Ile Maurice: Développement tous azimuts mais décadence sociale et morale

À l'approche des élections générales, les voix et opinions des citoyens se font entendre, notamment dans la circonscription numéro 8 (QuartierMilitaire-Moka) que nous avons sillonnée pour notre reportage réalisé la semaine dernière. Cette circonscription a vu l'élection de trois candidats solides qui ont accédé à des postes clés au sein du gouvernement : le Premier ministre, Pravind Jugnauth, et ses deux colistiers, Leela Devi Dookun-Luchoomun, ministre de l'Éducation, et l'ex-ministre du Commerce, Yogida Sawmynaden. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Perspective

Une citadelle orange difficilement prenable

Le Mouvement socialiste militant (MSM) a fait carton plein dans la circonscription de Quartier-Militaire-Moka. Lors des dernières élections générales, le MSM a réalisé un très bon score. Le troisième candidat, Yogida Sawmynaden, avait battu le quatrième candidat de l'Alliance Nationale par un peu moins de 3 000 voix d'écart. Cette circonscription, bastion du Parti travailliste (PTr) pendant longtemps, a basculé dans le camp orange depuis que, pour sa première élection à la partielle de 2009, dans une alliance avec le PTr, Pravind Jugnauth avait remporté une brillante victoire.

Pour les prochaines élections générales, avec le décès de Soopramanien Kistnen, qui avait forcé à la démission le ministre Yogida Sawmynaden, le MSM devra cravacher fort. Si les observateurs politiques pensent que, même si l'opposition remporte les élections, ce sera difficile de battre Pravind Jugnauth et il est même possible que ses colistiers soient aussi sur la liste des vainqueurs.

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On ne sait pas encore qui l'opposition alignera, mais après tous les efforts déployés par Suren Dayal pour contester les élections de Pravind Jugnauth et ses deux colistiers, on voit difficilement le PTr lui refuser un ticket dans cette circonscription. On parle avec insistance que Dhaneshwar Damry y serait candidat et le troisième serait un membre du MMM, on évoque le nom de Parmessur Ramloll.

Satisfaction

Noorany, âgé d'une quarantaine d'années et habitant de Saint-Pierre, propriétaire d'une petite entreprise depuis 20 ans, confie : *«Il est probable que le parti au pouvoir puisse remporter la victoire une fois de plus. Outre le développement au niveau national, il y a eu des projets de développement clés réalisés dans la circonscription, comme les ronds-points et la rénovation du bazar. Toutefois, certaines choses n'ont peut-être pas fonctionné.»*Dans une situation où de nombreux partis extraparlementaires ont vu le jour, quel en sera l'impact ? «C'est un peu difficile à dire à ce stade ; surtout dans cette circonscription, je ne pense pas qu'il y ait un espace à revendiquer pour l'instant. Le choix se fera entre les deux grands partis, avec à mon avis une tendance à la victoire du MSM», estime Noorany.

Fly-over, ronds-points, stade...

Mohamed Mungrally , 53 ans, domicilié à L'Avenir, abonde dans le même sens. «En termes d'infrastructures, il y a eu un développement notable. On compte notamment les flyovers et ronds-points qui ont vraiment aidé à décongestionner l a circulation ainsi que le stade de Côte-d'Or. Petit à petit, le gouvernement a montré qu'il peut réaliser sa vision et parmi les développements à venir, on compte le New Eye Hospital en construction. D'autre part, la population est confrontée aux effets de l'inflation et certains milieux ont besoin d'un coup de pouce. Il y a aussi le fléau de la drogue qui s'est propagé partout et il faut la collaboration de tous pour y faire face. Mais il est un peu difficile de savoir à ce stade qui prendra les rênes du pays», estime-t-il.

L'affaire Kistnen hante toujours les esprits

M. N., gérant d'un commerce familial dans la région, souligne que «le Premier ministre et la ministre Dookun-Luchoomun ont réalisé divers projets». Il évoque cependant «l'ex-ministre Sawmynaden qui a un procès en cours dans l'affaire Constituency Clerk. Cela a créé une mauvaise image pour le gouvernement et le Premier ministre qui l'a soutenu». Mais l'affaire la plus flagrante retenue dans la circonscription reste le meurtre de l'ex-agent du MSM Soopramanien Kistnen. M. N. évoque le manque de transparence de l'État et il estime que cela jouera un rôle clé dans la détermination du prochain gouvernement. «Fim ankor pé zoué, popilasyion pankor trouv lavérité. Il s'agit de la perte brutale d'une vie humaine et les forces de l'ordre sous ce régime masquant la vérité. Cela nous laisse dans l'ambiguïté.»

Zéro progrès social et mauvaise qualité de vie

Les jeunes offrent un point de vue totalement opposé. A. R., 26 ans, habitant La Laura et diplômé en Business Management, nous explique que «bien que cette circonscription soit celle du Premier ministre, la victoire est plus difficile à remporter qu'on ne le pense. L'opposition est active sur le terrain avec de nouveaux et bons candidats. Au niveau du développement social, rien n'a été fait. Le New Eye Hospital aurait dû être la priorité pendant cinq ans. Ils ont aménagé des terrains de jeux et des centres sportifs, mais il n'y a eu ni engagement social, ni activités pour regrouper réellement tous les jeunes. Pour les élèves, il n'y a pas de livres et de professeurs dans les écoles, la qualité de notre éducation a régressé depuis 2014».

Le jeune homme ajoute que «les produits alimentaires, les médicaments sont tous chers. Ils augmentent les pensions avant les élections pour montrer qu'ils s'en soucient mais ils ne peuvent pas mettre en place une stratégie pour contrôler les prix. Ils auraient pu faire mieux pour améliorer la qualité de vie afin que nous n'ayons pas à lutter autant. Il m'est impossible de construire une maison. D'un côté, les capitalistes jouissent; de l'autre, il y a les logements sociaux pour les plus démunis. Mais le jeune diplômé de la classe moyenne n'a rien».*

«Argent, caste et religion»*

en jeu Programme pour les cinq prochaines années, compétence et méritocratie. Idéalement, ces éléments devraient être pris en compte lors d'un scrutin. «Mais bien que les gens disent qu'ils veulent du changement sur les réseaux sociaux, sur le terrain, je ne pense pas que ce soit le cas, pas pour cette élection», dit un jeune de 25 ans qui a voulu garder l'anonymat. «Les gens ne votent pas seulement pour un programme, mais prennent aussi en compte des facteurs tels que la caste et la religion. Même les personnes âgées de 30 ou 40 ans se considèrent comme des 'jeunes' et la mentalité est ancrée en eux. Peut-être que dans les dix prochaines années, les jeunes qui ont 18 ans aujourd'hui penseront différemment et nous pourrons alors assister à un changement qui aura le dessus sur ces facteurs.»

Ce jeune homme ajoute que «le Premier ministre est peut-être à 50 % satisfaisant, la ministre de l'Éducation n'est pas performante, et l'autre n'a même pas été connecté avec les gens, il a également un procès en cours (...) Le choix se fera entre l'opposition traditionnelle et le MSM. Peut-être que dans les villes, les partis extraparlementaires ont une chance parce qu'ils ont des programmes novateurs. Mais ici, c'est surtout la politique de l'argent qui est en jeu et les petits partis n'auront pas les moyens de convaincre les gens de voter. La politique de la dynastie est également ancrée dans notre culture».

Peur des représailles

Alors que les personnes d'âge moyen et les personnes âgées acceptent que leur nom apparaisse dans le journal, on constate que les jeunes sont de plus en plus dissuadés. Un autre jeune habitant de Moka, employé dans un magasin de vêtements, nous parle mais dit qu'il ne faut absolument pas mentionner son nom. Les photos sont hors de question, nous posant même des difficultés pour notre reportage. «Si mo kozé, eski lapolis pou vinn fer landing kot mwa?», demande même ce dernier.

«Des cas de 'planting', aucun contrôle et aucune redevabilité des policiers, des procédures accélérées et l'immunité pour les proches du pouvoir alors que d'autres doivent faire face à des accusations inutiles et du 'time-buying' par la police. Il y a deux poids, deux mesures pour les gens. Lot fwa la monn ekout ex-DPP lor radio, il a parlé du fait qu'il faut des preuves avant d'arrêter quelqu'un et qu'on ne peut pas simplement le jeter en cellule et l'amener au tribunal comme on veut. Si ce gouvernement reste en place, la situation va empirer car il dispose d'un feu vert pour faire ce qu'il veut et la population doit faire la sourde oreille car il propose des hausses de pensions. Si le gouvernement change, le nouveau pourra peut-être apporter des réformes, car il a lui-même été victime de persécutions», ajoute-t-il.

«Donn ici, tir laba»

«Nous avons obtenu une augmentation de la pension, mais les légumes, la nourriture, tout est cher. À 75 ans, je dépense beaucoup en médicaments. Dans les dispensaires, soit ils ne sont pas de bonne qualité, soit la moitié des médicaments qui me sont prescrits ne sont pas disponibles. Je dois les acheter à la pharmacie et deux d'entre eux peuvent coûter plus de Rs 1 500. Ce n'est pas facile, zot donn isi, tir laba ar nou. Je travaille toujours, même à cet âge, mes fils sont diplômés mais ils doivent construire leur maison avant de se marier, en contractant un emprunt. Kouma sa bann zen la pou viv ? Nous voyons sur la MBC comment les politiciens sont glorifiés. Mé kan ariv zour-la bizin gété ki pou voté», dit M. H., habitant de Camp-Thorel.

Statu quo

Prochain arrêt, Côte-d'Or. Nous ne parlons pas du stade ou du projet smart city, mais du petit village isolé. Indrani, 66 ans, est mère de cinq enfants, dont trois sont installés à l'étranger. «Il ne s'est pas passé grand-chose ici, zot inn ranz stad lot koté.Mes enfants m'envoient de l'argent de l'étranger pour que je puisse acheter les produits dont j'ai besoin et je voyage également pour aller les voir pendant environ deux mois. Les gens font du porteà-porte pour la campagne. Kan zour vini nou pou voté.» Bilan, préférence, choix ? «L'un va, l'autre vient, tou parey mem.»

La chance aux nouveaux candidats

À Petit-Verger, on parle de virement et de gens qui boycottent déjà les rassemblements religieux qui accueillent des politiciens, un récent iftaar, qui aurait mécontenté les membres du gouvernement. «L'opposition est également active sur le terrain avec des candidats potentiels. À Maurice, après deux mandats, les gens changent de gouvernement.» Qui pourrait apporter la vague de changement souhaitée ? «Des candidats, comme Dhaneshwar Damry, jeunes et capables de prendre les devants», dit-on.

Les «sitting members» du Parlement

Pravind Jugnauth

Leela-Devi Dookun-Luchmun

Yogida Sawmynaden

Candidats probables

Suren Dayal (PTr)

Dhaneshwar Damry (PTr)

Pazhany Rangasamy (Ptr)

Govinden Venkatasami (MMM)

Parmessur Ramloll (MMM)

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