Madagascar: Le Premier Ministre non-officiel de Madagascar se prononce sur la crise malgache

28 Mars 2002

Washington, DC — Jacques Sylla, Premier Ministre désigné par le Président non-officiel de Madagascar, Marc Ravalomanana, a présenté le programme de son gouvernement devant l'Assemblée nationale, cette semaine, dans la capitale Antananarive. Entre temps, la crise politique entre Ravalomanana et le Président officiel Didier Ratsiraka continue de sévir au pays. Mardi, des forces loyales à Ratsiraka ont attaqué des partisans de l'opposition dans la ville de Fianarantsoa, au centre de Madagascar, avec des balles réelles et des grenades, faisant au moins quatre morts et une quarantaine de blessés. Dans un entretien exclusif avec AllAfrica.com, realisé au téléphone, Le Premier Ministre de Marc Ravalomanana revient sur les événements des dernières semaines.

Mr. Sylla, qu'elle est votre version de ce qui s'est passé à Fianarantsoa?

Il y a eu à Fianarantsoa une situation très désagréable. C'est à dire que nos partisans ont été kidnappés par le gouverneur et certains de ses collaborateurs. La foule a réagi. Elle s'est réunie sur la Grande Place. En suite elle a marché vers le palais du gouverneur où cinq de nos partisans étaient pris en ôtages et à partir de ce moment là les forces du gouverneur ont tiré sur la foule à balles réelles ainsi qu'avec des grenades. Il y eu donc des blessés et des morts. On parle de quatre à six morts et d'une quarantaine de blessés. Il est toujours difficile de faire un bilan précis, mais nous avons envoyé une délégation qui est actuellement sur place et qui dès demain, 28 mars, nous fera un rapport complet sur ce qui s'est réellement passé.

Faites nous le point sur ce qui se passe dans les autres provinces, en dehors de la capitale Antananarivo qui, selon les nouvelles, est sous le contrôle de votre gouvernement. Est-ce que le pouvoir du Président en exercice, Didier Ratsirka, qui apparemment contrôle son propre fief de Tamatave, s'étend à d'autres provinces du pays?

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Non, l'ancien Président ne contrôle pas les autres provinces. Je voudrais tout d'abord rappeler qu'en décembre 2001, il a y eu des élections et, même d'après les résultats fournis par les partisans de l'ancien Président, c'est le candidat Mark Ravalomanana qui a remporté la première place avec, pour eux, 46,15% des voix. Pour nous, nous avons gagné avec plus de 52% des voix. Donc nous contrôlons la majorité des voix même dans les autres provinces. Mais l'ancien Président se déplace avec sa guarde prétorienne. C'est pour ça qu'il peut se déplacer dans les autres provinces, alors que nous, actuellement, nous évitons de le faire pour que le sang ne coule pas. Mois même, je me suis déplacé dans d'autres provinces. Mais nous le faisons avec une certaine réserve et une certaine précaution pour qu'il n' y ait pas de heurts majeurs, pour ne pas faire couler le sang.

Lundi, des soldats toujours loyaux à Ratsiraka ont essayé de prendre le Palais de l'Assemblée nationale avant d'être empêchés par les partisans de Ravalomanana. Ce développemnt est significatif dans le sens qu'il montre que, contrairement à ce qui s'est dit sur le soutien de l'armée à votre gouvernement, les militaires sont encore divisés. Qu'est ce que vous pourriez nous dire sur ce point?

La majorité de l'armée est en faveur du résultat du scrutin de décembre 2001. Donc elle est en faveur du Président Marc Ravalomanana. Ceci dit, les postes de commandements ont été vérouillés par les gens de l'Amiral [Didier Ratsiraka] mais malgré cela, l'armée reste neutre. C'est ainsi que nous nous sommes rendus à l'Assemblée nationale cette semaine pour la présentation du programme de l'Etat. Au départ, une partie de l'armée s'est déplacée mais quand elle a vu que la population gardait l'Assemblée nationale, elle s'est retirée tranquillement sans qu'il y ait aucun heurt. Nous, malgaches, sommes aussi des Asiatiques. Nous tenons à certaines formes. Et l'armée à réagi pour la forme. Mais quand elle s'est aperçue que la population était là, qu'elle soutenait le Président Marc Ravalomanana et qu'elle tenait à ce que le gouvernement que je dirige présente son programme à l'Assemblée nationale, elle s'est retiré. L'armée est donc restée dans sa neutralité.

Mais il y a eu des analyses disant que les officiers qui soutiennent Marc Ravalomanana ne contrôlent pas les armureries et que celles-ci sont contrôlées par des officiers toujours loyaux à Ratsiraka. Cette analyse est-elle correcte?

Non, cette analyse est partielle, donc partiale. En fait, l'armée reste neutre et ceux qui contrôlent les armureries ne sont ni pour l'un ni pour l'autre. C'est à dire qu'ils ne se manifestent pas pour l'un ou pour l'autre. Sinon, l'un ou l'autre aurait déjà remporté la victoire depuis longtemps. Mais avec des effusions de sang. Nous ne contrôlons pas les armureries - et nous ne cherchons pas à le faire - mais l'Amiral non plus, sinon il aurait utilisé des armes contre nous et il aurait invahi la province d'Antananarive.

Justement, il y a quelques semaines, des nouvelles en provenance de Tamatave ont parlé d'un avion algérien qui aurait attéri à l'aéroport de la ville et qui, selon les Algériens, transportait du matériel pour faire monter une station privée de radio et de télévision. Cepandant, vos partisans, exprimant des doutes, ont dit que l'avion transportait aussi des armes destinées à Ratsiraka. Est ce que votre camp a enquêté sur cette affaire?

Oui. L'Amiral, ne contrôlant pas l'armée et ne contrôlant pas les postes de commandes dont dépendent les armureries, a été obligé de faire venir des mercenaires de l'extérieur afin de former sa guarde prétorienne et ses milices. C'est la raison pour laquelle il y a eu effectivement un avion en provenance de l'Algérie qui a transporté du matériel audiovisuel mais également des uniformes et des armes, selon les informations que nous avons obtenues, pour former la milice de l'Amiral. Si vous voulez, l'armée restant neutre actuellement, l'Amiral est en train de se constituer une milice pour essayer de réagir.

Quelle issue envisagez-vous donc à cette crise?

La crise politique actuelle peut se dénouer par le dialogue si l'ancien président accepte de démissionner et de se retirer, parce qu'il a perdu les elections et que le peuple ne veut plus de lui. C'est une possibilité. Nous pensons que c'est la meilleur possibilité et, en tout cas, la possibilités la plus démocratique et la plus républicaine. S'il refuse cela, et c'est là la seconde option, nous allons avancer progressivement vers un nouveau scrutin, un référendum, pour donner à nouveau la parole au peuple et pour assoir notre légitimté et notre legalité.

En ce qui concerne la première option, vous dites qu'elle est la plus démocratique et la plus républicaine. Mais est-elle probable?

Il est difficile de se prononcer là-dessus. Il est regrettable qu'un ancien chef de l'Etat qui a dirigé le pays pendant plus de 25 ans et qui l'a amené au KO, ne se rende pas compte actuellement qu'il est rejeté par l'ensemble de la population. Nous pensons que la première option est encore possible. Naturellement, il y a de gros intérêts en jeu. Mais si la communauté internationale apportait son poids à la volonté populaire Malgache, nous pensons que cela est tout à fait réalisable.

Votre camp avait déjà annoncé que l'idée du second tour, decrété par la Haute Cour, et appuyée par la communauté internationale, y compris l'Organisation de l'Unité africaine (OUA), n'est plus envisageable pour vous dans l'état actuel des choses. Par contre, vous avez avancé l'idée d'une consultation référendaire. Vous avez reçu une mission de l'OUA qui, depuis le début de la crise, essait de maintenir un dialogue entre les deux présidents. Est ce que l'idée du référendum a été présentée à Ratsiraka par cette mission?

Très certainement puisque quand cette mission est arrivée, elle l' a d'abord rencontré puis elle est venue vers nous et nous lui avons demandé si l'autre partie, l'ancien Président, avait fait des propositions. Elle a répondu que non et qu'il attendait nos propositions. Et nous avons fait des proposition à cette mission de l'OUA, nous avons évoqué le référendum. Donc, forcément, elle a transmis cette proposition à l'ancien Président.

Est ce que vous avez reçu une réponse à cette proposition?

Nous n'avons reçu aucune réponse positive. Mais nous espérons qu'il est en train d'étudier cette possibilité s'il veut vraiment faire un dialogue ou alors qu'il fasse une proposition propre à lui. Pour qu'un dialogue puisse s'instaurer et avancer d'une manière positive, il faut des propositions et des contre-propositions.

Vous êtes Premier Ministre mais vous détenez également le portefeuille de ministre des affaires étrangères. Pourquoi ce cumul de mandats?

En raison de la situation confuse actuelle, la communauté internationale s'interroge autant sur la réalité des pouvoirs prétendus de l'ancien président que sur les notres. Nous avons donc décidé de ne pas distinguer la primature des affaires étrangères. Nous pensons que dans l'état actuel des chose, il est préférable que ce soit un même titulaire qui s'occupe et de la primature et des affaires étrangères.

Est ce que vous trouvez que la communauté internationale est toujours 'équivoque' envers ce qui ce passe à Madagascar? Par exemple, la France, ancienne puissance coloniale dans l'ile, n'était pas en faveur de l'auto-proclamation de Marc Ravalomanana au départ bien qu'elle aurait modifié cette position par la suite. Est ce que vous pourriez nous faire le point sur la position actuelle de Paris?

Chaque pays a sa politique. Chaque Etat est souverain. Vous avez évoqué la France. Nous savons tous que la France est actuellement entrée en campagne présidentielle. Donc une période extrêmement sensible. Il est certain que dans ces conditions, elle ne prendra position que quand les choses se seraient précisées sur le front interne français ainsi que sur le front interne malgache. Mais, vous savez, la position de la France à beaucoup évolué depuis le début de la crise. Elle ne parle plus de second tour mais de referendum. Le Premier Ministre français, Lionel Jospin, a parlé, lui aussi, de référendum, lors de son passage à l'île de la Réunion, et non de deuxième tour.

Pour ce qui est du programme gouvernemental que vous avez présenté à l'Assemblée nationale malgache cette semaine, vous dites dans la section sur la santé, à titre d'exemple, que chaque malgache doit avoir les moyens de s'offrir un traitement adéquat à des prix abordables. Comment entendez vous financer ce programme étant donné que les finances du pays sont loins d'être en bon état en raison des grêves que connait le pays depuis plusieurs mois? Comment répondez-vous à vos détracteurs qui déjà vous reprochent de faire du 'populisme'.

Chaque fois qu'on s'intéresse à la majorité de la population, on parle de populisme. Le Président Marc Ravalomanana s'intéresse lui aussi au sort de la majorité de la population. Ce n'est pas faire du populisme que de dire qu'il faut orienter l'ensemble du programme gouvernemental vers l'amélioration des conditions de vie de cette population. L'ancien gouvernement de l'Amiral déclarait que l'inflation était devenu une inflation à un seul chiffre, que le taux de croissance était très fort et qu'il tournait autour de 6,7% par an et ainsi de suite, alors que la population ne ressentait pas ces prétendus effets positifs. Pourquoi? Parce qu'une oligarchie a accaparé les richesses du pays. Nous, notre programme sera basé sur les politiques de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption que l'ancien pouvoir a cultivé jusqu'à des sommets qui restent inégalés aujourd'hui. Nous allons aussi nous concentrer sur l'education et la santé.

Mais l'argent pour financer ce programme, où est ce que vous entendez aller le chercher, surtout, comme il a déjà été indiqué, que les travailleurs sont en grêve depuis plusieurs mois?

Les impots ne sont pas rentrés parce que les employés étaient en grêve mais la situation va devenir normale, les exportations vont se faire et nous allons financer l'exécution de notre programme comme tout autre gouvernement avec les recettes fiscales de l'Etat. Ensuite, nous avancerons grâce au soutien et à l'aide de la communauté internationale.

Avez vous fait recours alors à la Banque mondiale ou au Fonds monétaire international?

Non, dans l'état actuel des choses on ne peut demander aucune aide. Vous savez, il y a le principe de la continuité de l'Etat. Donc nous continuons les anciens projets alors on a aucun problème particulier de ce point de vue là. Naturellement, dans le contexte actuel, [les institutions financières internationales] s'interrogent et se posent certaines questions concernant la situation qui reigne à Madagascar mais jusqu'à ce jour les choses continuent comme auparavant.

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