Ile Maurice: Quand plus rien n'arrête Phokeer...

La prestation du speaker, Sooroojdev Phokeer, au Parlement suscite de vives réactions à presque chaque séance depuis sa nomination en novembre 2019. Tant par ses paroles que par ses agissements envers les élus de l'opposition. Cette semaine, l'ex-directeur de campagne du MSM dans la circonscription no 10 (Montagne-Blanche-Grande-Rivière-Sud-Est) a une fois de plus sévi en traitant des députés de «mad» et «sick». Jusqu'où peut-il aller en tant que speaker ? Mais surtout, se demandent plus d'un, que faire pour freiner ses ardeurs ?

Le speaker a encore franchi une ligne rouge dans l'Hémicycle à plusieurs reprises mardi. Sa phrase lancée à l'endroit de Paul Bérenger et Rajesh Bhagwan demeurera inoubliable : «This is a sick man in Parliament!» Sooroojdev Phokeer a aussi hurlé : «Collect this man» en parlant du leader des Mauves et encore «Flush him out from this Chamber!» pour Rajesh Bhagwan. Selon l'avocat et constitutionnaliste, Milan Meertarbhan, ce qui s'est passé au Parlement mardi est une illustration de la décadence du MSM.

Au-delà du Parlement, ces incidents démontrent à quel point il y a eu une déliquescence de nos institutions depuis 2015. La responsabilité de ce que fait le speaker depuis des années et qui ne cesse de se dégrader incombe à celui qui l'a proposé à ce poste et qui continue à le soutenir contre vents et marées. D'autre part, indique notre interlocuteur, dans un pays où existe l'État de droit, tout pouvoir discrétionnaire devrait être soumis à un contrôle judiciaire. Il ne devrait pas y avoir une unfettered discretion, mais au contraire, l'exercice de tels pouvoirs devrait toujours être soumis à des règles d'équité, de justice, de respect des droits des autres.

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«Soutien inconditionnel»

Même si la Constitution prévoit que l'Assemblée nationale règle elle-même le déroulement de ses travaux, l'exercice des pouvoirs prévus par ces règles doit être soumis à un contrôle judiciaire. «Si un député fait une déclaration qui porte atteinte à la réputation du Parlement, il peut être sanctionné par le speaker ou par ses pairs. Mais si c'est un speaker qui porte atteinte à la réputation du Parlement, il ne devrait pas jouir d'une immunité absolue. Mais qui peut le sanctionner ? Les parlementaires peuvent adopter une motion de blâme ou voter une résolution pour sa destitution. Mais, à Maurice, on sait que la majorité parlementaire ne votera pas une telle résolution et accordera toujours son soutien inconditionnel à un speaker nommé par son leader.» Qui d'autre que des juges, poursuit Milan Meetarbhan, peut donc sanctionner un speaker pour utilisation abusive de ses pouvoirs ou pour mauvaise conduite ?

Pour Rajen Narsinghen, ex-Senior Lecturer de la faculté de droit et gestion de l'université de Maurice, bien souvent, la Cour suprême évite de s'immiscer dans les affaires du Parlement et de plus, cela risque de prendre beaucoup de temps avant qu'une décision ne soit prise. Il met en avant l'exemple de l'affaire toujours en cours opposant le député du Parti travailliste Arvin Boolell au speaker. Le chef de file des Rouges avait, pour rappel, déposé une plainte constitutionnelle en Cour suprême après son expulsion et sa suspension de la séance de l'Assemblée nationale le 20 juillet 2021.

«Il n'y a personne pour le sanctionner»

Le juriste explique, pour sa part, que des mots comme «mad» ou «sick» sont bel et bien des unparliamentary words et que s'ils avaient été utilisés par un parlementaire, le speaker l'aurait rappelé à l'ordre et le fait que ce soit le speaker même qui use de ces mots, ne veut pas dire qu'ils ne le sont pas. «Mais il est clair qu'il n'y a personne pour le sanctionner lui.»

Ainsi, explique ce dernier, il faut adopter des mesures comme dans certains pays d'Europe. En France, par exemple, il y a un Ombudsperson pour un comité d'éthique. «Ce dernier est chargé de rappeler à l'ordre tout parlementaire et même le président de la chambre si besoin est. À Maurice, il n'y a pas eu besoin car les speakers précédents procédaient avec des coutumes parlementaires et des conventions constitutionnelles qui ont toutefois perdu leur valeur depuis l'arrivée de Maya Hanoomanjee.»

Désormais, ajoute-t-il, il faudrait tout revoir mais surtout mettre en place un nouveau système pour la nomination à ce poste «afin que le speaker, une fois nommé, ne devienne pas un agent politique et n'agisse pas comme un tapeur, un bouncer par moments, à l'instar de Phokeer.» L'ancien chargé de cours dénonce aussi les suspensions abusives de Sooroojdev Phokeer. «Suspendre un parlementaire pour six séances est exagéré. Il n'y a qu'à voir comment cela se passe en Angleterre. Phokeer abuse de ses droits...»

Pour sa part, l'avocat et dirigeant de Linion Moris, Rama Valayden, va un peu dans le sens de Milan Meetarbhan et explique que la seule façon de sanctionner le speaker serait une motion de no confidence au Parlement. «Cependant, dans le contexte mauricien, la majorité au Parlement le soutiendra toujours.Autrement, il n'y a pas de poursuites, sauf celles portées devant la Cour suprême pour contester une décision déjà rendue et non la conduite du speaker lui-même.»

Me Valayden propose que le speaker choisi soit réellement au-dessus de tous les partis politiques et que les Standing Orders soient revus, par exemple, pour les expulsions, qui ne devraient avoir lieu que dans des situations extrêmes plutôt que d'être normalisées. Dans la plupart des cas, «les décisions du speaker ne peuvent pas être contestées. Il jouit d'une immunité quasi absolue (...) à l'exception des one-off cases où une décision a été réexaminée par la Cour suprême.»

L'ancien speaker Ajay Daby estime, lui, que bien que de telles nuances surviennent souvent dans le cadre de la démocratie politique, «le devoir de respect mutuel au Parlement est général, universel et va au-delà des partis politiques», reflétant ainsi les valeurs de la Constitution. «Everyone is accountable one way or another.» Pour garantir la responsabilité, en l'absence d'un Standing Order,«the procedure and practice in the House of Commons shall be followed».

Il faut souligner que ce n'est pas la première fois que le speaker Phokeer fait des remarques désobligeantes à l'encontre des membres de l'opposition. En août 2021, il s'était moqué de l'apparence physique et de la condition médicale du député mauve Rajesh Bhagwan en lui lançant «look at your face!» Et pas une fois, mais une bonne douzaine. C'était lors d'une question à Pravind Jugnauth sur la carte d'identité biométrique. Cette affaire fut même reprise par BBC News Africa. Par la suite, le speaker devait se défendre sur une radio en disant que «c'était une blague». De mauvais goût en tout cas...

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