Abidjan — Quatre semaines après le soulèvement en Cote d'Ivoire, le président ivoirien Laurent Gbagbo parle.
Dans une interview accordée à nos consoeurs du Figaro de Paris, Caroline Dumay et Anne Boher, ainsi qu'à l'envoyée spéciale d'allAfrica.com, Ofeibea Quist-Arcton, le dirigeant de Cote d'Ivoire révèle que son gouvernement était au courant du fait qu'une mutinerie devenue coup d'Etat des "assaillants" se préparait.
Il donne son point de vue sur la crise actuelle en Cote d'Ivoire, sur la médiation de la CEDEAO, et sur l'avenir de son pays. Mais tout d'abord, Laurent Gbagbo donne le point sur les affrontements entre forces loyalistes et forces rebelles et la réponse de son gouvernement.
Extraits de l'interview, qui s'est déroulée à la résidence présidentielle à Abidjan.
Vous avez dit lors de votre dernière adresse à la nation qu'il faudrait en finir vite, par la paix ou par la guerre. Vous le maintenez ?
Aujourd'hui encore plus qu'hier. Nous avons choisi la voie de la négociation, et nous la privilégions encore. Sinon, ce n'était pas la peine d'aller à Accra (au sommet extraordinaire de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) le 29 septembre 2002 au Ghana). Nous attendons toujours la signature des assaillants sur les propositions de la CEDEAO, et que nous-mêmes nous avons accepté. Ou bien c'est du dilatoire ou bien c'est un approfondissement de la situation. Dans tous les cas, moi j'ai une opinion publique et une armée à gérer. Je ne peux pas suivre éternellement les rumeurs et les humeurs. Je souhaite qu'ils prennent vite leurs responsabilités, et qu'on en finisse une fois pour toutes !
Mais lundi, les mutins ont été très clairs. Ils ont annoncé au cours d'une conférence de presse qu'ils arrêtaient toute négociation...
Mais ils ne m'ont pas dit cela à moi ! Il faut séparer ce qui se dit à la presse et ce qu'on dit aux envoyés de la CEDEAO. Moi, je sais les deux. J'attends par voie diplomatique une réponse plus claire. Même si c'est cela, j'attends qu'ils le disent aux envoyés de la CEDEAO, et on en tirera les leçons.
S'ils refusent de négocier, êtes vous prêt à la guerre ?
Il ne s'agit pas d'être prêts. S'ils refusent, on est condamné à faire la guerre. Nous, nous n'avons pas déclaré la guerre à un pays. On nous l'a imposé. Si la médiation échoue, je ne vais quand même pas laisser occuper une partie de mon territoire. S'ils refusent la médiation, je n'ai pas d'autre choix que de faire la bataille...
Les assaillants assurent que 500 angolais seraient sur votre territoire. Que répondez-vous à cette accusation ?
Ca ne peut pas être une accusation, en plus portée par des rebelles qui eux même recrutent des mercenaires, ça fait plutôt rire
Un Etat a le droit de signer des accords avec qui il veut. Ils parlent de 500 angolais, mais il y a aussi 600 français sur notre territoire. Je suis un Etat. J'ai le droit de signer avec qui je veux. Si je voulais demander à des soldats angolais, lilliputiens, georgiens, américains, nigérians ou autres de venir, j'en ai parfaitement le droit en tant qu'Etat souverain. Le problème n'est pas là.
Et pour les faits, il n'y a pas de soldats angolais ici.
Alors, pouvez vous nous préciser ce qui est venu de l'Angola ?
Il y a beaucoup de choses qui sont venus d'Angola. Il n'y a pas que l'Etat. En Angola, il y a des sociétés privées, notamment des sociétés qui vendent des armes, des munitions. C'est trop compliqué dans l'urgence de demander de l'aide via des Etats. Nous avons acheté des armes et des munitions au début de cette crise. Nous avons payé, et c'est maintenant que ces armes arrivent. C'est tout à fait privé, et c'est tout. Je ne vois pas le problème. Là où il faut acheter pour renforcer nos capacités, on le fait.
Et le véhicule blindé qui est tombé en panne vers Le Plateau ?
Le véhicule n'était pas en panne. Il a été arrêté parce que les policiers qui étaient sur la route n'avaient pas été avertis. On m'a appelé pour dire qu'on l'avait encerclé parce que la population de Marcory et de Treichville croyait que c'était encore un coup d'Etat et que c'était des assaillants. On en a acheté un certain nombre. D'autres vont arriver ce n'est pas du tout le dernier.
La France a encore une foi appelé a un " cessez-le-feu immédiat ", qu'en pensez-vous ?
Ce n'est pas la France qui est agressée. Nos amis nous aident. Si elle veut nous aider, elle nous aide. Ce n'est pas elle qui est agressée, c'est nous. Je ne répondrais pas au nom de la France. Je ne suis pas chef d'Etat français.
Est-ce que l'Etat a été surpris par la rébellion ?
Toujours un sentiment de surprise, mais on savait qu'un coup de grande envergure se préparait. On savait que les premières cibles seraient les domiciles de (feu le ministre de l'Intérieur) Maître Emile Boga Doudou et de (l'ex ministre de la Défense) Moise Lida Kouassi. C'était écrit par tous les renseignements généraux. Sur le fonds, on n'est pas surpris, mais sur le moment et le lieu, on a essayé de prendre nos dispositions, mais on ne savait pas du tout pour quand. Ces gens complotent depuis un an, depuis janvier 2001.
Nous avons été informés il y a quelques mois qu'un coup se préparait. A partir du 10 août, la DST a arrêté une trentaine de personnes. Leurs déclarations à la police ont montré les implications de certaines personnes. Notre police procède comme toutes les polices du monde quand il y a une attaque. Ceux contre lesquelles elle n'a pas de preuves formelles elles les relâchent.
Près d'un mois après le coup d'Etat, on ne sait toujours pas qui attaque aujourd'hui le pouvoir à Abidjan. Le savez vous ?
En 1914 on a parlé de la "drôle de guerre". L'expression vaut aussi pour 2002 en Côte d'Ivoire. On imagine bien qu'il y a autre chose que les caporaux ou les sergents qui sont au front. Nous, pour l'instant, on se bat contre ceux qui sont armés. Pour l'instant, notre problème c'est eux. Ils ont deux caractéristiques. Ce sont des petits soldats. Le plus gradé doit être adjudant, je crois. Deuxième chose, ils sont partis en exil avant que je n'arrive au pouvoir. Je n'ai même pas de problème personnel avec eux. Ce n'est pas moi qui les ais fait partir. Ils sont partis avant le 22 octobre 2000, date des élections en Côte d'Ivoire. Tuho Fozié, par exemple, est parti le 9 octobre. J'ai prêté serment le 26 octobre.
Ils disent que la négociation va échouer parce qu'on ne peut pas avoir confiance en vous, que Gbagbo doit partir, que Gbagbo n'est pas sincère ?
Mais est-ce que moi j'ai dit que j'ai confiance en eux ? Ce sont des déserteurs, après tout. Ils ont participé au coup d'Etat de 99. Ils ont mis un de leurs champions au pouvoir. Mais quand ils ont vu que (feu le Général Robert) Gueï prenait goût à la chose, ils ont essayé de le dégommer. Gueï les a fait juger et condamner. Je ne comprends pas pourquoi ils s'en prennent à moi. C'est vraiment kafkaïen ! Pourquoi ?
Avez vous les preuves d'une agression extérieure ?
L'extérieur est impliqué par le fait que ces déserteurs vivaient dans un pays, s'y entraînaient, recrutaient dans toute la sous région. C'est cela que nous appelons l'implication. Si cela ne suffit pas, alors je ne sais pas ce qu'on nous demande...
Certains disent qu'il faudra peut être choisir entre sauver Gbagbo ou sauver la Côte d'Ivoire, accepteriez vous de démissionner pour sauver le pays ?
Le pays n'est pas en danger. Il est menacé par des déserteurs, qui ont réussi, qui sont partis, je ne sais pas trop ou et comment, qui ont acheté les armes et ont recruté des mercenaires.. Notre seul devoir est de nous défendre. Je ne comprends pas comment ces petits soldats, qui ont misé sur le mauvais cheval à un moment donné, puissent poser des exigences. C'est évident qu'on ne peut pas rester les bras croisés !
Cette guerre laissera des traces indélébiles dans le pays. Craignez-vous une partition nord-sud en Cote d'Ivoire?
Il n'y aura pas de partition nord-sud. Ni les intellectuels, ni les paysans ne proclameront une sécession. Il n'y aura pas de partition nord sud , ni de sécession. Oui, cette guerre laissera des traces négatives, mais elle renforcera aussi le sentiment national. Certains comprendront qu'il vaut mieux une dispute dans un Etat qui tienne debout que de s'amuser à la guerre. Les ivoiriens comprendront que la guerre n'est pas un jeu.