Ile Maurice: Richelieu - Désolation et destruction

À la rue Beethoven à Richelieu, face au jardin du quartier, les dégâts et traumatismes provoqués par les inondations de dimanche dernier ne se sont pas estompés. Une grande partie d'un mur s'est effondrée, ne pouvant retenir la pression des eaux accumulées. Résultat : plusieurs maisons inondées et des habitants qui ont failli se noyer s'ils n'avaient pas grimpé sur leur toit dans les minutes qui ont suivi. Témoignages poignants recueillis lors de notre reportage réalisé jeudi.

«Cette région a toujours connu des accumulations d'eau en général, étant donné qu'elle se trouve sur une pente descendante et que l'eau jaillit des régions avoisinantes plus élevées, traversant les rues et entrant dans quelques maisons», explique Patrick Conhye, 69 ans, qui gère son petit commerce devant sa maison à deux étages.

Cependant, «l'eau était absorbée par les terrains vagues et un drain existant et nous n'avons jamais été confrontés à des problèmes majeurs lorsqu'elle arrivait jusqu'ici. Au fil des ans, d'une part, des bâtiments privés ont été construits sur ces terrains, recouvrant le drain. La construction du dépôt du métro a aggravé le problème. D'autre part, aucun nouveau drain n'a été construit en parallèle. L'eau n'a donc nulle part où se disperser, arrivant avec force et en plus grand volume, inondant à chaque fois toutes les maisons», pointe-t-il.

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Dimanche dernier, c'était la goutte de trop. «J'ai entendu une forte explosion et j'ai cru que c'était le tonnerre», confie Patrick. Sauf que ce n'était pas le cas. Non loin de là, sur une hauteur et à proximité des maisons le long de la rue Beethoven, se trouve un vaste terrain agricole délimité par un mur en béton. «Ce terrain appartenant à l'Etat n'est pas horizontalement nivelé, toutes les eaux s'accumulent dans ce coin près de nos maisons. Pendant le cyclone Belal, l'eau s'est accumulée dans son enceinte et le mur s'est incliné. Nous craignions que la prochaine fois, il ne se brise. Or, cette fois-ci, le mur s'est effectivement effondré...» aux dires de la famille Conhye.

Résultat : la maison a été inondée en une minute, l'eau jaillissant violemment et détruisant tout sur son passage. Même les réfrigérateurs, les aliments et les fils électriques de son petit commerce n'ont pas été épargnés. «Ma femme était dans la cuisine. J'ai juste eu le temps de la ramener devant la maison et de tout laisser derrière moi, car le réfrigérateur a failli lui tomber dessus. (...) C'est un investissement d'une vie entière qui s'est perdu. Et si nous étions tués pendant cette inondation ?», raconte Patrick.

Vitres ont explosé

À côté, chez les Begue, une forte odeur de boue et d'humidité rend la respiration difficile. À l'intérieur : des traces de boue, des meubles et des appareils électroménagers de base endommagés, un toit en tôle défoncé, pas de nourriture, pas de meubles, des vitres qui ont explosé sous la pression des eaux. Anthony, la trentaine, employé dans le secteur privé, n'a pas pu se rendre à son travail cette semaine. «Je n'ai pas de vêtements propres à porter et nous avons nettoyé la maison plusieurs fois depuis. Des proches nous ont offert de la nourriture.» Ce qui était autrefois sa petite chambre bien aménagée n'est plus qu'un espace vide et sale.

«Pendant la journée, alors qu'il pleuvait sans cesse, j'ai déposé mes enfants et ma soeur chez ma grand-mère. Dans l'après-midi, j'ai entendu une forte explosion, pensant que le transformateur avait éclaté. Très vite, l'eau a jailli et je me suis précipité dehors. Elle m'est arrivée au niveau des hanches (...) Si c'était survenu la nuit pendant que nous dormions, je vous jure que nous serions tous morts.»

Même cri du coeur chez la famille Mazoue. «Quand l'eau est entrée, je me suis précipitée pour voir ma mère, âgée de 85 ans. Je l'ai emmenée vers la fenêtre et mon fils l'a attrapée, nous sommes tous passés par la fenêtre, nous avons grimpé sur le toit et nous sommes restés jusqu'à ce que le niveau de l'eau baisse.» Elle éclate en larmes. «Mo ti kwrar mo mama pou mort...Je n'ai même pas le courage d'ouvrir les placards endommagés car je sais que nous avons tout perdu», dit Marie Mazoue.

Chez les Fidele, même constat de désolation. «La direction du collège m'a appelé pour me demander de venir, j'ai porté des savates, un tee-shirt et un short. La direction me procure quelques livres gratuits, mais tout mon matériel, mes notes et mes chaussures sont abîmés. Je dois me préparer pour mes examens du National Certificate in Education et c'est stressant», relate Wayne, qui fréquente le collège St Mary's.

Mesures et aides insuffisantes

Les habitants déplorent l'absence d'infrastructures de drains adéquates et l'inaction des autorités. Ils affirment que le problème s'est aggravé après la construction de bâtiments sur des terrains vagues et l'arrivée du métro. «On bétonne et on n'aménage pas de drains, mais où l'eau ira-t-elle ? Ils ont juste fouillé un petit canal, il absorbe un peu d'eau pendant cinq minutes sous une pluie normale. (...) Nous avions alerté les autorités, y compris la police, sur le danger que représentait le mur. Rien n'a été fait.»

Des questions sur le montant insuffisant de l'aide sociale sont à nouveau soulevées. «Zot dedomaz loto apre inondasyion akoz bann gran avoka ek patron zot loto konserne (...) Des citoyens comme nous sont livrés à eux-mêmes alors que nous n'avons même pas de quoi manger. Quelles sont les priorités des dirigeants ?...» disent-ils.

Pour l'instant, une barrière métallique a été placée là où le mur délimitant ce terrain agricole s'est effondré. Nous avons sollicité le ministère de l'Agro-industrie pour en savoir plus sur cette situation. À l'heure où nous mettions sous presse, une réponse était toujours attendue.

Marie Mazoue a dû passer par la fenêtre et grimper sur le toit pour préserver sa vie.

Albion : «Nouveaux morcellements, pas de drain»

Prochain arrêt, morcellement de Chazal à Albion. Dimanche, ce quartier a été témoin de la montée spectaculaire des eaux boueuses. «Ce morcellement n'a pas connu d'accumulation d'eau, jusqu'à ce que d'autres morcellements soient récemment construits sur les terrains vagues plus élevés. En l'absence de drains adéquats, n'ayant nulle part où aller ou être absorbée, l'eau se retrouve dans les rues, inondant tout sur son passage. Cette année, lors du passage du cyclone Belal, cette ruelle a été inondée pour la première fois...» explique un homme habitant le morcellement depuis 2018.

L'un des principaux problèmes est que «le drain existant est trop petit. Les eaux provenant de deux canalisations se rejoignent à l'intersection et passent par ce seul drain. En cas de pluie normale, il n'y a pas de problème. Cependant, les pluies torrentielles provoquent de gros volumes d'eau. Du coup, l'eau jaillit à travers les ruelles», souligne notre interlocuteur. Madame Petit, résidant ce lieu pendant douze ans, relate que «suite à l'accumulation d'eau lors du passage du cyclone Belal qui a entraîné des dégâts mineurs sur la route, des travaux de réparation des voies ainsi que le changement des tuyaux d'eau sont en cours. Le hic est qu'ils peuvent prendre huit mois et qu'à mi-parcours, une inondation survient à nouveau, ce qui entraîne plus de dégâts».

Port-Louis : Des familles au bord du précipice

Les familles vivant à Port-Louis dont les maisons se sont effondrées et fissurées dans la nuit du dimanche 21 avril par le mauvais temps font face à une situation troublante. Elles ont tout perdu du jour au lendemain. Toutefois, elles nous disent être rassurées par les réunions qui ont eu lieu avec les autorités concernant un relogement.

Selon nos informations, les Ramsahye, ceux dont la maison a été effondrée sont hébergés chez des membres de la famille. Akshay Dindoyal nous a également indiqué qu'il est avec sa famille à Tranquebar chez des proches. Il nous confie qu'il y a du stress. «Nous avons le soutien des autorités pour un relogement. Mais nous n'arrivons pas à trouver de maison à Port-Louis. De plus, nous aimerions récupérer nos effets de valeur. Nous comprenons toutefois que cela pourrait représenter un danger de les récupérer.»

Kelwin Kanhye est aussi rassuré concernant un relogement. «Les réunions que nous avons eues avec les autorités ont été cordiales. Nous habitons actuellement chez un ami. C'est la première fois que nous nous retrouvons dans une telle situation. J'ai dû enlever l'antivol pour faire sortir ma femme de la maison.» Nous avons essayé de parler à la Parliamentary Private Secretary Sandra Mayotte pour en savoir plus sur le relogement de ces familles, mais nous n'avons pas pu la joindre hier.

De plus, pour la famille qui habite juste à côté des Ramsahye dont la maison s'est effondrée, c'est aussi l'angoisse. Elle voit que le toit commence à se pencher en plus des murs fissurés. Wendy Andoo y habite avec son père et sa mère âgés. Elle estime que si la maison d'à côté s'est effondrée, le sol doit être instable. «Ma mère est malade et elle ne peut pas marcher. Nous demandons une inspection pour vérifier si c'est sécurisé de rester ou pas. De plus, nous n'avons nulle part où aller. Nous n'avons pas de famille ici. S'il faut bouger, il faut bouger.» Son père, Stellio Andoo, se sent en danger et dit que ce qui s'est passé est effrayant.

Même si leurs maisons ne se sont pas effondrées, d'autres riverains ont été affectés par les accumulations d'eau. Tel est le cas de Raj Moheeput, 70 ans. Sa maison est sens dessus dessous. «J'habite ici depuis plus de 50 ans. Je n'ai jamais vu tant de dégâts. Ma maison a été inondée mais tout est en place heureusement. J'ai perdu des choses comme de la nourriture quand l'eau est entrée. De plus, la maison a des fuites.» N'ayant pas les moyens de s'en charger, il cherche de l'aide pour refaire le toit de sa maison en tôle.

Autre quartier en souffrance

La situation n'est pas rose non plus à la rue Mgr Leen. Tout comme à Tranquebar, les travaux inachevés sont pointés du doigt. Des maisons situées à côté d'un cours d'eau se retrouvent au bord du précipice car le mur qui les protégeait s'est effondré sous la puissance de la pluie et des eaux qui sont descendues du ruisseau. Annick Mamode relate : «Après le passage du cyclone Belal, un trou s'est formé sur le pont et il a été endommagé. Avant ça, tout allait bien. Nous avons été pris au dépourvu. Lorsque le mur s'est effondré, cela a fait beaucoup de bruit. Nous avons dû courir dehors. Nous habitons ici depuis 50 ans.» Son époux Michael Mamode ajoute que les fondations de la maison sont désormais visibles. «Des officiers sont venus nous voir pour un relogement. Nous sommes d'accord pour déménager car nous ne sommes pas en sécurité ici. Toutefois, nous cherchons une maison dans les environs car mon épouse s'occupe de sa mère qui habite tout près.»

Oomar Boodoo, qui habite à deux pâtés de maison depuis 36 ans, explique que déménager est plus facile à dire qu'à faire. «Nous attendons de voir comment évoluera la situation. S'il y a d'autres catastrophes, nous devrons certainement déménager. Le gouvernement doit prendre des mesures pour que les gens ne soient pas en danger.»

Tout comme à Tranquebar, les travaux inachevés à la rue Mgr Leen sont pointés du doigt pour l'effondrement du mur.*

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