Madagascar: Lutte anti-corruption - Les immunités font barrage à la Justice

Les immunités et les privilèges statutaires font barrage aux poursuites judiciaires et à l'application de la loi, un fait criant dans la lutte contre la corruption, les détournements de deniers publics et les abus de pouvoir.

Un facteur de blocage. Une nouvelle fois, les immunités et privilèges statutaires sont mis à l'index en matière de lutte contre la corruption et les délits connexes. Une nouvelle fois, ils sont pointés du doigt comme étant des freins aux poursuites judiciaires et à l'application de la loi.

Cette fois-ci, toutefois, les obstacles que représentent les immunités et privilèges statutaires sont dénoncés par les Pôles anti-corruption (PAC). Le sujet a été le point saillant de la séance de questions et réponses à l'issue de la présentation du rapport d'activité des PAC pour l'année 2023. L'exemple donné par la procureure du second degré de la juridiction anti-corruption de Mahajanga est édifiant.

Parlant des autorisations de poursuite, la magistrate déplore que, «depuis la création du PAC de Mahajanga, en 2020, trente-six demandes d'autorisation de poursuite ont été faites. Malgré les rappels, nous n'avons reçu de réponses que sur deux d'entre elles.» C'est la première fois que les responsables des PAC en parlent de vive voix, publiquement, ce qui pourrait indiquer que le sujet est devenu un obstacle majeur dans la bonne marche de la machine judiciaire.

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Dans la liste des immunités et privilèges statutaires, la plus célèbre est l'immunité parlementaire. Elle implique, notamment, une autorisation préalable du bureau permanent ou des parlementaires réunis en séance plénière de la Chambre concernée, selon le cas, avant que des poursuites puissent être engagées contre un parlementaire. La seule exception est le flagrant délit, selon la Constitution. Il est très rare, cependant, de prendre des auteurs de corruption ou des délits connexes en flagrant délit.

Réflexion

Jusqu'ici, aucune autorisation de poursuite n'a été délivrée par le Parlement. Il y a aussi les hautes personnalités politiques qui jouissent du privilège de juridiction, à savoir, les chefs d'institutions et membres du gouvernement qui ne sont justiciables que devant la Haute Cour de Justice (HCJ), des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.

Des corps de métier jouissent également de privilèges statutaires qui nécessitent une autorisation de leur autorité de tutelle avant toute poursuite judiciaire. Par crainte d'une fronde corporatiste, les responsables concernés hésitent souvent à accorder une autorisation de poursuite.

«Nous savons tous que lorsque la question d'immunité entre en jeu, il est toujours difficile d'engager des poursuites. Il y a ceux qui ne sont pas justiciables devant les PAC», regrette Rivonandrianina Rabarijohn, coordonnatrice des PACs. Dans le rapport présenté mardi, il est pourtant indiqué que «les membres du pouvoir exécutif et législatif», ainsi que les hauts fonctionnaires de l'État, sont en pole position des mis en cause devant les PAC. La plupart jouissent, pourtant, d'immunité, de privilège de juridiction ou statutaire.

Outre la corruption, les abus de pouvoir, les détournements de deniers publics et les faux et usage de faux sont dans le top 5 des dossiers traités, des actes impliquant des dépositaires de pouvoir et d'autorités publiques. Revenant à la charge, la procureure du second degré du Pôle anti-corruption de Mahajanga renchérit en soutenant que «les autorisations de poursuite sont un facteur de blocage dans le traitement des dossiers». Elle appréhende, du reste, que d'autres entités qui revendiquent une immunité nécessitant une autorisation de poursuite, ce qui risque de compliquer encore plus la tâche des PACs.

En 2022, une proposition de loi modifiant une disposition du code pénal a été votée par l'Assemblée nationale. Elle prévoit qu'un ordre de poursuite émanant d'un procureur général près d'une Cour d'appel, après avis du ministre chargé de la décentralisation, pour pouvoir engager des poursuites pénales contre un chef de l'Exécutif d'une Collectivité territoriale décentralisée (CTD). La même année, les fonctionnaires des domaines et de la topographie ont également revendiqué de jouir de ce privilège statutaire.

Le foncier est, pourtant, parmi les secteurs réputés comme étant des niches de la corruption et d'abus. Durant les échanges à l'issue de la présentation du rapport, mardi, il a été souligné que la solution est la modification des dispositions légales. Justement, le sénateur Tahina Andrianandrasana, présent à l'événement, reconnaît «qu'une réflexion, que des améliorations s'imposent», sur le sujet.

Magistrat de carrière, le sénateur Andrianandrasana a officié au PAC d'Antananarivo avant de siéger à la Chambre haute. «Si je ne me trompe pas, depuis l'époque de la Chaîne pénale anti-corruption (CPAC), les autorisations de poursuite posaient problème. Elles deviennent des blocages dans le traitement des dossiers», concède le parlementaire. La période est justement propice aux réflexions sur comment lever les obstacles à l'efficacité de la lutte contre la corruption. Le processus d'élaboration d'une nouvelle stratégie de lutte contre ce fléau est en cours. L'objectif étant que les immunités ne soient pas facteurs d'impunité.

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