Washington, DC — Constance Berry Newman, le numéro un des affaires africaines au Département d'Etat américain, aurait présenté sa démission, selon de nombreuses sources sous condition d'anonymat.
Ces mêmes sources affirment que l'actuel Secrétaire d'Etat, Condoleeza Rice, aurait choisi Jendayi Frazer, une de ses anciennes collaboratrices à l'époque où elle travaillait à la Maison Blanche, en remplacement de Newman comme Secrétaire d'Etat Déléguée aux Affaires africaines. Frazer est actuellement en poste comme ambassadeur des Etats-Unis en Afrique du Sud.
Aucune confirmation officielle n'a encore été formulée concernant le départ de Newman, qui du reste n'est pas censé être immédiat.
Son remplaçant devra faire face à des situations urgentes de conflit et de maladie en Afrique, ainsi qu'à une pression croissante de la Grande-Bretagne, le plus proche allié de Washington, visant à plus d'efforts en vue de la promotion du développement économique sur le continent.
Des spéculations sur la nomination de Frazer à un haut poste au sein du Département d'Etat commencèrent à circuler dès Janvier dernier, lorsque Rice succéda à Colin Powell comme Secrétaire d'Etat.
Auparavant, Frazer avait travaillé près de quatre ans sous la supervision de Rice à la Maison Blanche comme Assistante Spéciale du Président et Haute Directrice des Affaires Africaines au Conseil National de Sécurité, avant de devenir ambassadeur en août dernier. Frazer est aussi une protégée de Rice de longue date, ayant notamment obtenu son Doctorat en sciences politiques à l'Université de Stanford, où Rice fut professeur et plus tard Recteur. Frazer est également détentrice d'un B.A. et de deux Masters de la même université.
Frazer était déjà en poste en Afrique du Sud depuis cinq mois lorsque Rice devint Secrétaire d'Etat; et selon des proches, elle aurait aimé accomplir beaucoup à ce poste.
Comme ambassadeur, elle a maintenu un agenda actif, comprenant entre autres des déplacements vers des écoles, le lancement de programmes de traitement du Vih/Sida, ainsi que des discours lors de diverses rencontres à travers le pays.
Lors d'un discours a l'Institut Sud-Africain des Relations Internationales en février dernier à Johannesburg, Frazer avait déclaré qu'elle s'attendait à ce que la politique africaine du deuxième mandat du Président Bush soit "caractérisée par la continuité", ce qui à ses yeux "est une bonne nouvelle pour le continent africain".
Résumant les directives qu'elle avait contribué à élaborer alors qu'elle était encore au Conseil National de Sécurité, Frazer déclara: "Sous la direction du Président Bush, les Etats-Unis ont développé des partenariats sérieux avec les pays africains; notre assistance au développement a également été élevée à plus de son double; et nos relations commerciales se sont en même temps intensifiées. Cet engagement profond reflète le dévouement personnel du Président à l'Afrique, et cela illustre aussi qu'il comprend que ce qui se passe en Afrique a de l'importance pour les Etats-Unis. C'est un élément clé dans la poursuite de notre stratégie globale".
Considérant le rôle d'avant-garde que Frazer a joué lors de la formulation et l'implémentation de cette stratégie, ainsi que ses liens personnels avec Rice, de nombreux observateurs étaient d'avis qu'elle serait de retour à Washington bien tôt, malgré l'apparente appréciation de son affectation en Afrique du Sud.
"Lorsque j'ai vu Jendayi ainsi que sa mère et sa soeur assises tout juste derrière Condi Rice lors des auditions sur la confirmation de Rice au Sénat en Janvier, j'ai su que quelque chose se tramait", confie Melvin Foote, directeur de Constituency for Africa, une organisation de soutien basée à Washington. "Pour moi cela représentait un signe que, encore une fois, Jendayi serait en train de jouer un plus grand rôle dans la politique africaine des Etats-Unis".
La confirmation de Rice marquait la deuxième fois dans des cabinets successifs que des femmes occupent simultanément les postes de Secrétaire d'Etat, Secrétaire d'Etat Délégué aux Affaires Africaines, et Haut Directeur pour l'Afrique au Conseil National de Sécurité. Auparavant, Susan Rice avait été Secrétaire Déléguée, Gayle Smith au Conseil National de Sécurité, et Madeleine Albright Secrétaire d'Etat sous le deuxième mandat de Bill Clinton.
L'arrivée de Condoleeza Rice, cependant, marque la toute première fois que des femmes Noir-Américaines occupent ces trois postes à la fois; ce qui continuera d'être le cas même lorsque Frazer remplacera Newman un peu plus tard cette année.
Newman, qui devint Secrétaire d'Etat Déléguée en Juin dernier après avoir dirigé le Bureau Afrique à l'Agence Américaine pour le Développement International, était en visite la semaine dernière en Afrique de l'Ouest, faisant escale tour à tour au Nigeria et en Cote d'Ivoire, où elle a rencontré le Président Gbagbo, à qui elle a notamment souligné le soutien américain pour l'effort de médiation de l'Union Africaine mené par le Président Sud-Africain Thabo Mbeki.
Le mois dernier, elle fut en visite au Malawi, en vue de marquer le soutien américain en faveur des reformes entreprises par le gouvernement de Lilongwe, en annonçant un don de 200.000 dollars pour l'agence anti-corruption du pays. Elle s'est également rendue au Mozambique, pour une rencontre avec le Président nouvellement élu, Armando Guebuza.
En février, Newman avait aussi tenu un conclave avec les ministres des affaires étrangères de l'Ouganda, du Rwanda et de la République Démocratique du Congo, dans l'espoir de calmer la tension croissante qui menace l'accord de paix du Congo.
"Je déteste voir Connie s'en aller", dit Anthony Carrol, un avocat de Washington avec de l'expérience en questions africaines. "Elle avait réussi à beaucoup faire sur une courte durée".
Des proches de Newman, en revanche, affirment qu'elle sentait qu'elle ne pouvait pas être totalement efficace sans la forte relation de travail qu'elle éprouvait lorsque Colin Powell était Secrétaire d'Etat. "Elle avait besoin de ressentir que la nouvelle équipe voulait qu'elle reste, mais elle n'a jamais reçu ce signal", confie un collaborateur.
Des sources gouvernementales affirment que Newman aurait présenté sa démission le mois dernier juste avant le départ de Condoleeza Rice pour l'Asie, et qu' elle aurait été acceptée.
Les rumeurs sur un retour de Frazer à un poste de haut niveau ont pour leur part généré des réactions favorables de la part de ceux qui travaillent activement aux affaires africaines.
Elle est largement louée aussi bien pour son énergie que pour son intellect, et elle est en même temps réputée pour avoir de bonnes relations personnelles avec le Président Bush et Condoleeza Rice.
"Il est évident qu'avoir une Secrétaire d'Etat Déléguée possédant une aura politique et l'accès au haut niveau sera bénéfique pour l'Afrique", dit Carroll.
"Jendayi est respectée aussi bien par les Démocrates que par les Républicains du fait de ses idées et de ses actions démontrées lors du premier mandat du Président Bush", ajouta Foote.
Fraser disait à son auditoire à Johannesburg en février que la stratégie sécuritaire de l'administration Bush pour l'Afrique met en relief "une approche stratégique très forte" plutôt qu'une politique premièrement orientée vers les crises.
Elle réitéra l'importance primordiale accordée aux sous-régions africaines, illustrée par l'aide accordée aux organisations sous-régionales et la mise en vedette des pays clés de chaque région, sur la base de la population et de la taille, ainsi que du pouvoir économique et de "la projection d'une influence diplomatique au moyen des opérations de maintien de la paix et de la médiation des conflits" en vue de se rapprocher des objectifs de la politique américaine.
Elle souligna que la démocratie demeure la première priorité de l'administration Bush, suivie de la sécurité, la lutte contre le Vih/Sida et l'aide en vue de l'expansion des opportunités économiques.
Citant le rôle clé que la promotion de la démocratie a occupe sur l'agenda du Président énuméré lors de son discours sur l'état de l'Union cette année, Frazer déclara: "Cela constitue une bonne nouvelle pour l'Afrique, vu qu'au cours de ces 15 dernières années, la liberté et la démocratie se sont répandues à travers le continent".
Sous l'administration Clinton, Frazer était membre du Conseil sur les Relations Internationales, où elle travaillait comme stratège politico-militaire avec les Chefs d'état-major au Pentagone. Ella a aussi travaillé comme Directeur de la Zone Afrique au sein du Conseil National de Sécurité, avant de devenir professeur assistant en politique publique à la faculté de Gouvernement de l'université de Harvard un peu plus tard.
A la Maison Blanche, elle a travaillé sous Gayle Smith qui, en tant que Haut Directeur pour l'Afrique au Conseil National de Sécurité, eu à faire face à la lourde tache qui consiste à insérer des questions africaines dans l'agenda chargé des relations internationales.
Smith affirme que Frazer devra confronter un travail avec de multiples besoins compétitifs, bon nombre d'entre lesquels exigeant une attention immédiate. Mais Smith voit en tout cela un moment d'opportunité.
"En ce moment les feux sont branchés sur l'Afrique, dit-elle; la crise au Darfour soudanais et le besoin d'une politique américaine efficace ontà juste titre saisi l'attention du public et figurent en priorité sur l'agenda du Congrès". Dans un tel climat, ajoute-t-elle, "le véritable défi pour la Secrétaire Déléguée consistera à agir sur les impératifs politique, moral et stratégique d'un engagement plus profond avec l'Afrique".
Actuellement le gouvernement américain travaille sur les préparatifs du Sommet du G8 (les 7 pays les plus avancés sur le plan économique et la Russie) en Ecosse du 6 au 8 Juin prochain, auquel participera le Président Bush.
La rencontre sera présidée par le Premier Ministre Tony Blair de la Grande Bretagne, qui assumera aussi, en Juillet, la présidence tournante du Conseil de l'Union Européenne (réunion des Chefs de gouvernement des 25 membres de l'Union, auxquels s'ajoutent les présidents français et finlandais).
La Grande Bretagne a placé l'Afrique au coeur de l'agenda de ces deux rencontres.
Le premier ministre britannique avait par ailleurs établi l'an dernier une Commission pour l'Afrique, communément appelée la Commission Blair. C'est un projet d'étude d'un an en vue de recommander des stratégies visant à sortir l'Afrique de sa situation d'extrême pauvreté.
Le rapport de la Commission, intitulé "Notre Intérêt Commun", a été publié au mois de mars. Il exhorte les membres du G8 à quadrupler leur aide pour le continent sur les cinq années à suivre; recommande une annulation de 100 pour cent de la dette africaine, tout en encourageant le remplacement des prêts par des dons; préconise la fin des subventions agricoles qui favorisent les producteurs occidentaux, et lance un appel pour le rapatriement des milliards de fonds détournés et actuellement saisis dans des banques occidentales.
Toujours d'après Smith, Frazer doit travailler de manière adroite au sein de l'administration et avec le Congrès en vue de l'élaboration d'une politique africaine efficace se basant sur les plans substantifs
pour le continent qui émergeront à l'issue de ces rencontres internationales.
"Il y a là une opportunité et une nécessité, dit Smith, de travailler sur une base bipartisane en vue d'apporter plus d'attention et de ressources sur la table, et j'espère qu'elle saisira cette opportunité".
*Traduit de l'anglais par François Gouahinga