Ile Maurice: La chance perdue du pays

C'est encore une opportunité ratée. Obnubilé par l'axe Port Louis-Delhi, le gouvernement de Pravind Jugnauth n'a pas accordé à ses relations diplomatiques avec la Chine la même sollicitude.

Pourtant, au prochain Forum sur la Coopération sino-africaine (FCSA) qui se tiendra dans la capitale chinoise au mois de septembre, l'île Maurice aurait pu faire valoir quelques atouts lui valant un rôle primordial au sein de cette instance.

Et ce pour trois raisons au moins: la première est que le pays est le premier en Afrique, et pour l'instant l'unique bénéficiaire d'un accord de libre-échange avec la Chine qui est venu s'ajouter à des accords similaires avec des pays africains ; la deuxième est le rôle pont que joue le centre financier international mauricien entre les investisseurs chinois et les pays du continent; la troisième est sa situation géographique.

L'ambassadeur de la République populaire de Chine, Zhu Liling, faisait remarquer récemment que «Maurice peut jouer un rôle spécial de plaque tournante des échanges économiques, commerciaux, financiers, culturels et humains grâce à sa position privilégiée et à son économie ouverte et inclusive...»

Les atouts indéniables du pays n'ont pu être totalement exploités en raison d'un faux pas diplomatique qui enlève au pays un large accès à des multiples sources d'aides chinoises.

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Maurice est en effet un des très rares pays africains (avec l'Eswatini) à avoir refusé de se joindre au très ambitieux projet chinois de la «Ceinture et la Route de la Soie», un projet de coopération et de connectivité économique et commerciale titanesque qui vise à relier la Chine par voie terrestre et maritime à plus de 60 pays en passant notamment par l'océan Indien pour atteindre les ports de l'Afrique de l'Est. À ce jour, 68 pays de tous les continents, représentant près de 40 % du produit intérieur brut (PIB) de la planète, sont concernés par ces Nouvelles routes de la Soie, et à fin 2023, 155 pays avaient signifié leur adhésion à cette initiative.

Les pays du Sud-Ouest de l'océan Indien, Madagascar, les Seychelles, les Comores, membres de la Commission de l'océan Indien (COI) participent tous au projet. Madagascar a bénéficié d'un investissement qui se situait à 323 millions de dollars US à la fin de 2021. Même si les Comores se situent à l'écart de la Route de la Soie, plusieurs projets dans les secteurs des télécommunications, portuaires, des énergies renouvelables, des routes ont bénéficié des financements chinois.

De par sa situation géographique, entre l'Afrique et l'Asie, une île Maurice participant à cette initiative aurait sans doute bénéficié d'importantes retombées. Des aides chinoises de la Banque de développement de Chine et de la Banque d'import-export ont prévu 100 milliards de dollars de prêts supplémentaires pour la réalisation de ce projet. Des fonds conséquents sont disponibles pour la modernisation des installations portuaires se situant sur le tracé de la route.

C'est très probablement une éventuelle présence chinoise dans un port aujourd'hui totalement contrôlé par eux qui a incité les Indiens à faire pression sur le gouvernement mauricien pour ne pas se joindre au projet chinois. Et la diplomatie mauricienne n'a pas su, ou n'a pas voulu, démontrer à Delhi que malgré leurs relations privilégiées, les intérêts de nos deux pays peuvent parfois être divergents. D'autant plus que ce n'est pas le premier projet chinois que Maurice a été contraint de boycotter sous influence indienne.

L'Inde a boycotté l'initiative de Beijing, à l'origine, parce que le tracé de la Route sur le corridor entre la Chine et le Pakistan passe par la région du Cachemire avec l'accord d'Islamabad alors que les deux nations se disputent la province depuis leur guerre en 1947. Pour Beijing cette route est particulièrement stratégique pour lui permettre d'acheminer ses produits directement jusqu'à l'océan Indien et le port de Gwadar au Pakistan. De plus, grâce à ce corridor la Chine s'assure d'un approvisionnement rapide en hydrocarbures en contournant le détroit de Malacca, point faible de l'expansion commerciale chinoise.

Plus largement, l'Inde se méfie de ce qu'elle qualifie d'«intrusion» de la Chine dans l'océan Indien qu'elle présente comme une stratégie géopolitique chinoise visant à son encerclement. Beijing s'en défend, nie toute visée militaire, et affirme que le projet est essentiellement un cadre de coopération internationale pour faciliter le commerce et la croissance économique. Mais l'Inde, les États-Unis et un certain nombre de pays occidentaux, dont la France, expriment toujours une forte méfiance à l'égard de cette nouvelle Chine, puissance industrielle et désormais puissance militaire.

Ce qui n'a pas empêché l'impulsion spectaculaire de la coopération sino-africaine. Elle se structure beaucoup autour du projet de la «Ceinture et la Route de la Soie». Les 44 pays africains participant au projet dont nos voisins de la COI, l'Afrique du Sud, le Kenya, le Mozambique, ont bénéficié, dans ce contexte, d'un large soutien financier se montant à plus de 60 milliards de dollars américains.

Ce financement comprend des crédits acheteurs préférentiels à l'exportation, ce qui dans le cadre de l'accord de libre-échange, aurait été profitable aux exportateurs mauriciens. Le boycott mauricien est d'autant plus stupide que la Chine est devenue le premier partenaire commercial et de développement de l'Afrique subsaharienne avec des échanges totalisant 170 milliards de dollars dont 24,1 milliards de dollars US sous forme d'investissement.

Un rapport publié par The Green Finance and Development Centre, un think tank indépendant chinois, attaché à l'université de Fudan, indique que 102 projets ont déjà été réalisés dans les pays ayant adhéré à l'initiative.

Au Forum de Beijing, le gouvernement chinois sera en mesure de présenter un impressionnant bilan de sa coopération avec les pays africains. Sous un vocable un peu lyrique et emphatique, «Pour construire ensemble une communauté d'avenir partagé Chine-Afrique dans la nouvelle ère», la Chine pourra démontrer combien le volume du commerce sinoafricain et les investissements chinois en Afrique ont connu une croissance soutenue. Elle pourra se féliciter de la réalisation extraordinaire d'un grand nombre de projets de connectivité infrastructurelle sur le continent - autoroutes, ponts, voies ferroviaires, ports, transmissions électriques. Un soutien financier massif qui a dopé la croissance économique de plusieurs pays.

En même temps, la Chine qui est en surcapacité industrielle, trouve de nouveaux marchés pour ses produits et obtient d'importants contrats pour ses entreprises.

Aux projets structurants qu'elle finance et qui s'harmonisent avec l'Agenda 2063 de l'Union africaine et le Programme de Développement durable des Nations unies, de nouveaux projets en matière de développement des énergies renouvelables, le solaire, l'éolien, sont en gestation.

Ces projets s'insèrent dans une stratégie dite «Vision 2035» de la Coopération Chine-Afrique. Il est prévu que la Chine financera en Afrique dix projets de développement vert, de protection environnementale et de lutte contre le changement climatique.

Dans le cadre de cette coopération sino-africaine, il y a également deux projets qui sont d'un intérêt direct pour Maurice. Il existe un programme pour la promotion du commerce et un autre pour la promotion de l'investissement.

En ce qui concerne la promotion commerciale, Beijing prévoit d'ouvrir des «corridors verts» pour l'exportation vers la Chine de produits agricoles africains, tout en accordant une ligne de financement du commerce extérieur de 10 milliards de dollars. C'est un projet qui s'insère toujours dans le cadre de l'initiative «Ceinture et Route de la Soie». Un programme de soutien en matière d'«ecommerce» aux petites et moyennes entreprises africaines a produit d'excellents résultats.

Les autorités chinoises affirment que ce programme de promotion commerciale devrait porter le volume des importations chinoises en provenance de l'Afrique à 300 milliards de dollars américains dans les deux ans à venir.

En termes de promotion de l'investissement, l'ambition chinoise est d'investir au moins 10 milliards de dollars américains en Afrique et de mettre en place une plateforme Chine-Afrique pour encourager des investissements privés.

Cette forte présence de la Chine en Afrique, l'ampleur des prêts consentis, les investissements de ses entreprises, son accès grandissant aux matières premières stratégiques du continent ont naturellement suscité des interrogations et des critiques. Les prêts accordés à 49 pays africains dépassent les 170 milliards de dollars. La Chine est devenue de ce fait la principale détentrice de la dette extérieure africaine, soit un tiers de la dette globale. Un certain nombre de pays, comme d'autres en Asie, éprouvent du mal à rembourser ces prêts. Ce qui a incité un groupe de réflexion indien à théoriser une «diplomatie du piège de la dette» qui postule que les prêts chinois pourraient piéger les pays africains en créant des niveaux de dettes insoutenables provoquant une perte de souveraineté.

Beijing récuse cette critique et souligne que nombre de prêts du secteur privé occidental contiennent les mêmes conditions. Il est vrai que souvent des prêts consentis par des pays tels que la Chine, l'Inde et quelques autres, et parfois des sociétés financières occidentales, le sont dans la confidentialité et l'opacité.

Il demeure que devant l'éventail et le volume des aides chinoises à destination des pays africains, leur contribution à la modernisation, au développement et à la croissance économique de ces pays, désormais plus importants que ceux de leurs partenaires traditionnels, la question est de savoir en quoi il est de l'intérêt de Maurice de continuer à boycotter l'initiative «Ceinture et Route de la Soie» qui est le fer de lance de la coopération sino-africaine.

Malgré l'excellence des relations indo-mauriciennes, Port-Louis n'a pas à se conduire en vassal diplomatique de New Delhi au prix des intérêts nationaux.

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