Burkina Faso: Village de Poun dans le Sanguié - « Ötijeul », une rivière sacrée aux multiples bienfaits

Située dans la province du Sanguié, région du Centre-Ouest, la rivière « Ötijeul », qui signifie en langue lyélé « haïr la honte », est sacrée. Des gens viennent de partout pour y faire des sacrifices. La procréation, le travail, la santé seraient autant de vœux que « Ötijeul » exauce. Le lieu sacrificiel de la rivière se trouve dans le village de Poun dans la commune de Tenado. Le 28 mars 2024, une équipe de Sidwaya a rencontré des personnes-ressources pour en savoir davantage sur ce lieu chargé d'histoire.

Il est midi. Le soleil est au zénith, ce jeudi 28 mars 2024. En cette période de chaleur, hommes, femmes et enfants sont dans les concessions. Les cris des oiseaux et d'autres animaux domestiques se mêlent à l'ambiance « chaleureuse ». Nous sommes dans le village de Poun, où se trouve la rivière « Ötijeul ».

L'objectif n'est pas de faire des voeux ni de remercier « Ötijeul », mais de connaitre l'histoire, de savoir comment cette rivière aide les gens et aussi d'être témoins des merveilles de ce lieu sacré. Notre accompagnant, Pima Valentin Badolo, nous rejoint et nous demande d'attendre un instant pour qu'il aille aviser les « dignitaires » de la rivière. L'attente fut longue,une heure.

Nous prenons enfin contact avec les responsables de la rivière. Ceux-ci nous font comprendre que la rivière n'accepte pas les malfaiteurs, d'où la nécessité pour les patriarches de parler aux divinités avant toute chose. Après consultation, l'équipe de Sidwaya est autorisée dans le village. « Tous les visiteurs du jour ne sont pas des Gourounsis », révèlent les génies consultés, selon les devins. C'est un fait visiblement étrange et épatant qui échappe à toute raison humaine.

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Qu'à cela ne tienne, nous sommes ensuite conduits sur le site qui abrite l'autel de la rivière. Impossible de faire des images sans l'aval ou l'autorisation expresse du chef du village. « C'est très important d'avoir une autorisation avant de filmer pour ne pas se retrouver par la suite sans images», conseille notre guide. C'est par ce principe sacré que nous débutons notre reportage sur « Ötijeul ».

Un convaincu de la puissance de « Ötijeul »

Sur place, les sacrifices se font pratiquement chaque jour. « Ce matin (ndlr, 28 mars 2024), un homme est venu pour des remerciements aux environs de 9h», nous renseigne le sacrificateur, Honoré Bassono. Et sur les lieux, nous trouvons cette personne, du nom de Augustin Badolo, natif du village, convaincu du secours de « Ötijeul ». « Je suis allé en Côte d'Ivoire pour me chercher comme on le dit souvent.

Je travaillais comme ouvrier dans les champs. Fatigué de servir les autres, je voulais aussi être un patron. Ce qui m'a poussé à faire un voeu à « Ötijeul ». Mon voeu était que si je devenais un patron, je donnerai à la rivière un poulet, un caprin et du dolo. Aujourd'hui, mon voeu a été exaucé, je suis un patron. J'exploite trois champs de cacao. Je suis très content actuellement, car je suis comblé », témoigne Augustin Badolo.

« Les récoltes du cacao dépendent de l'abondance des pluies. En moyenne, je peux avoir trois tonnes. Le prix du kilogramme varie entre 900 F CFA et 1 200 F CFA. J'ai pu construire des maisons au village et j'aide aussi ma famille », se réjouit Augustin Badolo.

La divination de la rivière est très lointaine

Selon le chef du village de Poun, Xavier Bassono, le caractère sacré de cette rivière remonte très loin dans le temps. Il affirme ne pas pouvoir dire avec exactitude le début des sacrifices. Mais, il soutient que dans les temps immémoriaux, la population de Poun, pour des raisons de santé et de sécurité, a interrogé la nature pour solliciter son aide. « La rivière a été distinguée comme un potentiel soutien de nos populations.

Nous suivons les pas de nos aïeux. La rivière est simplement merveilleuse avec un nom extraordinaire « Ötijeul », qui veut dire en langue lyélé : haïr la honte », raconte le chef de Poun. La rivière de Poun est une source d'eau pérenne toute l'année. Selon Honoré Bassono, le caractère mystique de la rivière est dû à la présence « des crocodiles sacrés dans l'eau ». Et le chef du village de renchérir que les génies de cette rivière ont pris la résolution de n'aider que les bonnes personnes.

« Tous ceux qui viendront avec des besoins de nuire ou la volonté d'attenter à la vie d'autrui, verront tout simplement leurs voeux rejeter. Sinon, toutes les personnes qui ont un bon coeur leurs voeux sont toujours exaucées », explique le chef de Poun. Pour Xavier Bassono, la rivière ne récolte pas là où elle n'a pas semé. « Quand un homme vient nous dire que c'est « Ötijeul » qui lui a porté secours dans une situation, nous lui demandons d'apporter un poulet pour qu'on puisse vérifier.

Le sacrificateur prend le poulet de ce dernier pour demander la confirmation aux génies. Si ce n'est pas la rivière qui l'a aidé réellement, le poulet ne tombe pas sur son dos. On pourrait égorger autant de poulets sans succès », précise-t-il. Mais, dans le cas contraire, poursuit M. Bassono, « Ötijeul » elle-même viendra voir la personne dans un songe ou d'une autre manière, afin qu'elle sache ou se rappelle de son voeu et de la promesse qu'elle a faite.

« Ötijeul » n'exauce pas les méchants

Selon le sacrificateur du jour, si un homme est dans une situation difficile, qu'il soit dans le village ou partout dans le monde, s'il invoque le nom de la rivière en lui demandant de le secourir, elle peut agir efficacement en sa faveur. « La rivière n'a pas besoin que la personne vienne sur l'autel pour qu'elle intervienne. C'est le jour de la récompense que la personne concernée ou son représentant crédible peut venir pour le remerciement », ajoute-t-il. A titre d'exemple, précise-t-il, de nombreuses personnes sont venues remercier la rivière après la crise ivoirienne.

« Ces derniers disaient qu'au temps fort de la crise, ils ont été ligotés pour être exécutés. Mais ils ont invoqué le nom de « Ötijeul » et ils ont été sauvés », explique celui qui est aussi le patriarche du clan Bassono. Selon lui, tout se passe entre la rivière et la personne concernée. Et cela peut se faire de deux manières : la personne elle-même peut venir voir les responsables et leur expliquer son besoin.

L'autre manière concerne ceux qui sont loin du village dans des difficultés et lancent un appel à la rivière. Chacun pourrait voir son voeu exaucé si toutefois cela est dans le sens du bien. « Si Ötijeul t'exauce, rappelle-toi de lui rendre ce que tu lui as promis, sinon elle viendra te troubler dans ton sommeil pour te rappeler ta promesse », soutient-il. Mais, si c'est pour faire le mal, les responsables refusent déjà l'accès pour ceux qui viennent se présenter à eux et la rivière elle-même refusera d'exaucer ceux qui sont loin.

L'économie culturelle

La rivière, foi des habitants du village, est très bénéfique pour tout le monde et pour Poun. Il y a pratiquement chaque jour une cérémonie sacrificielle sur la rivière, fait savoir le sacrificateur Bassono. « Je reconnais avoir reçu des gens qui sont venus avec plus de 500 000 F CFA, ou même plus d'un million F CFA, pour remercier la rivière », nous révèle le sacrificateur. Selon le chef du village, des hommes ont eu la vie sauve, d'autres ont recouvré la santé, des femmes ont eu des enfants.

« Chacun, selon sa demande, a été satisfait. Tels sont le plus grand bénéfice et la plus grande satisfaction que Ötijeul nous apporte. Certains reviennent avec des taureaux, des moutons, du dolo et bien d'autres cadeaux en espèces ou en nature pour exprimer leur gratitude », ajoute le chef du village. Aux abords de la rivière, les populations de Poun profitent des eaux de « Ötijeul » pour pratiquer la maraicher-culture. On y produit entre autres, de l'oignon, de la tomate, du chou, du poivre, du piment.

D'ailleurs, cette partie du Burkina Faso, la province du Sanguié, est reconnue pour ses cultures de contre-saison. Cette activité occupe la majorité de la population de la localité pendant la saison sèche. Martin Bamouni, natif de Poun, exploite un espace où il produit du chou, du piment et de l'ognon. A en croire M. Bamouni, la moyenne de sa production peut dépasser un million et demi dans l'année. « J'ai construit ma cour. Je prends soin de ma famille avec le jardinage. Je peux dire que c'est plus bénéfique que la culture du sorgho, du mil pour la consommation familiale », raconte-t-il tout en magnifiant les bienfaits de « Ötijeul ».

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