Burundi: La nouvelle donne

Une femme à la tête de l'Assemblée nationale et futur président de la République issu de la rébellion. Le pays veut tourner une page de son histoire.

Une femme à la tête d'une institution parlementaire en Afrique noire francophone ; c'est possible. Le Burundi vient d'en donner l'exemple. Une femme, Immaculée Nahayo, membre du Conseil national pour la défense de la démocratie (Cndd-Fdd), a en effet été élue mardi présidente de l'Assemblée nationale du Burundi. Elle a été élue au premier tour avec 107 voix pour, 3 contre et 6 abstentions. Mme Nahayo qui est hutue doit certes son élection à son appartenance au Cndd - Fdd, parti issu de l'ex-principale rébellion du Burundi des Forces pour la défense de la démocratie (Fdd), mais aussi à une disposition pertinente du règlement intérieur de l'Assemblée nationale burundaise qui prévoit que " les membres du bureau ne peuvent pas provenir d'une même ethnie ou d'un même genre ".

Le Burundi se prépare d'ailleurs à produire un autre exemple cette semaine, en consacrant l'arrivée d'un rebelle au pouvoir par les urnes. Le pays va se donner un président de la République. Le nouveau chef d'Etat sera choisi à la majorité des deux - tiers des 118 députés et 48 sénateurs réunis en congrès à Bujumbura ce vendredi 19 août. Pierre Nkurunziza, le leader de l'ex -principale rébellion hutue, seul candidat en lice, devrait facilement l'emporter. Aucun parti burundais n'a osé opposer un candidat au président du Cndd-Fdd largement majoritaire chez les grands électeurs. " Nous avons 96 parlementaires, il ne manque que 15 voix pour avoir les deux - tiers requis au cours du vote, cela ne nous posera aucun problème ", triomphe déjà le porte-parole du Cnd-Fdd, qui assure que " son candidat va l'emporter au premier tour et avec un grand score ".

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Oublier la guerre

Le scrutin présidentiel de ce vendredi sera le dernier acte d'une série de réformes prévues par l'Accord d'Arusha pour mettre un terme à la guerre civile qui a fait plus de 300 000 morts dans le pays en 12 ans. La guerre civile avait éclaté en 1993, quelques mois après les élections générales remportées par le Frodebu, issu de la communauté majoritaire hutue (85% de la population), comme le Cndd-Fdd aujourd'hui. A l'origine du conflit: l'assassinat par l'armée, alors dirigée par la minorité tutsie (14% des Burundais), du président Melchior Ndadaye, premier président hutu du pays et premier chef de l'Etat démocratiquement élu. L'Accord de paix d'Arusha, signé en août 2000 entre le gouvernement et l'opposition politique hutue et tutsie, était notamment destiné à partager le pouvoir entre Hutus et Tutsis.

Ainsi, l'armée, véritable levier du pouvoir au Burundi est désormais composée à 50% de Tutsis et à 50% de Hutus. La nouvelle Constitution, adoptée en février 2005, oblige aussi à un partage des postes au gouvernement qui doit être composé de 60% de Hutus et de 40% de Tutsis. Les institutions parlementaires que sont l'Assemblée nationale et le Sénat ainsi que les conseils communaux obéissent à la même logique de partage du pouvoir. Pour parachever ces réformes, une série d'élections (communales, législatives, sénatoriales et maintenant présidentielle) sont organisées depuis le mois de juin, pour doter le Burundi d'institutions dont les membres sont élus et non plus nommés. Ces élections mettent fin à la transition initiée en 2001 et consacrent le retour à un pouvoir hutu fort.

Ex - rébellion dominatrice

Le Cndd-Fdd, parti politique formé par l'ex-principale rébellion hutue domine aujourd'hui largement la vie politique burundaise. Avec sa victoire attendue à la présidence de vendredi, il va désormais contrôler toutes les instances politiques du pays. Il dispose de 64 des 118 sièges de députés à l'Assemblée nationale, 30 des 34 sièges au Sénat et est largement majoritaire dans les conseils municipaux et chez les maires. L'ex-rébellion qui supplante l'autre parti hutu, le Frodebu, cueille ainsi les fruits de sa renonciation à la guerre et de la volonté de changement des Burundais. Les Fdd avaient déposé les armes fin 2003 et participent depuis au gouvernement de transition. Ils ont fait campagne pour le retour à la paix, en avançant un message d'unité, dans ce pays dont l'histoire récente est jalonnée de massacres interethniques.

Reste à savoir ce que les Fdd, majoritaires au parlement et détenteurs du pouvoir exécutif, vont faire de ce pays où les ethnies sont désormais condamnées à cohabiter en bonne entente. La minorité tutsie, qui a dominé le pouvoir depuis l'indépendance du Burundi en 1962, ne se sent pas menacée par l'arrivée des ex-rebelles hutus aux affaires. L'ancien président tutsi, le général Pierre Buyoya, estime même qu' il faut " éviter de sonner les cloches de la peur ", mais plutôt " attendre et juger les Fdd sur leurs actes ". L'ancien mouvement rebelle a d'ores et déjà promis qu'il n'entend " pas gouverner seul " et qu'il va " s'ouvrir aux autres partis politiques ", y compris de l'ethnie tutsie. Mais, le plus gros handicap des nouveaux maîtres du Burundi pourrait bien être qu'ils vont devoir gérer le pays alors qu'ils doivent tout apprendre. Comme l'explique un diplomate, " les chantiers sont immenses dans ce pays, et les Fdd sont si jeunes, si inexpérimentés, un grand nombre sans qualifications, ce ne sera pas facile ".

Pas d'expérience

Les ex-rebelles participent au gouvernement depuis novembre 2003 seulement, depuis qu'ils ont déposé les armes. Pierre Nkurunziza, 39 ans, ministre d'Etat chargé de la Bonne gouvernance et de l'Inspection générale de l'Etat et futur président de la République " a fait des études de sport, ne semble pas avoir une grande culture politique et n'a qu'une courte expérience des affaires publiques ", note le diplomate. " Si les Fdd ne prennent pas conscience de leurs lacunes en terme d'expertise et de compétences, s'ils n'associent pas les autres, la situation est porteuse de beaucoup de dangers ", prévient un analyste burundais, Willy Nindorera.

Autre problème de taille: " Les FDD arrivent au pouvoir au moment où l'économie est à terre, avec des conflits sociaux en gestation qu'ils doivent affronter tout de suite, une guerre civile qui n'est pas totalement terminée, beaucoup de mécontents chez les vaincus hutus, et la minorité tutsie à rassurer totalement ", explique Willy Nindorera. Après 12 ans de guerre civile, le Burundi, classé troisième pays le plus pauvre du monde par la Banque mondiale, est ruiné. Plus de 65% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Faire la paix était une chose, reconstruire et développer le pays en est une autre.

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