Angola: Général "Gato": reconstruire l'Angola en un pays plus équitable

19 Juin 2002

Dans la seconde et dernière partie de l'interview accordé à Ofeibea Quist-Arcton, le général Paulo Lukamba Gato, le dirigeant par intérim de l'Unita, l'ancien mouvement rebelle de l'Angola, parle des effets et conséquences de la mort de Jonas Savimbi ainsi que l'interminable guerre civile en Angola. Il parle aussi de la stratégie politique de l'Unita, en tant que premier parti d'opposition en Angola et des possibilités de l'Unita dans les prochaines élections prévues en 2002.

Vous étiez côte à côte avec le vice Ministre des Affaires étrangères, Georges Chikoti, à Washington. Il dit qu'il ne faut pas aller trop vite aux élections. Quelle est l'opinion de l'Unita sur ce point? Quelle date proposez-vous pour la tenue des élections?

La dernière réunion du parti au pouvoir a fixé l'année 2004 comme année probable pour la tenue des élections.

Est-ce une date réaliste?

Cela dépendra de la situation, mais nous ne faisons aucune confusion entre démocratie et élections. Donc ce qu'il faut maintenant en Angola c'est plutôt l'approfondissement de la démocratie. C'est créer les conditions politiques, psychologiques et morales pour que les Angolais puissent enfin vivre une nouvelle phase de leur histoire. Les élections sont un acte dans ce processus. C'est pour cela que nous disons que oui, c'est très important d'avoir des élections mais il faut, avant tout, que la démocratie s'approfondisse dans notre pays et j'appelle l'approfondissement de la démocratie la capacité que les partis politiques ont d'intervenir en toute liberté et en toute indépendance dans la vie politique nationale.

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Alors, l'essentiel c'est de tenir des élections crédibles?

Tout à fait. Il faut créer des mécanismes qui permettront d'inscrire les élections dans un cadre plus large, dans un processus électoral vérifiable pour qu'on puisse à la fin reconnaître, quelque soit le résultat, que le processus a été libre et juste.

Alors vous envisagez ces élections pour quand, 2004, 2005, 2006?

2004 c'est une bonne date de référence, mais ça va dépendre de la dynamique politique actuelle, de quelle ouverture le gouvernement va entreprendre pour que les partis politiques puissent avoir une grande capacité d'intervention. C'est ça l'essentiel; quel est le rôle de la société civile? Quel est le rôle de la presse indépendante? Ces trois ou quatre questions qui feront qu'à la fin on va dire qu'il y a eu un processus équitable et transparent surtout qui permettra de juger la justesse de l'acte électoral.

Dans le passé, l'Unita a dit qu'il y a des régions, surtout les régions des Ovimbundu (l'ethnie du feu chef de l'Unita Jonas Savimbi) qui ont été marginalisées par le gouvernement du MPLA à Luanda. Quel est votre message au gouvernement concernant cette question?

Notre message est clair. Maintenant que la guerre est finie, il faut reconstruire le pays sur une base d'équité, il faut reconstruire l'infrastructure, surtout les routes, les ponts. Il faut une redistribution juste des ressources du pays. Il faut une redistribution de fonds sur une base de justice pour que tout le pays puisse bénéficier du budget du pays. Nous vivons dans un pays où plus de 75% de la population vivait dans le milieu rural. Donc il faut travailler très sérieusement pour le développement de ce qu'on appelle le pays profond. Donc il faut aller jusqu'a ce qu'ils appelaient dans le passé colonial " les terres de la fin du monde " où il y a aussi des angolais qui doivent bénéficier des ressources que le pays possède. Il faut proposer aux angolais un projet de société qui est plus englobant et qui prend en considération pas seulement la côte maritime, mais aussi l'intérieur du pays.

Est-ce là un défi pour le gouvernement ou un avertissement?

C'est plutôt un devoir. C'est un devoir de tout gouvernement digne de ce nom. La guerre est finie mais il y a t'il un programme pour la paix? Qu'est ce qu'on va faire avec la paix que nous avons maintenant? Est-ce que le gouvernement est capable d'agir? S'il n'est pas capable de le faire, je pense que l'Unita est quand même à la hauteur de pouvoir proposer un programme aux Angolais qui tiennent le pays en considération en toute sa totalité.

Est-ce que vous voyez l'Unita comme une opposition digne et vocale au gouvernement du MPLA après les élections ou bien comme un vainqueur des élections prévues?

Nous sommes un parti historique qui aura bientôt 37 ans. Le parti le plus vieux chez nous à 40 ans. Donc, nous avons acquis une longue expérience dans cette matière et nous sommes à la hauteur de pouvoir proposer une alternative aux angolais. C'est vrai que nous allons faire d'ici-là une opposition constructive mais notre objectif c'est de pouvoir donner le coup d'envoi d'un processus d'alternance dans notre pays, et ce n'est pas du tout exclu, surtout que les Angolais sont fatigués de la guerre. Le gouvernement a son image complètement usée, depuis 27 ans d'un gouvernement catastrophique. Je pense qu'il y a une chance que les Angolais se retrouvent dans une nouvelle phase avec des nouveaux visages aussi dans la politique.

Croyez-vous que l'Unita peut gagner une élection libre en Angola?

Cela va dépendre de notre capacité de pouvoir mobiliser les femmes et les hommes angolais autour d'un programme capable de faire la différence. C'est pour cela qu'on dit que nous sommes convaincus qu'en cas d'élections justes et libres, l'Unita sera l'alternative au gouvernement actuel.

Est-ce que vous croyez que les Angolais, qui ne sont pas avec l'Unita, vous voient comme la partie belligérante qui a prolongé la guerre et que, par conséquent, quand ils vont voter, ils ne vous donneront pas leurs voix?

On n'a pas l'intention d'officialiser la bipolarisation de la vie politique angolaise mais pour longtemps encore, les Angolais vont vivre avec ces deux parties, le MPLA et l'Unita, qui vont dominer la scène politique angolaise. Cela est un fait historique pas une invention. L'Unita n'a pas encore été au gouvernement. On juge les dirigeants en fonction de leur performance dans la gestion de la chose publique. C'est pour cela que nous disons que les angolais vont donner une chance à une nouvelle équipe de dirigeants pour pouvoir appliquer leur projet de société proposé aux angolais, une autre façon de gèrer la politique et la chose publique, dans la transparence et dans l'égalité des opportunités pour tous.

Vous pensez alors que, aux urnes, l'image de l'Unita comme un parti de guerre n'ira pas contre vous?

Non, je ne pense pas. L'Unita n'a pas fait la guerre pour faire la guerre. Elle n'a pas non plus fait la guerre toute seule. Pour faire la guerre, il faut au moins deux belligerants. Donc ça porte préjudice à l'Unita, ça porte aussi préjudice à l'autre. Mais comme l'Unita n'a pas encore été aux affaires, ça sera l'opportunité pour qu'elle montre aux Angolais ce qu'elle est capable de faire.

Après tant d'années dans le maquis -- il y a même des gens qui disent que Jonas Savimbi était obsédé par un désir d'être président, de gouverner le pays, d'être le chef à Luanda -- est-ce que les combattants vous demandent si la guerre vraiment valait la peine?

Tout à fait, c'était important. L'histoire de l'humanité c'est l'histoire de la guerre, malheureusement. C'est ça l'histoire. Pour nous, la guerre a joué son rôle. C'est un rôle destructif toujours, mais la guerre a valu la peine, ne serait ce que pour qu'on puisse arriver à la conclusion que plus jamais ça dans notre pays. Voilà !

Quand Jonas Savimbi est mort, vous étiez soulagé ou est-ce que ça vous a fait de la peine? Est-ce que vous avez poussé un cri de soulagement en vous disant qu'avec la mort de Savimbi, l'Unita pourrait maintenant arrêter de se battre et avancer vers la paix?

Ecoutez, quand t'on perd un homme, c'est toujours douloureux. Mais quand t'on perd un chef, c'est dramatique. C'etait un drame. La mort de Savimbi était un drame. C'était une tragédie. Il a fallu se ressaisir très rapidement pour pouvoir poursuivre le long chemin que nous avons entamé ensemble depuis trente six ans. C'est pour cela que nous disons que oui, que ça a été difficile mais petit à petit on se ressaisit. On amène le parti à la raison pour qu'on puisse poursuivre le chemin, pour qu'on puisse poursuivre le programme du parti par d'autres moyens. Les moyens politiques.

Alors c'était le soulagement, la douleur ou bien les deux à la fois?

C'était la douleur, c'était la tragédie. C'était catastrophique. C'était difficile, dur à gérer. Quand on perd un homme c'est toujours dommage, c'est regrettable. Mais quand on perd un chef avec qui vous avez fait a peu près un chemin d'a peu près 30 ans c'est difficile a gérer. C'est pour cela que nous avons dit, oui, il faut se ressaisir vite. Il faut vite se ressaisir pour pouvoir poursuivre.

Mais certains disent que seule la mort de Savimbi a pu permettre à l'Unita d'avancer dans le processus de paix, de quitter le maquis et d'essayer de faire la paix en Angola...

Non, après avoir retrouvé la raison nous avons dis: "Alors, qu'est ce qu'on va faire maintenant?". Nous avions deux choix. Soit poursuivre la guerre ou bien entamer la négociation. Nous avons jugé que nous avions d'autres options, mais nous avons fait le meilleur choix.

Mais quand Jonas Savimbi était encore en vie, est-ce qu'il y avait un choix?

Certainement et Savimbi était prêt. J'étais au sud de Malange quand il m'a appelé le 10 septembre dernier pour venir à sa rencontre pour me dire qu'il y avait de nouveaux développements dans la situation politique de notre pays. "Il y a des choses que je vais discuter avec les cadres, donc venez me voir." Donc, après avoir appris de mes collegues de quels developpements il s'agissait, ils m'ont dit qu'ils étaient en contact avec des gens dans la communauté internationale. Il y avait des gens qui savaient que le Président Savimbi avait entamé des démarches en vue d'une solution politique du conflit et c'est pour cela que ca n'a pas été difficile pour moi de faire le choix. Nous avons seulement suivi la ligne que lui-même avait envisagée un an avant sa mort.

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