Afrique de l'Ouest: Attirer les investisseurs américains en Afrique de l'Ouest : " Au-delà des barrières psychologiques et lingusitiques"

27 Juin 2005
interview

Baltimore — Défis et Perspectives de la Banque d'Investissement et de Développementde la Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)

Dans une interview accordée à Allafrica.com au sortir de sa participation au Sommet Economique Afrique-USA, Mr. Thierno Bocar Tall nous éclaire sur les perspectives de l'investissement américain en Afrique de l'Ouest et les défis que doit relever la Banque d'Investissement et de Développement pour lancer le financement privé pour le développement de la region. Portée de l'institution vue sous le jour de la mondialisation, défis et perspectives dans cette interview exclusive.

Thierno Bocar Tall, vous êtes directeur de la cellule NEPAD et de la mobilisation des ressources à la BIDC. Voulez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis Thierno Bocar Tall et je suis de nationalité sénégalaise. Je travaille à la CEDEAO depuis janvier 1985, à titre de fonctionnaire de la Banque, qui était auparavant le Fonds de la CEDEAO où j'occupais le poste d'analyste financier de projets. Je fus par la suite chef de division des procédures de frais et d'analyse des projets.

Ensuite, en décembre 1999, intervint la transformation qui fit du Fonds une Banque. Le Fonds, créé en 1975, avait en effet vécu, et les chefs d'Etats començaient à comprendre qu'il était nécessaire d'impliquer davantage le financement du secteur privé comme moteur de développement de nos Etats. Ils se sont donc dit, mieux vaut transformer le Fonds en une banque, qu'on appela la Banque d'Investissement et de Financement de la CEDEAO.

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La BIDC est donc une banque d'investissement. Mais quel rôle joue t'elle exactement au sein de l'espace CEDEAO ?

La BIDC, c'est la Banque de la CEDEAO, le bras financier de la communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Economic Community of West African States-ECOWAS en anglais). Nous avons pour vocation de financer l'intégration et le développement économique de nos Etats dans les secteurs tels que l'infrastructure, le développement économique, mais aussi le domaine social, l'éducation, la santé, la bonne gouvernance, le conseil en matière de négociations avec les bailleurs de fonds, etc tout en y impliquant le secteur privé. Voici l'importante innovation apportée par la Banque : le secteur public aussi bien que le secteur privé, sont concernés.

Mais d'une façon ramassée, notre objectif principal est de financer le développement et l'intégration économique des Etats membres de l'Afrique de l'Ouest qui sont au nombre de 15 : Burkina Faso, Cap Vert, Sénégal, Nigéria, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Libéria, Sierra Leone, Côte d'Ivoire, Ghana, Togo, Benin, Niger, Mali,

Pourquoi une Banque, plutot qu'un Fonds ?

Le Fonds de la CEDEAO avait une mission claire. Lorsque l'on créait la Communauté en 1975, on ne pouvait pas se déplacer de Dakar ni de Bamako à Lomé. Il n'y-avait pas de routes inter Etats. Je vous donne l'exemple de l'axe Accra-Lomé, villes séparées par juste 192 kilomètres. Mais pour téléphoner, il fallait nécessairement passer par Paris, Paris vous connecte à Londres, et Londres vous connecte à Accra. La première vocation du Fonds consista dès lors à assurer l'intégration physique de la sous-région, car pour réussir l'intégration, il faut d'abord qu'on s'intègre physiquement. Ainsi, dans le souci de nous intégrer physiquement, les Etats élaborèrent deux programmes majeurs. Le tout premier consistait à construire des routes, et dans ce cadre, on a développé ce que l'on appelle le réseau routier ouest-africian, avec un réseau côtier qui va de Dakar à Lagos en passant par la côte, et le réseau trans-sahélien qui va de Dakar en passant par Nouakchott jusqu'à Lagos à travers le Sahel, traversant ainsi le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Il s'y ajoute des routes de seconde génération qui relient les trois pays enclavés de la région (le Mali, le Burkina et le Niger) à la côte. Donc voilà le réseau long de plus de 8300 km que les Etats nous avaient demandé de construire. Avec nos partenaires, nous sommes arrivés à réaliser 86% du projet.

Tout cela s'est effectué dans le cadre du Fonds ?

Oui, cela était dans le cadre du Fond. Maintenant, le deuxième grand programme du Fonds était de relier les capitales des Etats par un réseau de communications. Il ne fallait plus passer par Londres ou Paris pour nous connecter. Alors, là aussi nous avons réussis. Toutes les capitales de nos Etats membres sont aujourd'hui reliées, et cela aussi, c'est le Fonds qui l'a réalisé.

Maintenant le Fonds ayant fini plus ou moins sa mission, on s'est dit qu'il fallait se transformer pour mieux s'adapter au nouveau contexte macro-économique, et faire entrer le privé. C'est fort de cette réalisation que nous avons créé la Banque d'Investissement et de Développement de la CEDEAO avec deux filiales : d'une part, une filiale qui ne s'occupe que du privé, que l'on appelle la Banque Régionale d'Investissement de la CEDEAO (BRIC) ; et d'autre part, une filiale qui ne fait que du public, et que l'on appelle le Fonds Régional de Développement de la CEDEAO (FRDC).

En ce qui concerne le capital, il s'élève à 750 millions de dollars. Pour donner plus dans le cadre de la globalisation et du partenariat avec les pays développés, nous avons ouvert le capital. Les Etats membres de la CEDEAO sont aujourd'hui actionnaires de la Banque pour les 2/3, soit $500 millions, et le tiers restant a été ouvert aux non-régionaux (toute institution ou pays ne faisant pas partie de la CEDEAO) à l'instar des pays de l'OCDE, la France et les Etats-Unis pour leur permettre, eux aussi, de participer à notre stratégie d'intégration et de développement économique. Ce partenariat nous permet de voir de quelle manière l'on peut mieux développer nos Etats dans l'intérêt de nos populations. Voici la vocation de la BIDC dans sa nouvelle structure.

Et la Banque existe depuis combien de temps ?

La Banque a été créée par les Etats d'Afrique de l'Ouest en décembre 1999, mais elle n'est devenue opérationnelle qu'en janvier 2003. Nous venons juste de démarrer mais nous travaillons dans le sens de la réalisation des programmes tels que fixés et définis par les chefs d'Etats de la Communauté.

Donc si je comprends bien, vous êtes une banque d'investissement et non une institution caritative, mais vous gardez tout de même un volet d'appui au développement. Comment jonglez vous ces deux rôles apparement aux antipodes ? Y a-t-il jamais des tirallements entre vos deux vocations ? Comment ceci se traduit-il au niveau des prêts octroyés pour les secteur privé et public : les taux d''intérêts sont-ils les mêmes pour le public et pour le privé ? Avez-vous des taux d'intérêts réduits pour les projets gouvernementaux ?

C'est dans le but de spécialiser les métiers que nous avons créé deux filiales. La filiale qui s'occupe du public octroie des prêts à des conditions dites concessionelles, qui respectent les conditions de l'IDA (International Development Agency de la Banque Mondiale) parce que chaque Etat doit avoir un taux de constitutionalité dans les prêts.

Donc nous, nous octroyons au niveau du FRDC environ 2,5% de taux d'intérêts, avec un différé de 5 ans et un remboursement sur 15 ans. Par contre au niveau du secteur privé, nous octroyons des prêts entre 5 et 10 ans, des taux d'intérêts qui tournent autour de 8 à 10%, avec un délai de remboursement de l'ordre de 3 ans. Voilà donc nos conditions d'octroi de prêts.

Cependant, tous les secteurs de développement économique sont éligibles. Surtout, nous développons ce que nous appelons le PPP-Public Private Partnership. Dans ce sense, nous accompagnons les entreprises et avons un projet de mise en place d'un système de notation en Afrique de l'Ouest, parce qu'il est essentiel de noter nos entreprises. Il faut que nos entreprises soient bien gérées, comme cela se fait sur le plan international. Mais pour cela, il est nécessaire que les entreprises acceptent d'être notées. A mon avis, voici le meilleur moyen d'attirer les investisseurs et de les rassurer.

Nous sommes présentement en phase de développement d'un programme avec l'ONUDI qui permettra aux entreprises d'être notées selon le même système que les entreprises multi-nationales, ce qui permettrait à chaque investisseur d'apprécier la rentabilité et la performance des entreprises pour pouvoir investir à moindre coût. Ce projet est en cours de développement à notre niveau.

Où s'inscrit donc dans votre mission ce Sommet Economique Afrique-USA qui vous a permis de cotoyer quatre jours durant avec des investisseurs américains ? Que leur avez-vous dit ? Quelles étaient vos attentes ? Ont-elles étaient satisfaites ?

Voilà encore une question très pertinente. Comme je l'ai dit, la CEDEAO est la seule banque qui couvre l'ensemble des pays d'Afrique de l'Ouest. J'ai fait une intervention le 23 juin pour dire que la BIDC est la fenêtre de l'Afrique de l'Ouest ; il suffit d'y mettre la tête pour voir tous les Etats membres. Donc l'espace est là, et les projets sont là. Nous avons un programme de 15 milliards de dollars qui couvre les routes, les télécommunications, l'énérgie et que nous devons réaliser dans les 15 ans à venir.

C'est ceci que j'ai dit aux partenaires américains dans le cadre de cette conférence. C'est bon d'aller de façon bilatérale mais il est mieux d'adopter une approche multilatérale, de coopérer avec une institution multilatérale qui puisse ouvrir les portes, minimiser le risque. Il est clair que lorsqu'on passe par une institution multilatérale, l'on minimise beaucoup plus le risque bilateral.

Ceci, ils l'ont compris et nous avons dans ce cadre conclu des accords avec des banques américaines, notamment avec Exim Bank (l'agence officielle d'export-import des Etats-Unis), et nous allons démarrer très bientôt cette coopération. Le défi que nous nous sommes fixé avec nos partenaires américains, et que nous-mêmes nous devons relever, c'est d'arriver à accroître dans au moins un ou deux ans le commerce entre les Etats-Unis et l'Afrique de l'Ouest à au moins de 5 à 10%.

Nous prévoyons ainsi d'organiser le 30 octobre une conférence sectorielle entre les institutions américaines de financement et de vente d'équippements et nos entreprises locales afin de leur montrer que les Etats-Unis ne sont pas aussi chers que nous le pensons, qu'il est possible et néecessaire d'aller au-delà des barrières psychologiques et linguistiques, et leur montrer les bénéfices de la coopération que nous avons nouée avec les Américains. Grâce à elle, nous pouvons leur accorder un financement en coopération avec les institutions financières américanes.

Donc au finish, nous avons obtenu des contacts qui nous l'espérons vivement s'inscriront dans la durée. Cela a été concluant, tout le monde est content, et nous repartons avec des contrats concrets soumis à Exim Bank qui les a accepté et que nous allons maintenant devoir démarrer.

Je profite de cette occasion pour lancer un appel à toutes les autres institutions américaines, notamment l'Opic, et leur adresser le message suivant : en coopérant avec la BIDC, vous allez minimiser du temps et du risque, pour la promotion du commerce. Parce que comme le disent les Américains, " at the end of the day, what are we looking for, if not the promotion of trade ? " Nous recherchons tous la promotion du commerce entre nos Etats, nos objectifs sont communs. Nous pouvons le faire, essayons donc de le faire ensemble.

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