Washington, DC — Dans son dernier film intitulé, 'Minority Report', le cinéaste Steven Spielberg décrit une politique " d'action préventive " qui se déroule en 2054. Mais il n'est pas nécessaire de scruter le futur pour déceler le mal que des service de renseignements faibles et le manque de moral peuvent causer. La politique des Etats-Unis, pendant la guerre froide, en fournit plusieurs exemples tragiques. Parmi eux, nous pouvons citer la complicité des Etats-Unis dans le renversement du gouvernement congolais et le meurtre du premier ministre Patrice Lumumba.
Lumumba, le seul leader politique a avoir été élu démocratiquement au Congo -il y a de cela quarante et un ans- a été livré à ces ennemis, torturé et exécuté de manière sommaire. Depuis lors, son pays a été pillé par le régime de Mobutu Sésé Seko soutenu par les Etats-Unis et ruiné aussi bien par la guerre civile que régionale.
L'explication la plus commune, sur la mort de Lumumba, est qu'il a été assassiné par des opposants congolais après que les Etats-Unis aient d'abord essayé de le tuer. Y compris par un complot qui consistait à injecter du poison dans sa nourriture ou dans son dentifrice. Tous ces plans vont échouer. En 1975, le " Church Committee " du Sénat américain avait mené une enquête sur les complots d'assassinat de la CIA et a conclu qu'il n y avait pas de " preuve de la participation de la CIA sur ce qui a provoqué la mort da Lumumba ".
Il n'en est rien. J'ai obtenu des documents top secrets du gouvernement américain, comprenant une chronologie d'opérations secrètes approuvées par le Conseil de Sécurité National, qui démontrent la participation des Etats-Unis et leur grande responsabilité dans la mort de Lumumba, l'homme perçu par le gouvernement de Eisenhower comme un Fidel Castro africain. Les documents montrent que les principaux leaders congolais qui ont provoqué la chute de Lumumba étaient des acteurs dans le " Project Wizard ", un programme d'actions secret mené par la CIA. Des centaines de milliers de dollars et du matériel militaire étaient canalisés vers ces fonctionnaires, qui ont informé leur financier - la CIA- avant de mettre à exécution leur plan d'envoyer Lumumba dans les griffes de ses pires ennemis. De nouveaux détails montrent que les Etats-Unis avaient autorisé des paiements au président d'alors, Joseph Kasavubu, quatre jours avant l'éviction de Lumumba, et qu'ils avaient fourni de l'argent et des armes à Mobutu, l'homme fort de l'armée, afin qu'il combatte contre les forces pro-Lumumba. Les Etats Unis ont aussi aidé à choisir et à financer un gouvernement anti-Lumumba, et trois semaines à peine après sa mort, les Etats-Unis ont autorisé le décaissement de nouveaux fonds en faveur des personnes qui ont favorisé l'assassinat de Lumumba.
De plus, ces documents montrent que toutes ces actions ont été approuvées dans les plus hautes sphères de l'administration de Eisenhower, soit le Conseil de Sécurité National, soit le " Special Group ", composé du conseiller national à la sécurité, du directeur de la CIA, du sous-secrétaire d'état aux affaires politiques et du secrétaire adjoint à la défense.
Ces faits sont anciens de quatre décennies, mais méritent d'être mis à jour pour deux raisons. La première, le Congo (connu pendant des années sous le nom de Zaire) lutte toujours pour établir la démocratie et la stabilité dans son pays. En faisant face à son rôle passé qui a consisté à saper la démocratie naissante au Congo, les Etats-Unis pourraient déjà contribuer au futur du Congo. La deuxième raison c'est que la performance des Etats-Unis au Congo a un rapport avec notre lutte contre le terrorisme. Elle montre ce qui peut arriver quand, dans la quête d'une sécurité nationale, on abandonne les principes démocratiques et les règles de droit pour lesquelles on se bat.
Au mois de février, la Belgique, l'ancien pays colonisateur du Congo, a publié un rapport de mille page qui admet " une part irréfutable de responsabilité dans les événements qui ont conduit à la mort de Lumumba ". Contrairement à la Belgique, les Etats-Unis n'ont pas reconnu une telle responsabilité. A travers des années, les intellectuels (y compris moi même) et les journalistes ont écrit que la politique américaine a joué un grand rôle dans l'éviction et l'assassinat de Lumumba. Mais l'intégralité de l'histoire est demeurée cachée dans les documents américains, qui comme ceux que j'ai eu à examiner, demeurent encore secrets malgré la fin de la guerre froide et aussi la fin du régime de Mobutu et même malgré l'aveu de la Belgique.
Voilà ce que ces documents disent, que jusqu'à présent, nous ne savions pas, ou nous ne savions avec certitude: " en août 1960, la CIA crée Project Wizard " . Le Congo est indépendant depuis seulement un mois et Lumumba, un fervent nationaliste, est devenu premier ministre, avec une pluralité de siéges au Parlement. Mais Jonh F Kennedy, le candidat aux élections présidentielles américaines faisait le vux de relever " le défi communiste " et le Conseil de Sécurité National de Eisenhower s'inquiétait que Lumumba basculât dans le camp des Soviétiques.
Les documents américains montrent que pendant les mois qui suivirent, la CIA a fait travailler et payer huit hauts fonctionnaires congolais - y compris le président Kasavubu, Mobutu (alors chef d'état-major de l'armée), le ministre des Affaires Etrangères Justin Bomboko, le conseiller financier Albert Ndele, le président du Sénat Joseph Ileo, et le leader syndical Cyrille Adoula- qui ont tous joué un rôle dans la chute de Lumumba.
La CIA se joint à un plan, ourdi par la Belgique, et détaillé dans le rapport publié par la Belgique. Ce plan consistait à ce que Ileo et Adoula organisent une motion de censure du gouvernement de Lumumba, suivie de manifestations syndicales, de la démission des ministres (organisée par Ndele) et enfin du licenciement de Lumumba par Kasavubu.
" Le 1 septembre, le Groupe Spécial du Conseil de Sécurité National, autorise des paiements à Kasavubu, par la CIA ", rapportent les documents américains. Le 5 septembre, Kasavubu vire Lumumba dans un décret à la légalité incertaine. Cependant, Kasavubu et son nouveau premier ministre, Ileo, se montrent mous par rapport aux évenements de la semaine suivante avec les sympathisants de Lumumba. C'est ainsi que Mobutu s'empare du pouvoir le 14 septembre. Il garde Kasavubu comme président et établit un " collège de commissaires " temporaire pour remplacer le gouvernement dissout.
" La CIA a financé ce collège et a usé de son influence sur la sélection de ses membres " Celui -ci était dominé par deux participants aux Project Wizard : son président, Bomboko et le vice-président Ndele. Un autre allié de la CIA, Victor Nendaka, dissident du parti lumumbiste est nommé chef de la sécurité et de la police.
" Le 27 octobre, le Special Group approuve la demande de 250000 dollars faite par la CIA pour gagner l'appui du parlement en faveur du gouvernement de Mobutu ". Cependant quand les législateurs refusent l'approbation d'un premier ministre autre que Lumumba, le parlement fut fermé. L'argent de la CIA est allé à Mobutu et aux membres de la commission.
" Le 20 novembre, le Special Group autorise la CIA à fournir des armes, des munitions, du matériel de sabotage et d'entraînement aux militaires de Mobotu, au cas ou ils auraient à faire face aux forces pro-Lumumba.
L'étendue exacte de ce que le document américain appelle la relation " intime " entre la CIA et les leaders congolais est absente dans le rapport du " Church Committee ". La seule opération (à part les complots d'assassinat) dont ce comité a discuté porte sur la plan d'août 1960 pour promouvoir une opposition syndicale et une motion de censure du Sénat au gouvernement de Lumumba. Après avoir été évincé le 5 septembre, Lumumba bénéficie de l'appui du parlement et de la communauté internationale. Quand Mobutu prend le pouvoir, les troupes des Nations-Unies protégent Lumumba, mais bientôt le confinent en résidence surveillée. Lumumba s'échappe le 27 novembre. Quelques jours plus tard, il est capturé par les troupes de Mobutu, battu et mis aux arrêts.
Ce qui arrivera ensuite est désormais clair grâce au rapport publié par la Belgique et les documents secrets américains. Dès la veille de Noël 1960, le collège dirigée par le président Bomboko avait offert de donner Lumumba à deux dirigeants sécessionnistes qui avaient fait vux de le tuer. L'un déclina l'offre et rien ne se passa jusqu'à la mi-janvier 1961, quand la position politique et militaire du gouvernement central se détériora et que les troupes qui gardaient Lumumba (alors emprisonné sur dans une base militaire près de la capitale) se révoltèrent. La CIA et d'autres fonctionnaires occidentaux présents sur place eurent peur d'un retour de Lumumba au pouvoir.
Le 14 janvier, les membres du collège demandent à Kasavubu de transférer Lumumba vers un " endroit plus sur ". " Il n y a aucun doute ", conclut l'enquete publiée par la Belgique que Mobutu était d'accord. Kasavubu ordonna à Nendaka, le chef de la sécurité de transférer Lumumba dans l'une des forteresses sécessionnistes. Le 17 janvier, Nendaka envoya Lumumba dans la région du Katanga. Cette nuit là, Lumumba et deux de ses collègues furent torturés et exécutés en présence des membres du gouvernement du Katanga. Aucune annonce officielle ne sera faite pendant quatre semaines.
Qu'a dit le gouvernement américain à ses clients congolais lors des trois derniers jours de vie de Lumumba? Le " Church Committee " a rendu compte dans son rapport qu'un " membre du gouvernement congolais " a averti Larry Devlin, le chef de poste de la CIA au Congo, que le 14 janvier, Lumumba allait être envoyé en dans le " fief " de ses ennemis jurés. Cependant, toujours selon le " Church Committee " ainsi que des documents dé classifiés, ni la CIA, ni l'ambassade des Etats-Unis n'ont essayé de sauver l'ancien premier ministre.
La CIA n'aurait pas pu exercer un contrôle mécanique sur l'action de ses agents, mais la non remise en question par Devlin ou de l'ambassade des Etats-Unis du plan de transfert de Lumumba ne pouvait être perçu par les congolais que comme une complicité. Après tout, les actions secrètes de la CIAavaient permis à ce groupe d'obtenir un pouvoir politique, et la CIA avait travaillé de août à novembre 1960 sur l'assassinat ou l'enlèvement de Lumumba.
A ce stade, les documents secrets américains fournissent un important éclairage. Le 11 février 1961, au moment ou tous les rapports américains sur le Congo indiquaient fortement que Lumumba était mort, le Special Group autorise 500000 dollars en faveur d'actions politiques, de paiement des troupes et d'équipement de matériel militaire, en grande partie réservée aux personnes qui avaient organisé le meurtre de Lumumba.
Devlin a essayé de prendre ses distances vis à vis de la mort de Lumumba. Pendant que la CIA était en contact étroit avec les fonctionnaires congolais impliqués; Devlin affirmait au " Church Committee " que ces fonctionnaires " n'agissaient pas sous les instructions de la CIA si, en effet, ils est prouvé qu'il ont organisé l'assassinat ". Dans une conversation téléphonique récente avec Devlin, j'ai posé la question de la responsabilité américaine dans la mort de Lumumba. Il a reconnu que " il était important aux yeux des responsables congolais qui ont coopéré de savoir ce que le gouvernement américain pensait ". Mais il a affirmé qu' 'il ne se " souvenait " pas avoir été informé du transfert de Lumumba. Devlin a ajouté que même s'il avait émis une objection, " cela ne les aurait pas empêché de le faire ".
En se dérobant de sa part de responsabilité morale sur le sort de Lumumba, les Etats-Unis brouillent l'histoire entre l'Afrique et l'Amérique et évitent ainsi le besoin de faire réparation pour les méfaits d'hier. En 1997, après la chute du régime de Mobutu, l'opposition démocratique congolaise a supplié en vain pour un appui aussi bien américain qu'international. Depuis lors, près de 3 millions de vies ont été perdues à cause aussi bien de la guerre civile que du conflit régional. Les Etat-Unis n'ont pas soutenu une force de maintien de la paix des Nations-Unies ou stimulé une transition démocratique. L'échec des négociations d'avril 2002 entre les factions congolaises menace de ranimer le conflit et de ratifier le partage du pays.
Les actions de notre gouvernement au Congo, il y a quatre décennies revêtent aussi une signification spéciale après la tragédie du 11 septembre. Elles montrent que même si nous défendons, avec raison, notre terre et notre peuple contre le terrorisme, nous devons éviter l'excès de peur et de zèle qui mène à une intervention destructive qui trahit la plupart de nos principes fondamentaux.
Dr Weissman est l'auteur de " A Culture of Deference; Congress's Failure of Leadership in Foreign Policy " (Basic Books). Il a été Haut fonctionnaire au US House of Representatives Sub committe on Africa de 1986 à 1991. Il a publié cet article dans la section Outlook du Washington Post, l'a mis a la disposition de allAfrica.com pour publication.