Paris, France — Deux semaines après la tentative de " putsch " en Mauritanie, les autorités locales font comme si rien ne s'était passé. Pourtant, le coup de force devrait constituer un avertissement au pays et inciter à " plus " de démocratie.
Nous avions l'exemple de la Côte d'Ivoire. " La vitrine ", disait-on, de l'Afrique francophone. Un pays naguère prospère que rien ne semblait pouvoir ébranler alors que la plupart de ses voisins sombraient ou dans des guerres civiles ou dans un cycle infernal de coups d'Etat militaires. Et pourtant, à la fin des années 1990, l'exception ivoirienne se volatilisa, piétinée par un quatuor assoiffé de pouvoir nommé Bédié-Gueï-Ouattara-Gbagbo. Dorénavant, à l'énigme ivoirienne il faudra rajouter la surprise mauritanienne.
La tentative sanglante de coup d'Etat qui secoua la République Islamique de Mauritanie les 7 et 8 juin derniers n'a été pronostiquée par personne. Je ne parle pas des autorités locales qui à l'évidence n'ont rien vu venir, mais des observateurs et des chancelleries étrangères basés dans ce pays. Tous, au contraire, louaient la stabilité et les performances économiques du pouvoir en place.
Sur le plan économique d'abord, les institutions financières internationales ne tarissaient pas d'éloge à l'égard de la Mauritanie. Ce pays a une croissance annuelle de 4,5%. Il a maîtrisé son inflation. Les bailleurs de fonds y injectent annuellement 1,5 milliards de dollars. Il a des réserves de change qui lui permettent huit mois continus d'importation. Enfin, la récente découverte de gisements pétroliers offrait de nouvelles perspectives à ce pays peuplé de seulement 2,5 millions d'habitants.
Côté politique, l'actuel Président Maouya Ould Sid'Ahmed Taya est en place depuis dix neuf ans. Militaire de carrière, arrivé au pouvoir à la faveur d'un coup d'Etat le 12 décembre 1984, Ould Taya troqua son treillis contre un costume civil en 1991. Depuis, plusieurs élections présidentielles, parlementaires et municipales ont été tenues. (Je détaillerai plus tard dans quelles conditions). Alors, comment un pays à tel dessein a-t-il pu vivre une tentative de coup d'Etat aussi sanglante que celle du 7 juin ? Comment un groupe d'officiers a pu ébranler un régime dont l'obsession première a été la stabilité du pays ? L'analyse des causes de ce putsch manqué révèle d'abord que le " bien-être " économique ne met pas à l'abri des destabilisations. Que le " jeu démocratique " n'a pas été dans ce pays une garantie contre les coups de force. Nous reviendrons sur ce qui a mené la Mauritanie à ignorer un mal sournois, celui-là même qui a accouché des mutins du 7 juin 2003.
36 heures de vacance de pouvoir
Nouakchott, nuit de samedi 7 à dimanche 8 juin, il est près de 1 heure du matin. Les portes de la Caserne des blindés de la capitale mauritanienne s'ouvrent pour laisser sortir une quinzaine de chars. Une trentaine d'officiers commence là l'exécution d'un plan
préparé depuis plusieurs mois. C'est le coup d'envoi d'une tentative de coup d'Etat visant à renverser le Président Ould Taya. Ces officiers en veulent au régime en place pour deux raisons essentielles : sa trop grande proximité avec les Etats-Unis et sa relation diplomatique avec l'Etat d'Israël. Ce sont tous de jeunes nationalistes arabes, adeptes de l'arabisme révolutionnaire de l'égyptien Nasser. Ils enrôleront pour leur projet de prise de pouvoir quelques dizaines d'autres soldats et feront appel à un ex-colonel pour les diriger.
L'ancien colonel Saleh Ould Hannene ne se fait pas prier. Il a été radié de l'armée et limogé de son poste de commandant de ce même régiment des blindés en septembre 2000, après avoir critiqué publiquement, entre autres, le choix du pouvoir de reconnaître Israël.
La caserne du régiment des blindés est située à seulement quatre kilomètres à vol d'oiseau du coeur de la capitale Nouakchott. Là, se concentrent tous les centres névralgiques de la République. Les véhicules blindés ne mettront alors que quelques minutes avant d'encercler leurs objectifs : le palais présidentiel, l'état-major militaire, les sièges de la radio et de la télévision.
Les putschistes avaient pris la décision d'éliminer physiquement le Président. Ils n'arriveront pas à le localiser. Ils voulaient donner le choix aux commandants des différents corps de l'armée de composer avec eux. A défaut de les suivre, ils les élimineraient. C'est ce qui arriva au chef d'état-major de l'armée de terre dont le bureau fut pulvérisé par un tir de char. Les mutins avaient pourtant parié sur un ralliement rapide des militaires.
En dehors du bataillon de la sécurité présidentielle (Basep) constitué d'hommes totalement dévolus au Président, les putchistes étaient persuadés que " personne ne mourra pour Ould Taya ". Cette projection s'avérera fausse. Une erreur de jugement qui leur sera fatale. Quinze heures seulement après le début de la tentative de coup d'Etat, des renforts viendront de l'intérieur du pays. La rébellion sera définitivement écrasée le lundi 9 juin à la mi-journée. Les combats furent sanglants. Jusqu'à présent, aucun bilan officiel n'a été établi. Le pouvoir a eu chaud ! Pendant trente six heures, il a vacillé.
Double choix pour Ould Taya
Dans une Afrique exsangue, la stabilité est un luxe. Pays aux composantes ethniques multiples, la Mauritanie connaît également une stratification sociale forte. Les Noirs se sentent dominés par une population arabo-berbère qui elle-même n'arrive pas à dépasser les logiques régionales et tribales. La réussite de l'actuel pouvoir est d'avoir épargné à la Mauritanie un basculement dans des règlements de comptes au sein de sa population. Un calcul heureux pour certains, pour d'autres il est prétexte pour le pouvoir de freiner l'instauration d'un vrai jeu démocratique. Pis, pour les partis d'opposition, le Président Ould Taya ne sera jamais un démocrate. Il truque les élections et confisque en fait le pouvoir. Au sommet de sa contestation dans le milieu des années 1990, une partie de l'opposition ira jusqu'à appeler au renversement par les armes de l'actuel régime. Pour autant, le 7 juin ne constitue pas un écho à cet appel car les partis d'opposition n'en ont pas été informés.
Quoi qu'en dit le pouvoir, la tentative du 7 juin constitue un fait sans précédent en Mauritanie. Jamais, en Mauritanie une telle détermination n'est apparue dans l'attitude d'officiers prêts à en découdre avec le pouvoir. En cela, elle constitue même un avertissement pour tout le pays. Enfin, elle offre deux alternatives au gouvernement en place et au Président Ould Taya. Celui-ci pourra parfaitement recouvrer ses relents de militaire et faire un retour en arrière et gommer toutes les dernières avancées. Et là, il tomberait dans un travers voulu par ses détracteurs. Le second choix serait d'ouvrir davantage le jeu démocratique et d'y associer tous les acteurs politiques. Le pouvoir se constituerait ainsi un paravent contre toutes les tentatives de prise illégale de pouvoir. Ce paravent sera tout simplement: la démocratie.