vous le demandez à ses détracteurs, il sera tiré vers le bas. Demander de chiffrer une activité, c'est être assuré d'avoir une information déjà faussée. Les chiffres ne sont que des paillettes pour faire beau à la fin des rapports vides».

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