Guinée: Mory Kanté au pays de l'Oncle Sam

19 Janvier 2005
interview

Mory Kanté est un chanteur de renomée internationale, originaire de Guinée. De passage aux Etats-Unis où il devait participer au Fest 2005 à New York, il a accordé une interview à l'équipe AllAfrica . Il relate dans cet entretien, plusieurs aspects de sa vie en tant qu'artiste, grand promoteur culturel africain, mais aussi comme ambassadeur de la FAO...

Mr Kanté, pouvez-vous nous parler de vos débuts dans la musique?

Ce fut tout naturel, comme tout enfant africain né dans une famille de musicien, donc d'une famille culturellement installée. Je crois que le debut a été très significatif, tant sur le plan éducatif et culturel que sur le plan spirituel. Donc j'ai reçu des formations qu'il faut pour devenir un griot! Donc pour devenir griot, il y a beaucoup d'aléas. Par exemple moi j'ai fait l'école de la tradition orale avec mes parents. Ce qui est extraordinnaire quand même, c'est tout cequi m'a guidé à pouvoir avancer.

Il est difficile pour les artistes africains aujourd'hui de "percer", sur la scène internationale. Quel est selon vous la meilleure façon d'y parvenir? Faut-il comme vous se coller à la tradition africaine ou bien s'ouvrir aux rythmes occidentaux comme les artistes Youssou Ndour du Sénégal, Manou Dibango du Cameroun... parmi tant d'autres?

Moi je suis passé par tous les créneaux! Donc j'ai fait la musique authentique africaine et moderne africaine. Ca veut dire qu'on ne peut rien faire sans les deux si vraiment on veut s'initier à ce chemin. Il y a d'abord beaucoup de travail, beaucoup d'abnégation... il y a beaucoup d'amour du travail, il y a beaucoup de recherche. Il faut avoir une certaine connaissance de la musique traditionnelle pour pouvoir se dire musicien africain! Et puis pour faire un peu ce que nous avons fait, il y a beaucoup de chemin. On dit chez nous que "L'oiseau a beaucoup de chemins dans le ciel." Je crois que le plus important est d'y aboutir. Donc en un mot, il faut beaucoup de travail, ça c'est sûr.

Pensez-vous que la musique peut aider à promouvoir la paix en Afrique?

Ah oui! Voyez-vous, l'Afrique a une voie et celle-ci est taciturne. Et puis tout peuple qui a eu une digne civilisation quelque part est un peu plus majeure. L'Afrique a une grande chance, c'est que voyant le développement de ce monde actuel et comment se situe l'Afrique dans ce concensus de développement mondial, nous ne sommes même pas encore en voie de développement. Mais il y a une réalité qui fait que nous ayons, moyennant les souffrances, les guerres ethniques et tribales, l'incompréhension, la faim, les immigrés, beaucoup de problèmes. Malgré tout ça il y a quelque chose qui reste encore de véritable, c'est la culture africaine et cette culture nous aide beaucoup, en tout cas en ce qui nous concerne nous les Griots, notre choix c'est la paix. Un Griot ne peut pas chanter de la guerre! Ce n'est pas possible. Si nous optons pour une politique, c'est celle qui mène les peuples au bien être. Et la culture a un rôle essentiel car c'est le chemin le plus court dans la communication en Afrique, d'autant plus que notre culture n'est pas écrite et si elle l'est c'est qu'elle est récente. Je crois que la tradition orale a une place privilégiée dans la promotion de la paix.

Est-ce que vous aimez la politique?

La politique, c'est aux politiciens de la faire. Les musiciens doivent aussi s'impliquer dans la politique, mais notre politique est celle qui mène les peuples au bien être, à la vérité, à la réussite, aux performances, à l'amitié, à la fraternité, à l'égalité, à la promotion de la démocratie aussi. A la démocratie oui, mais il faut savoir que les pays africains c'est des jeunes nations par rapport aus autres grands pays comme les Etats-Unis et d'autres en Europe. Je crois que nous sommes sur une planète appelée terre et c'est pour tout le monde. Vous voyez il y a encore des problèmes en Afrique que seule, elle ne peut pas supporter. Il y a le cours de l'histoire humaine, il y a le monde. On a divisé l'humanité en trois parties: il y a le monde développé, le moyennant développé et le tiers monde. Or nous sommes sur la même planète. C'est là où il y a le problème. Et l'instabilité en Afrique c'est aussi là le problème. Quand on parle de politique et de démocratisation, il faut parler de la réalité.

Vous pensez donc qu'il faut plus de solidarité?

Voilà! Où sommes-nous actuellement? Si on parle d'Afrique, c'est qu'il y a des africains! Donc il y a des problèmes à gérer.

Vous êtes Ambassadeur de la FAO depuis 2001. Qu'est-ce que cela vous a permis de faire pour l'Afrique en général et votre pays en particulier?

Cela m'a permis de réfléchir à certains problèmes de la vie, de la société humaine. Quand je pense à la faim, nous les Africains nous savons ce que veut dire avoir faim! Ca nous le savons. Et l'homme qui a faim n'est pas libre. C'est un problème crucial. Si nous demandons de l'aide, des gens diront du n'importe quoi. Mais il faut demander de l'aide. L'entraide et l'humanité c'est quoi? Pour moi ce qu'on aime c'est l'individu. Quand on a mal au doigt, tout le corps ressent la douleur. Vous voyez les grands cataclysmes qui se font là, ce n'est que dans les pays pauvres! Et quand ça se passe les pays les plus grands, les pays les moyenement grands, au nom du développement tout le monde se lève. Il y a quelque chose qui fait que nous soyons des hommes, des êtres humains. C'est donc dans ce sens que ça m'a aidé d'être à la FAO. L'assistance aux autres.

Et concrètement, qu'avez-vous fait?

Je viens de faire un titre appelé " Djou" , l'ennemi, pour dire aux gens que la faim existe et ça n'arrive pas seulement qu'aux autres. Je crois dans cette chanson j'ai tout expliqué ceque avoir faim peut faire à l'individu humain. C'est terrible. Avant de parler de quoi que ce soit pour un être humain, c'est d'abord le manger. Ca fait partir des besoins primordiaux. Quand on peut manger à sa faim, c'est le premier pas vers la liberté. Et je dénonce aussi quand par exemple il y a des aides dans les pays africains et dans d'autres, ceux qui prennent cela pour vendre ou pour leurs propres fins. Les necessiteux n'ont rien. En tout cas on a tout fait, on s'est battu même en Scandinavie j'ai fait des concerts et les organisateurs de concerts qui me donnent une partie de leurs entrées pour remettre à la FAO.

Est-ce que vous faites vous même des concerts pour lever des fonds au compte de la FAO?

Ah Oui, plusieurs fois!

Vous êtes à New York pour participer au FEST 2005. Qu'est-ce que ça représente pour vous?

Il est temps! D'autant plus que l'album est classé sur Amazon.com comme meilleur album de la musique internationale et je pense que c'est mérité.

Vous avez eu une carrière remarquable, vous restez parmi les plus grands porteurs du flambeau de la culture africaine au niveau international . Lorsque vous regardez votre carrière en arrière, et toute votre vie artistique, que vous dites-vous?

Quand je regarde ma vie, je trouve que je ne suis pas trop pressé. Je suis a l'aise, je ne me presse pas, je vais à mon pas . Quand je travaille, c'est derrière une option. Je ne travaille pas pas pour rien. Quand je fais un album, c'est avec un projet artistique. Donc je vois que le bilan est positif s'il faut tirer un bilan, car aujourd'hui beaucoup d'artistes africains et européens jouent la cora et ça j'en suis heureux! J'ai ouvert une brèche pour la musique africaine sur le monde en quelque sorte. Et ça je suis très très heureux que jusqu'a présent je joue encore, je tourne bien à travers le monde, j'ai mon public, j'ai mon monde, et je l'ai fait non seulement pour moi mais pour la musique africaine aussi. C'est pourquoi le travail est dur. Mais toujours ils faut faire quelque chose pour aider aussi les autres. C'est très important et c'est l'histoire de Mory Kanté (rires)

Et la retraite. S'annonce-t-elle à l'horizon ou alors ça peut encore attendre?

Ah! Moi je jouerai la cora jusqu'à l'âge de 90 ans (rires) Je veux être le "vieux joueur de cora", sinon le plus vieux au monde.

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