Ile Maurice: Le plus grand pôle de valorisation des déchets des outre-mer à La Réunion d'ici fin 2026

interview

Nos voisins réunionnais ont un train, voire plusieurs trains d'avance, sur nous par rapport à la collecte et à la valorisation des déchets. Ileva, syndicat mixte regroupant trois intercommunalités du Sud et de l'Ouest de la Réunion, a désigné Paprec Energies et son partenaire Green Tropical Circle, société du groupe How-Choong, pour concevoir, mettre en place et exploiter, d'ici fin 2026, son pôle de valorisation des déchets, Run Eva, dont la finalité est l'arrêt de tout enfouissement et que la quasi-totalité de ces déchets produise de l'électricité pour alimenter 10 % de la population. Xavier How Choong, le directeur général de GTC, nous parle de ce projet dont l'investissement s'élève à 200 millions d'euros.

Le vocabulaire concernant la valorisation des déchets peut paraître compliqué. Pouvez-vous le simplifier pour nos lecteurs ?

Dans la profession, nous distinguons la collecte et le traitement de la valorisation des déchets. Au niveau de la collecte, l'activité est proche des métiers du transport et de la logistique, c'est les équipages et les camions que nous voyons tous les jours sur nos routes. Du côté du traitement et de la valorisation, l'activité est plus proche de métiers industriels avec des processus très normés. En France et donc à La Réunion, il existe une hiérarchie dans le traitement des déchets, qui a force de loi. Elle va de la prévention du déchet à son élimination, autrement dit sa mise en décharge. Cette hiérarchie organise les filières déchets et environnement dans notre pays.

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Comment s'organise le traitement des déchets à La Réunion?

L'organisation du traitement des déchets est une compétence gérée par les pouvoirs publics. La gestion des déchets a commencé de manière très classique avec des collectes en mélange et une mise en décharge mais a depuis bien évolué. Nous avons aujourd'hui des collectes séparatives permettant le recyclage. Le territoire s'est aussi doté d'infrastructures permettant le recyclage des différentes collectes, toujours dans la volonté de valoriser les ressources collectées.

Run Eva est une de ces infrastructures. Cette ambitieuse usine est portée par ILEVA, le syndicat mixte en charge du traitement des déchets du Sud et de l'Ouest de l'île. Run Eva va permettre aussi bien de la valorisation matière que de la valorisation énergétique. GTC a aussi une activité de recyclage de déchets verts en broyats et en compostage sur toute l'île et la gestion de la décharge d'ILEVA.

Depuis quand votre entreprise existe-t-elle et quelle est sa vocation ?

HC environnement (HCe) a été créée en 1986 par mon père Gérald How-Choong. Une société familiale existait auparavant mais les services liés aux déchets n'ont commencé que dans les années 80. HC environnement est aujourd'hui spécialisée dans la collecte des déchets ménagers, en mélange ou triés et se positionne en tant que partenaire environnement des pouvoirs publics.

Une activité de traitement et de valorisation a été commencée dans les années 90 et le développement de cette activité a amené la création, en 2013, d'une société soeur, la Green Tropical Circle (GTC). Ces sociétés ont aujourd'hui des activités distinctes et opèrent toutes les deux sur l'ensemble de l'île. Nous proposons aujourd'hui essentiellement des services de gestion de déchets aux collectivités publiques et développons notre offre de service aux professionnels. Nous avons vocation d'accompagner nos clients dans une gestion vertueuse de leurs déchets et de promouvoir l'économie circulaire en pensant aux déchets comme des ressources.

Quelle quantité de déchets que vous collectez par an et de ce nombre, combien peuvent-ils être recyclés et valorisés ?

Annuellement, notre entreprise collecte, tous flux confondus, plus de 115 000 tonnes de déchets sur La Réunion. Mais nous ne sommes pas le seul collecteur de l'île. Le flux total annuel est supérieur à 600 000 tonnes. Sur les différents sites dont nous avons la gestion, nous stockons environ 230 000 tonnes de déchets en décharge et recyclons 75 000 tonnes de déchets verts. L'installation de stockage de déchets non dangereux (ISDND), de la Rivière-St Etienne sur la commune de St Pierre, a commencé son activité dans les années 80 et arrive aujourd'hui en fin de vie.

Le stockage de déchets est aujourd'hui une activité extrêmement régulée et surveillée, au moins autant par les autorités que par les citoyens. Nous opérons avec des exigences fortes de notre client et j'ai envie de dire que c'est bien normal. En soi, le stockage des déchets est une activité polluante. Cela dit, je pense que sur le site de la Rivière-Ste Etienne, des efforts sont réalisés pour limiter cela, notamment, l'exploitation en mode bioréacteur, qui permet de capter le méthane produit par la dégradation des déchets.

Ce gaz est injecté dans des moteurs et des produits électricité. Depuis plus de 15 ans, tous les casiers d'enfouissement sont étanches et les eaux polluées sont traitées par une des unités les plus importantes de France. Il faut toutefois être conscient que malgré la mise en service du pôle de valorisation des déchets que le groupement avec Paprec-GTC va concevoir, mettre en place et gérer, il y aura toujours nécessité d'opérer un centre de stockage.

Quel sera l'apport de Green Tropical Circle-HC environnement dans ce partenariat avec Paprec ?

Paprec et nous avons décidé de la mise en place d'une joint-venture pour la mise en oeuvre de cette usine. Nous avions auparavant eu des contacts car nous faisons tous les deux parties d'un syndicat professionnel national, le SNEFiD. Avant le projet de valorisation des déchets Run Eva, nos contacts étaient ponctuels, notamment pour échanger nos retours d'expérience sur des fournisseurs ou des traitements existants. Dans cette association, GTC va apporter son expérience locale. Cela n'a l'air de rien mais les processus de traitement de déchets peuvent être assez sensibles à la nature des déchets, qui varient selon les modes de consommation, les saisons, le temps, etc. GTC va également amener sa connaissance du tissu local et permettre à Run Eva d'être une entité bien ancrée dans le monde économique et social réunionnais.

Comment fonctionnera Run Eva ?

Run Eva sera une usine de valorisation multi-filières, une des premières du genre en France, voire en Europe. On peut dire que l'usine fonctionnera avec trois unités. La première sera la réception et le tri des déchets.

On va considérer deux lignes de réception de déchets: les Ordures Ménagères Résiduelles (OMR), c'est-à-dire les déchets ménagers en mélange et les bio-déchets, et les déchets organiques tels que les déchets de cuisine ou de table. Le tri sera effectué dans les OMR afin de retirer les matières valorisables de ce flux de déchets: cartons, plastiques, métaux, matériaux inertes, fraction organique. Les résidus non valorisables seront préparés (séchés, calibrés, analysés) et vont produire ce qu'on appelle du Combustible Solide de Récupération (CSR), qui visuellement ressemble à des flocons de plastique, papier, bois, carton en mélange.

En fin de cette première unité fonctionnelle, nous aurons doncdes matières valorisables, un flux de bio-déchets triés à la source, un flux de bio-déchets triés en usine - il est important de faire la distinction car réglementairement, ces deux flux de bio-déchets ne peuvent être mélangés -, et des CSR. Une deuxième unité fonctionnelle permettra la méthanisation des bio-déchets. Run Eva disposera de deux méthaniseurs pour traiter les deux flux de bio-déchets. La méthanisation consiste en une fermentation de la matière qui va libérer du gaz, qui sera capté et qui produira de l'électricité.

La troisième unité fonctionnelle sera l'Unité de Valorisation Energétique : la chaudière où sera brûlé le combustible et qui va générer la grande partie de l'électricité injectée sur le réseau. Comparé à une usine d'incinération classique, il y a une vraie différence qualitative sur l'intrant de la chaudière. Ici, cet intrant sera trié, calibré, normé alors que dans une usine d'incinération, ce n'est pas le cas. Les normes sur le traitement des fumées sont aussi strictes en valorisation de CSR qu'en incinération d'ordure ménagère.

Run Eva traitera-t-elle tous les déchets ?

Non, certains déchets ménagers n'arriveront pas à Run Eva. Les collectes sélectives, de déchets recyclables secs tels que les cartons, métaux et plastiques, de déchets verts, d'encombrants, de verre seront dirigées vers des centres de tri et de valorisation respectifs. Mais Run Eva est prévue pour être évolutive et pourra accueillir une deuxième ligne de valorisation énergétique, qui permettrait d'augmenter significativement la production d'électricité. Cette deuxième ligne pourrait être alimentée par des CSR produits ailleurs. Même si nous gardons cette possibilité en tête, pour l'instant, notre focus est de mettre en production l'usine Run Eva dans sa configuration première.

Par rapport à la quantité de déchets générés dans l'île, faudrait-il d'autres pôles de valorisation des déchets pour La Réunion ?

Il existe un autre pôle de valorisation de déchets ménagers dans l'Est de la Réunion, qui produit du CSR mais celui-ci n'est malheureusement pas valorisé aujourd'hui. Mais au-delà de la quantité de déchets, il faut s'intéresser à la nature des déchets produits. Certains déchets n'existaient pas, il y a encore quelques années, je pense aux batteries de voitures électriques, par exemple. D'autres ne représentent pas un gisement suffisant pour qu'une unité économique trouve son équilibre. Donc, oui, je dirai qu'il faut d'autres pôles de valorisation, mais eux plus spécialisés. Nous portons d'ailleurs dans le groupe un projet de valorisation de déchets d'industries agro-alimentaires et de bois de palettes.

Pourquoi le recyclage et la valorisation des déchets sont-ils si coûteux ?

Il faut bien se rendre compte que nous allons opérer une des usines les plus importantes de France à 10 000 km de l'Hexagone. Nous devons donc prendre en compte nos spécificités locales et la réalité des chaînes logistiques vers l'océan Indien. Cela nous a poussés à amener de la redondance dans les équipements et à en muscler d'autres. C'est un défi industriel dans un secteur extrêmement normé. Un autre facteur est que, de par sa conception, Run Eva sera aussi une usine très complète et il n'est pas courant qu'un projet aussi ambitieux voie le jour. Saluons donc le courage des autorité, qui ont porté ce projet jusqu'au bout. Et puis, nous opérons après la crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine, deux bouleversements géopolitiques, qui ont aussi causé des surcoûts.

Les autorités environnementales mauriciennes ou le secteur privé mauricien vous ont-ils déjà approché pour un partenariat ou un service conseil ?

J'ai eu l'occasion de discuter avec des acteurs privés pour des projets, notamment de valorisation organique. La pandémie du Covid-19 a malheureusement bouleversé un peu tout cela mais je reste convaincu qu'il y a des choses à faire ensemble.

Les Réunionnais semblent beaucoup plus sensibilisés au tri des déchets et à l'environnement que les Mauriciens ?

Comment faire en sorte que cette conscience environnementale fasse son chemin dans la tête des Mauriciens ? Je ne sais pas si le Réunionnais est plus sensibilisé que le Mauricien. Tout le monde aspire à vivredans un environnement propre et agréable. Actuellement, il y a une différence de structuration des filières déchets entre la Réunion et Maurice mais cela peut changer. Je sais qu'à Rodrigues par exemple, tout plastique à usage unique a été interdit très rapidement. Il y a une prise de conscience sur la nécessité de protéger notre environnement et de gérer de manière durable les ressources de notre planète, notamment au sein de la génération Y (les millennials) et encore plus pour les générations suivantes.

Telle une vague, ce mouvement ne pourra pas être arrêté. Dans ce cas-là, ne vaut-il pas mieux l'accompagner ? Il y a énormément d'initiatives qui ont fonctionné ailleurs, qui peuvent nous inspirer et qui doivent être source d'espoir. Tous, nous sommes face au défi majeur des prochaines années mais un message uniquement accusateur ne fonctionne pas. Bien sûr, les politiques publiques sont essentielles mais le problème doit aussi être abordé sous d'autres angles: il faut aider le citoyen à faire le bon choix en rendant la chose facile et attrayante. Par exemple, il existe des cendriers de sondage, avec deux jauges où chacun peut exprimer son avis avec son mégot de cigarette.

Il faut récompenser celui qui fait des efforts: ramener des contenants vides donne droit à une récompense, éduquer les enfants, qui sont des influenceurs incroyables de leurs parents. Il y a aussi certains principes en vigueur qui sont justes et qui doivent être encouragés comme le pollueur payeur. Je recommande d'ailleurs la lecture du brillant livre Nudge de Richard Thaler, si l'idée d'encourager les gens à faire un choix durable en douceur vous intéresse.

Bio Express

Xavier How-Choong est né en 1985 à la Réunion. Il a étudié l'ingénierie à Lyon en France avant d'exercer en tant que tel à Londres et à Dubaï. Il a ensuite repris les études et obtenu un Master of Business Administration auprès de l'INSEAD à Singapour et Fontainebleau en France avant de rejoindre l'entreprise familiale en 2017. Il l'a fait en étant convaincu que les modèles locaux peuvent être remis en cause et que les problèmes rencontrés dans la région peuvent trouver des solutions qui émergent de l'intelligence collective.

Son frère l'a rejoint dans l'entreprise familiale l'an dernier. GTC/HCe a plusieurs projets de valorisation organique dont un de restauration des sols et dont l'objectif est d'utiliser les déchets pour reconstruire un sol et lui redonner des fonctions qui permettront l'agriculture. «Je pense que nos savoir-faire, acquis dans un milieu insulaire et tropical, pourraient être utiles à d'autres territoires.»

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